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Elisabeth Borne: autant en emporte la technocratie

On nous dit que c’est la femme idéale pour des temps agités…


Elisabeth Borne: autant en emporte la technocratie
Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, octobre 2020, Paris © ELIOT BLONDET-POOL/SIPA

Tu parles d’une nouvelle ère !


On allait voir ce que l’on allait voir. Jean Castex et son accent « so terroir » débarqués, le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron allait être marqué par la modernité, le renouveau, que dis-je, la renaissance ! 

Et pour symboliser cette remontée de sève, la nomination d’un nouveau Premier ministre a été présentée comme un avant-goût de cette promesse d’une aube nouvelle. Il fallait donc quelqu’un de neuf pour incarner un tel élan, un Premier ministre qui serait emblématique de la nouvelle ère qu’annonce la réélection d’Emmanuel Macron ! 

La renaissance fait pschitt

Mais une fois de plus, la montagne de la communication institutionnelle a accouché d’une souris dans le réel. On a beaucoup attendu et, en dernier ressort, on n’a pas vu grand-chose. Après trois semaines de psychodrame et le sentiment d’une affaire à la fois mal menée, mal conçue et mal exécutée, le casting géant, organisé pour doter le président du Premier ministre de ses rêves, a été remporté par Elisabeth Borne, le lot de consolation. C’est comme concourir pour le voyage de ses rêves et revenir finalement avec le Guide du routard de la destination. Un choix révélateur, qui dit qu’à peine lancé, le concept de renaissance a déjà fait pschitt. Si la renaissance se solde par la tentative de vendre, au prix fort, de la seconde main démonétisée, elle ne va pas tarder à être rebaptisée escroquerie par les esprits moqueurs.

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Quel message politique envoie en effet le choix d’Elisabeth Borne ? Cette femme n’incarne rien. Elle a occupé des postes prestigieux, peut-être, mais elle n’a jamais porté aucun combat. Si le message derrière sa nomination est une façon de reconnaître qu’une femme est capable d’être chef de gouvernement, il est un peu daté et marqué au coin d’une certaine condescendance. Que le même jour, une femme soit nommée Premier ministre et que le port de la burqa de bain soit autorisé à Grenoble et vendue comme une preuve d’émancipation démontre que, dans les faits, la régression des droits des femmes est à l’œuvre et se poursuit. La nomination d’une femme à Matignon n’offre sur ces questions aucune garantie.

Le “sens politique” de Macron reste à démontrer

Autre message nécessaire à faire passer urgemment pour que le second mandat d’Emmanuel Macron ne parte pas aussi vite dans le mur que le premier ? Stopper la mainmise des technocrates sur le gouvernement et s’appuyer sur des profils plus politiques et humanistes. Or qu’est Elisabeth Borne, si ce n’est le modèle de la technocrate, apparemment sans âme ni état d’âme ? Une simple courroie de transmission qui ne semble bien promettre qu’une seule chose : le mépris social et l’absence de prise en considération du peuple français devraient continuer à être un des archétypes du pouvoir. Avec Elisabeth Borne, on a la continuité sans le changement et une absence de sens politique qui devrait en faire une véritable couveuse pour le retour des mouvements sociaux de type gilets jaunes. Elle est présentée comme celle qui rend « possible l’impossible » par Christophe Castaner. En langage politique, il faut en réalité comprendre : « capable de casser les protections sociales, tout en étouffant les grèves et les contestations ». Le genre de personne à prôner : « vous devez faire mieux avec moins » tout en se moquant des audits qui montrent que l’on fait déjà mal avec pas assez.

Toujours dans le registre « une nomination est censée délivrer un message politique », la dame serait ici chargée d’incarner une forme de conscience de gauche. On ne voit pas très bien où sont les marqueurs de gauche chez quelqu’un dont le dernier exploit aurait dû être la vente des activités d’ADP (Aéroport de Paris). Comme pour la Française des jeux, des hommes politiques dépouillent ici le domaine public d’un secteur hyper rentable et ne laissent à l’État que les activités déficitaires. On appelle cela privatiser les bénéfices et socialiser les pertes. Cela permet d’enrichir des opérateurs privés tout en affaiblissant l’État ! On a connu mieux comme parangon de la justice sociale. Rappelons aussi que ses principaux faits d’armes en matière sociale ne plaident pas franchement en faveur de son rattachement à la gauche : supprimer les tarifs réglementés du gaz, ouvrir la SNCF à la concurrence ou baisser des allocations chômage n’ont rien de mesures sociales. Borne incarne au contraire parfaitement ce qui fait que la gauche est devenue une croyance de luxe pour CSP+ et ne porte plus la voix des classes populaires.

Macron, un Chirac bis ?

Enfin, le choix d’Elisabeth Borne, fidèle entre les fidèles et sans grande dimension politique, rappelle un autre choix : celui que fit Jacques Chirac en 2002. Alors que le cataclysme qu’avait été l’irruption de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle imposait que le président élu réactive le pacte national en s’appuyant au maximum sur les forces vives du pays, celui-ci s’était replié sur ses bases. Son horizon se réduisit à un carré de derniers grognards, choix qui ne lui permit ni d’incarner une perspective d’avenir ni de laisser une trace dans l’histoire. Avec ce nouveau Premier ministre, si peu apte à incarner une quelconque promesse et à tisser un lien avec les citoyens, Emmanuel Macron met en scène le triomphe de l’oligarchie technocrate, celle qui voit la vie à travers un tableur Excel et croit connaitre un pays car elle a bien en tête les statistiques qui le concerne. Un tel choix est une faute politique. Si le reste du gouvernement est à l’avenant et cumule aussi logique de casting et oligarchie technocratique, il ne sera qu’à visée médiatique et germanopratine. Un choix dangereux à une période où la représentativité de ceux qui exercent le pouvoir est contestée et où le monde est de plus en plus imprévisible et incertain. 

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Or, l’incertitude est le domaine du politique et le cauchemar du technocrate – ce dernier ne tenant son pouvoir que grâce à sa maîtrise des cadres. Le technocrate croit que la politique, c’est de savoir modéliser les problèmes pour trouver la bonne solution. Il est persuadé qu’à la fin, il n’y a qu’un seul choix valable et cohérent, et que le rôle du gouvernant est de l’imposer au peuple. Quand les tensions au sein de la société sont fortes, et la légitimité du politique faible, le choix d’un gouvernement technocratique n’est pas forcément pertinent. Au vu de la personnalité de ce nouveau Premier ministre et de l’idéal technocratique qu’il incarne, il y a fort à parier que le deuxième mandat d’Emmanuel Macron ressemblera fort au premier, cumulant faiblesse régalienne et brutalité sociale. Au risque d’allumer des incendies politiques qu’il n’aura pas les moyens d’éteindre ?

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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