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La tragédie des éleveurs


La tragédie des éleveurs
Sipa. Numéro de reportage : 00768532_000007.
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Sipa. Numéro de reportage : 00768532_000007.

Périco Légasse a raison de dire qu’à côté de la tragédie que traversent les éleveurs bovins, hier à viande,  aujourd’hui laitiers, la querelle du burkini ou la démission de Macron paraissent des sujets bien frivoles.

Des prairies et des  vaches;  au milieu  une ferme avec un  fermier et un chien;  c’était là une part essentielle de ce qu’était la France (rien de comparable à tous les  pays où on ne voit pas d’animaux dehors, l’élevage s’y faisant hors sol). C’est ce qui disparaît parfois tragiquement, des centaines d’agriculteurs surendettés et désespérés étant conduits au suicide chaque année dans l’indifférence générale.

Il y a quelques jours, je passais à Saint-Benoît-du-Sault, un de plus jolis villages de France  dans une région, le Sud-Berry, parmi les plus déshéritées. À la sortie du village, j’aperçois une ferme à l’abandon : l’herbe avait poussé sur le machines agricoles laissées dans les hangars sans que personne en ait trouvé l’utilité. Spectacle désolant,  tout un symbole.

Lactalis et les producteurs ont passé un accord sur la base de 0, 90 euros le litre. C’est mieux que les 0,25 euros qui étaient versés il y a un mois, mais c’est le même prix, 1,90 francs, qui était payé aux producteurs il y a trente ans. Aucune hausse de productivité significative ne justifie cette stagnation du  prix nominal versé au producteur qui représente une  baisse du prix réel. On incite les éleveurs  à rationaliser leur exploitation, à s’agrandir et ils le font, mais cela suppose des investissements  et  se traduit par toujours  plus de travail  (pour des gens qui sont déjà  sont bien au-delà des 35 heures), pas forcemént une plus grande productivité. Entre-temps, les charges n’ont cessé d’augmenter, les normes de se compliquer.

Pour ceux qui ont investi comme  on  leur  a dit,  0,90 euros  c’est un euro de moins que le prix de revient. Seuls résistent encore ceux qui n’ont pas fait d’investissements ou les ont déjà   amortis, pas forcément  les plus modernes.

Merci le libre-échange !

Il y un an, le lait de vache se vendait  à 0,36 euros le litre. Que s’est-il passé ? La fin des quotas laitiers prévue par les accords du GATT de 1995, au nom du libre-échange, a libéré un peu partout la production. En ont particulièrement profité les producteurs allemands dont les coûts de revient (salaires, impôts, engrais, aliments) sont moindres et où le régime communiste avait laissé  en Prusse l’ héritage  d’ immenses  exploitations, proches de pays où la main d’œuvre ne coûte guère.

Si les fruits et légumes ou le vin courant ont à craindre de la  fin de l’euro, qui tirerait les prix de nos concurrents  méditerranéens vers le bas, si les exploitations céréalières ultra-compétitives du Bassin parisien  n’ont rien à  redouter hors les  intempéries ( ont elles souffrent ces jours-ci) , les éleveurs de viande ou de lait sont les premières victimes d’une monnaie surévaluée par rapport à nos concurrents d’Europe du Nord.

La crise de l’élevage illustre combien la conjugaison d’une monnaie trop forte et de frontières ouvertes est destructrice, ce que nos « élites » ignares en économie ne veulent pas voir.

La balance agricole, notamment animale,  franco-allemande n’a cessé de s’améliorer au bénéfice des Allemands depuis la mise en place de l’euro. Autrefois, quand la situation était inverse, les Français avaient fait preuve de solidarité au travers des montants  compensatoires. Rien de tel aujourd’hui où  la solidarité devrait jouer en  sens inverse.

Derrière les accords du GATT, il y avait  l’objectif de la mondialisation du marché du lait, largement atteint aujourd’hui. Le prix mondial se fixe en Nouvelle-Zélande: même si nos berlingots frais  sont fabriqués en Europe, le lait en poudre traverse les mers. Or la baisse de consommation de la Chine a tiré les prix mondiaux  vers le bas.

La seule arme qui permettrait aux producteurs de retrouver une certaine marge de manœuvre face aux grands groupes est le mouvement coopératif. Il dispose en France d’avantages fiscaux qui lui donnent les moyens de verser de gros salaires à ses dirigeants, lesquels, taille oblige, y ont seuls  le vrai pouvoir. Dans le cadre de la réforme de l’Etat, le service spécialisé du ministère de l’agriculture s’est assigné pour objectif chiffré le nombre de fusions de coopératives qu’il pourra susciter. Big is beautiful.

Sans doute les prix, après avoir assez  baissé, finiront-ils  bien par  remonter et certains éleveurs résisteront-ils à la crise. Mais chaque fois ils seront moins nombreux. Ce n’est pas seulement un pan entier de notre  civilisation qui s’en va, c’est aussi un atout essentiel de la  France, si bien pourvue en terroirs divers,  favorables à un vaste éventail de productions. La déprise de ces terroirs est à prévoir quand les producteurs auront été les uns après les autres découragés. Les consommateurs perdent en qualité ce qu’ils semblent gagner sur les prix (très peu en réalité, car la matière première ne représente qu’une petite partie du prix de vente). À qui donc, en matière  agricole, a profité la  mondialisation, sinon  aux multinationales ?



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est essayiste.

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