Face aux députés bruyants de l’opposition ou à des journalistes qui lui demandent comment elle se sent avant son discours de politique générale, la très austère Elisabeth Borne se marre. Le parler-vrai d’Elisabeth Borne…
On me pardonnera d’user de ce slogan si justifié de Sud Radio : parlons vrai ! Mais il me semble tellement pertinent pour la Première ministre Elisabeth Borne, dont un propos a été recueilli à son insu, qu’aucune hésitation n’était possible. Elle a dit, au sujet des journalistes : « On passe notre temps à répondre à des questions cons ». Petit émoi mais vrai problème.
Il y a un contraste ironique entre la classe et la patience dont la Première ministre a fait preuve à l’Assemblée nationale et le caractère spontané et sans équivoque de ce dernier propos. Celui-ci mérite cependant d’être pris au sérieux car il contraint à une interrogation qui m’est toujours apparue passionnante: les réponses ne sont-elles pas décevantes parce que les questions ne sont pas bonnes ? En effet il est impossible, pour une personnalité quelle qu’elle soit, malgré son désir de répondre, d’informer et d’éclairer, d’être au meilleur si la question qui devrait libérer son intelligence et son argumentation la bloque au contraire dans un champ restreint.
Dysfonctionnements intellectuels et médiatiques
Pour écouter un grand nombre d’émissions dans l’audiovisuel, et parfois les échanges que pratique un journalisme à la volée, j’éprouve de plus en d’indulgence pour une classe politique confrontée à des interrogations superficielles, si sommaires ou tellement vagues qu’elles autorisent les politiques à s’abandonner à une volubilité générale, sans rapport avec ce qu’on devrait attendre précisément d’elles.
Une question n’est pas « con » quand à la fois elle enferme et libère. Ce n’est pas si simple.
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Cette exigence ne peut être satisfaite que par une exemplaire maîtrise du langage et une intelligence si sûre d’elle qu’elle accepte de se mettre au service de son interlocuteur, pour mettre en lumière ce qu’il a à dire. Parce que le verbe n’est trop souvent pas à la hauteur, la conséquence en est une dilatation, une imprécision, une enflure de l’interrogation qui paradoxalement peut s’avérer plus longue que la réponse qu’elle devrait susciter.
Lucide Elisabeth Borne
Derrière ces dysfonctionnements intellectuels et médiatiques, il y a une double perversion qui n’est pas spécifiquement française mais à laquelle nos journalistes même les plus emblématiques s’abandonnent trop. Se sentir plus important que celui qu’ils ont invité et croire qu’une forme d’agressivité démontre le talent. Alors que c’est le contraire. On n’est remarquable que si on se prive d’être soi pour laisser toute la place à l’autre – en cherchant seulement à tirer le plus riche et le plus dense de lui – en veillant à une relation courtoise dans la forme et neutre dans tout cet infra-langage qui en dit parfois plus que l’explicite du vocabulaire. Il y a des expressions du visage qui sont révélatrices de l’hostilité ou de la complaisance et donc mettent à mal l’honnêteté distanciée qu’on espère d’un journaliste.
Pour ma part je connais ceux qui ne posent jamais « des questions cons » mais on va m’accuser encore d’avoir mes dilections, mes préférences professionnelles. Pourtant je serais capable de les objectiver.
L’essentiel n’est pas là mais dans cette vérité brutale lancée par la Première ministre dont le parler-vrai fait mouche. C’est si bon, un langage qui ne s’embarrasse pas de précautions pour cibler vite si lucidement !