Sans être encore en mesure de la révolutionner, l’alliance des partis souverainistes européens pourrait peser sur la politique menée par le Parlement européen qui sera renouvelé du 23 au 26 mai 2019.
À l’heure du réveil identitaire des peuples européens, les partis souverainistes parviendront-ils à changer de l’intérieur la politique de l’Union européenne (UE) ? L’optimisme semble plus que jamais de rigueur. Entraînée par l’effervescence actuelle, Marine Le Pen affirme que les prochaines élections européennes seront historiques. Rêvant de voir émerger une majorité souverainiste au Parlement européen, la présidente du Rassemblement national imagine déjà réaliser « le sauvetage de l’Europe ». Mais cet enthousiasme correspond-il à la réalité politique ? L’heure de la recomposition du Parlement européen est-elle vraiment arrivée ? C’est peut-être un peu exagéré. Mais les élus souverainistes auront entre leurs mains bon nombre d’instruments juridiques pour bousculer l’actuelle politique de l’UE.
Le souverainisme, une valeur en hausse
Alors que les deux principaux groupes pourraient perdre un nombre considérable de sièges (le Parti populaire européen chutant, selon des estimations, de 217 à environ 174 et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates de 186 à 141), le groupe Europe des Nations et des Libertés (ENL), dans lequel figurent les élus du RN et de la Lega, pourrait gagner 30 sièges (passant de 37 à 67). Le deuxième groupe parlementaire eurosceptique, l’Alliance des conservateurs et réformistes européens (ECR), comprenant notamment les Polonais du PiS, les Tchèques du Parti démocrate civique et les Anglais du Parti conservateur, pourrait obtenir jusqu’à 58 sièges. Actuellement composé de 75 eurodéputés, l’ECR ferait les frais du départ des conservateurs britanniques. Enfin, l’Europe pour la liberté et la démocratie directe (ELDD), regroupant le M5S, l’UKIP et les élus français Les Patriotes et Debout La France, pourrait rassembler 47 membres contre 41 aujourd’hui. Un de ces groupes eurosceptiques peut également envisager un ralliement du Fidesz, suspendu du PPE depuis le 20 mars. Les souverainistes dénombreraient alors près de 180 représentants, soit 26 % des membres du Parlement.
Debout les damnés de l’Europe
La réunion des souverainistes en un seul groupe parlementaire est-elle envisageable ? C’est le projet porté par Matteo Salvini, prêt à saisir l’opportunité de créer, à l’issue des élections européennes, un groupe « réformiste » déterminé à transformer les institutions européennes. Les pro-européens tentent de se rassurer en rappelant que les souverainistes des différents pays ne sont jamais parvenus à former une coalition. Ils se réjouissent ainsi que la russophilie des dirigeants souverainistes les éloigne des Polonais. Alors que Matteo Salvini envisageait une récupération du PiS au sein de l’ENL, la défiance de la Pologne à l’égard de la Russie aurait entraîné un statu quo. La réalité rattrape cependant les commentateurs europhiles. Ces derniers mois, alors que la Pologne, puis la Hongrie, subissaient les attaques des institutions européennes, la question russe ne fit jamais obstacle à un soutien mutuel. La récente rencontre entre les dirigeants italiens et polonais s’est révélée si fructueuse que Matteo Salvini déclarait en janvier : « La Pologne et l’Italie seront absolument les protagonistes de ce nouveau printemps européen, de cette renaissance des vraies valeurs européennes ».
De même, les divergences annoncées comme insurmontables entre les catholiques polonais et des nationalistes laïques (RN, PVV, Parti des Vrais Finlandais) pourraient se révéler secondaires, les intéressés partageant avant tout la même volonté de résister au libéralisme culturel et à l’islamisation de la société. Leur intérêt commun face aux périls de l’immigration de masse et de la déculturation des nations pourrait unir les souverainistes à travers toute l’Europe. Ainsi, à l’initiative de Matteo Salvini, les différents partis eurosceptiques pourraient tenir un congrès à Rome au cours du mois d’avril. Néanmoins, les groupes parlementaires resteront a priori inchangés pour la législature à venir. Cette répartition ne saurait pourtant entraîner des votes divergents dans les rangs souverainistes, les eurodéputés étant détachés de la logique partisane qui préside souvent dans les parlements nationaux.
L’alliance avec la droite ? Chimère patrie
Pour les plus optimistes, ces potentiels 26 % de députés identitaires pourraient espérer le ralliement ponctuel des potentiels 25 % d’élus du PPE. Portées par la minorité souverainiste, l’ensemble des droites serait en mesure d’inscrire dans les débats les questions identitaires et sécuritaires. Mais encore faudrait-il que le PPE ne suive pas une ligne centriste, qui l’amena à voter majoritairement en faveur des quotas de migrants. De même sur l’économie, cette droite-centriste continuera certainement de voter tous les traités de libre-échange. Pour sortir de l’impasse, il faudrait que cette partie de la droite préfère la vision européenne de Viktor Orbán à celle d’Emmanuel Macron. Tandis que François-Xavier Bellamy a d’ores et déjà affirmé le contraire, le vote des sanctions contre la Pologne et la Hongrie par un grand nombre de députés du PPE, puis l’exclusion temporaire du Fidesz, à la quasi-unanimité, démontrent que l’ensemble du groupe soutient les politiques actuelles. A fortiori, le désir de supprimer les subventions pour les partis opposés à l’UE récemment affirmé par le chef du PPE, Manfred Weber, donne une bonne idée du positionnement des prochains élus de la droite libérale.
Le Parlement européen ne sert plus tout à fait à rien
L’élection de représentants souverainistes a-t-elle un sens dans un contexte politique aussi défavorable ? Ils pourront en tout cas profiter de solides instruments juridiques pour faire entendre leurs voix. Alléguant avec justesse que le Parlement européen n’est plus l’assemblée démunie qu’il était avant l’adoption du traité de Lisbonne, Jean Messiha (RN) déclare : « Si les députés souverainistes représentent 30 à 40 %, voire la majorité, ça serait un coup de secousse quand bien même le Parlement européen ne dispose pas des prérogatives indispensables pour réformer l’Europe de fond en comble. » En effet, le Parlement n’est plus un simple organe consultatif subordonné à la Commission européenne. Sa participation à la fonction législative est étendue grâce à la reconnaissance, depuis 1999, de la co-décision comme procédure législative ordinaire, qui lui permet d’être associé à 75 % de la production législative européenne. Les eurodéputés bénéficient également de la faculté de discuter le budget projeté par la Commission et d’adresser des recommandations. Ils détiennent en conséquence le droit d’amender aussi bien les projets de loi que le budget.
Enfin, les prochains élus auront les moyens d’exercer un contrôle étroit sur la Commission européenne, en vertu de leur droit de poser des questions, de procéder à des auditions, d’établir des commissions d’enquêtes, d’accéder aux documents des autres institutions, etc. Suivant l’exemple de Nigel Farage, François Asselineau (UPR) estime que les députés pourraient ainsi demander des redditions de comptes et dénoncer tous gaspillages, compromissions ou mesures anti-démocratiques. À défaut d’avoir une majorité parlementaire, les souverainistes pourraient constituer, selon les mots de Marine Le Pen, « une minorité de blocage », mettant fin à l’habituelle complaisance du Parlement envers la Commission et le Conseil. Cependant, il faudra probablement attendre une prochaine législature pour qu’un printemps des peuples survienne réellement.
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