À l’approche du 14-Juillet, Elisabeth Borne défend sa place à Matignon en brassant de l’air dans la presse. Elle dresse notamment un bilan des fameux « 100 jours », mais il est à craindre que ceux-ci se terminent par un bouquet final calamiteux. La vente et le transport de mortiers d’artifice ont été interdits à l’approche de la fête nationale.
Nous arrivons au terme des « 100 jours d’apaisement et d’action » promis par Emmanuel Macron dans le but de faire oublier la crise des retraites. Au vu des émeutes urbaines que nous avons vécues, c’est raté pour l’apaisement. En revanche de l’action, il y en a eu. Un peu trop sans doute car si on peine à voir le bilan de l’action du gouvernement, celui des émeutiers est, lui, particulièrement conséquent : 553 communes ont été touchées. 400 bureaux de tabac, 400 agences bancaires, 105 mairies, 168 écoles, 269 commissariats et poste de police, des centaines de petits commerces. Pour mettre un terme à ces violences urbaines, il aura fallu mobiliser 40% des effectifs actifs des forces de l’ordre, soit 45 000 personnes.
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Dans un tel contexte, l’apparition de la Première ministre Elisabeth Borne aurait pu avoir du sens s’il s’était agi de porter des mesures fortes, en rapport avec la situation du pays et les doutes sur son avenir à court, moyen et long terme. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Pomponnée et semblant sortir tout droit d’un palais de la République d’où ne parvient que de manière assourdie la violence de la rue, son intervention pouvait laisser un double sentiment, de décalage et d’absence de maîtrise. D’amateurisme en quelque sorte.
Le refus de regarder en face la dimension culturelle et ethnique des émeutes
Dans une interview pour le Parisien, la Première ministre commence par insister sur les moyens massifs pour protéger les Français le 14 juillet. Le seul point qui reste aveugle dans son discours c’est « de qui les Français doivent-ils être protégés ? » Et là, on touche du doigt le principal problème de ce gouvernement et de son président. L’incapacité à regarder en face une situation. Or quand on interdit de poser un diagnostic parce que l’on craint de n’avoir pas les moyens ou la légitimité politique pour faire face au problème, on devient inaudible. Il se trouve que pour protéger certains Français, il faut en arrêter d’autres qui ont les mêmes papiers mais proclament leur détestation du pays et leur appartenance à un autre espace culturel. Certes Gérard Darmanin a expliqué que seuls des régiments de Jean-Eudes et de Marie-Edmée avaient été arrêtés dans le cadre des émeutes. Cela pour désamorcer le caractère ethnique des émeutes. Sauf qu’au sortir de cette séquence, les Français ont été mis devant la sécession d’une partie de la jeunesse qui, bien qu’elle ait la nationalité française, déteste la France, ses mœurs, son mode de vie, s’est repliée sur son appartenance ethnique et religieuse et fonctionne comme une tribu qui s’estime légitime à pratiquer le pillage et la violence au nom de l’oppression qu’elle subirait. C’est cette lecture-là que les médias internationaux ont donné des émeutes. C’est cette lecture-là qui a été promue par LFI et les entrepreneurs identitaires du racialisme (Parti des Indigènes de la République, Rokhaya Diallo, Yassine Bellatar, Medine et compagnie). Une lecture massivement refusée par l’ensemble du pays qui a montré un profond rejet des émeutes et des émeutiers et n’adhère plus à l’excuse sociale ni à la victimisation raciale. Le succès de la cagnotte du policier a été un des révélateurs de ce ras-le-bol.
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Elisabeth Borne, en ne posant aucun diagnostic et en évitant la question qui fâche, en est réduite à des annonces assez ridicules ou évidentes lorsqu’elle aborde les craintes que le pays peut nourrir à l’approche du 14 juillet : l’interdiction des mortiers et une petite ouverture sur la possibilité de faire payer des amendes aux parents.
L’improvisation des « 100 jours » pour amuser la presse
La Première ministre ne peut cependant sauver ce qui a tout d’un échec programmé tant le discours sur les 100 jours a été improvisé par le président de la République. C’est le journal l’Express qui nous offre une plongée dans l’amateurisme qui préside aux annonces présidentielles. Après la crise ouverte par la réforme des retraites, Emmanuel Macron veut enclencher une nouvelle séquence. Son souci : il n’a pas de projet consistant, juste des mots d’ordre peu nourris. Or le besoin pathologique de communication est souvent lié à l’absence de propositions pensées et structurantes, ou vient du fait que l’on essaie d’éviter un problème énorme parce que l’on ne se sent pas en capacité de l’aborder et encore moins de le résoudre.
Toujours est-il que faute d’annonces marquantes ou susceptibles de donner un sens à l’action du gouvernement, un conseiller va vendre comme la trouvaille du siècle, l’idée pourtant bien ressassée des 100 jours : « Il faut créer une séquence, esquisser un temps de relance, d’ici au 14 juillet, il y a à peu près cent jours… Pourquoi ne pas avoir un cap de 100 jours ? » Peut-être parce qu’un cap est une destination et non une durée. Mais le conseiller explicite sa pensée. L’idée n’est pas de faire, de se poser la question de l’intérêt général, il s’agit en fait de jouer avec les médias : « les journalistes aiment faire un bilan, cela permettrait de récupérer du rythme et du souffle. » Ce conseiller ne pensait sans doute pas que le seul souffle qui se lèverait serait le vent du boulet…
Des annonces inaudibles et dépourvues de caractère concret
Hélas, si on se penche sur la façon dont Elisabeth Borne nous vante ce qui a été fait durant la période, on peut craindre que les troubles soient toujours devant nous. A la lire, on se retrouve rapidement en situation de dissonance cognitive : pris un à un les mots ont une signification, organisés en phrase ils n’ont aucun sens et ne décrivent aucune réalité. « Nous avons délivré. Tous les chantiers que nous avions présentés fin avril dans la feuille de route ont été engagés sur les quatre axes. Sur le champ du travail par exemple, ce sont quatre réformes qui sont faites ou engagées : assurance chômage, retraites, lycées professionnels, France Travail. En matière d’ordre républicain, trois grandes lois régaliennes votées ou en voie de l’être en faveur de la police, des armées et de la justice. Enfin, les deux feuilles de routes sur l’éducation et la santé ont été déployées et la planification écologique livrée. » Le problème c’est que cette litanie n’ouvre aucune représentation concrète. Faire allusion à la réforme des retraites comme une promesse « délivrée » serait méprisant si la déconnexion totale du gouvernement n’amenait à penser qu’il enregistre les crises au nombre de ses succès en toute sincérité. Bref cette litanie est à côté de la plaque si on se penche sur la réalité que vivent les Français. Qu’est-ce-que cela veut dire : « les deux feuilles de route sur l’éducation et la santé ont été déployées », quand les pénuries de médicaments se multiplient, les déserts médicaux sont toujours aussi nombreux, l’hôpital est à bout de souffle et la mortalité infantile repart à la hausse ? Le bilan n’est pas meilleur côté éducation où classement après classement la France dégringole, où les apprentissages fondamentaux sont si mal transmis qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes ne savent même pas écrire dans un français correct, ont un vocabulaire limité. Sans parler de leur absence de maitrise des codes de la sociabilité élémentaire (comment on fonctionne dans un collectif institutionnel et non familial ou tribal).
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Cette façon de communiquer engendre un profond malaise et participe de la dévalorisation du rapport au politique. La parole de la Première ministre n’est même plus performative, elle n’a d’autres fonctions que de dissoudre le réel car il fait autant peur aux dirigeants qu’aux citoyens. La vraie différence, c’est que les citoyens attendent, suite aux émeutes notamment, des réponses fortes en matière d’immigration, de nationalité, d’assimilation. Ils sont prêts à discuter de tout : regroupement familial, droit du sol, double nationalité, expulsions… Les Français ne sont pas racistes, mais ils pensent que l’expression « Français de papier » parle d’une réalité ; ces gens qui acquièrent en nombre la nationalité française mais qui refusent les bases mêmes du contrat social : égalité entre les hommes, défense des libertés fondamentales, laïcité… Et qui le font au nom d’un autre modèle de société qu’ils veulent faire vivre sur le sol français. Leurs représentants, eux, ne sont prêts à discuter de rien, pour les mêmes raisons, tant ils doutent de contrôler encore leur territoire ou d’avoir la légitimité politique pour prendre des mesures fortes. Citoyens et représentants se doutent fort que la fracture civile qui génère ces violences ne va pas se refermer d’elle-même et qu’attendre ne va pas résoudre le problème, mais comme Mme du Barry en face de l’échafaud, ils essaient de gagner encore un peu de temps. En brassant de l’air autour des 100 jours, le Premier ministre et le président ne font que cela.
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