Une campagne régionale qui n’intéresse pas grand-monde ? Cela ne date pas d’aujourd’hui. Je me souviens de 1998, après que Philippe Séguin avait pris la tête du RPR. La première campagne électorale qu’il dut organiser fut les régionales. C’est peu dire qu’il n’était pas passionné par ce scrutin. « Qui va repeindre les lycées ? » interrogeait-il avec une pointe de mépris pour l’institution régionale à laquelle il ne croyait guère. Finalement, ces élections lui posèrent grand souci mais juste après le scrutin. Dans plusieurs régions, mode de scrutin proportionnel aidant, certains présidents de droite souhaitèrent en effet conserver leur siège avec l’aide du FN, ce qui fâcha Séguin pour de bon. S’allier au FN pour repeindre les lycées ? Séguin trouvait ça surréaliste !
Dix-sept ans après, les élections régionales ne passionnent toujours pas les foules et le FN reste la seule attraction de la campagne. Mais pourquoi donc les élections régionales affichent-elles toujours (avec les élections européennes) les taux d’abstention les plus forts (si l’on excepte 1986, alors que le scrutin était couplé avec des élections législatives décisives) ? Evidemment, les compétences de la région sont peu connues et ne suscitent pas beaucoup l’intérêt des électeurs. Mais surtout, et on l’oublie souvent, l’exercice de la démocratie réclame un sentiment d’appartenance important que le découpage régional ne garantit pas toujours. Des constructions artificielles comme Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Centre ou PACA, peinent à susciter un tel sentiment. Même les citoyens des régions historiquement marquées, comme la Bretagne, n’éprouvent qu’un faible sentiment d’appartenance, du fait de l’absence de la Loire-Atlantique : pas facile de s’identifier à une région démembrée.
Ce déficit de sentiment d’appartenance est essentiel. Les communes et les départements préexistaient à l’exercice de la démocratie en leur sein. Les citoyens ont donc eu du temps pour construire l’identification. Pour la région, c’était déjà plus difficile à l’origine. Avant d’être érigée en collectivité territoriale par les lois de décentralisation (1982-1985), la région existait avec le même découpage sous la forme de CODER, et avait été dotée de quelques compétences. Rien de folichon mais c’était déjà ça. Or, dans ces élections de décembre 2015, on demande aux électeurs de venir voter pour des régions qui viennent d’être créées et qui n’ont jamais existé (hormis pour cinq d’entre elles). Bref, on met la charrue avant les bœufs.
Qui plus est, le découpage semble avoir été réalisé sur un coin de table en fonction des intérêts électoraux du parti au pouvoir, ce qui laisse augurer d’un taux de participation encore plus catastrophique que d’habitude.
Franchement, qui voudrait se déplacer pour savoir qui dirigera la Bourgogne-Franche-Comté, de Saint-Claude, orientée vers le Lyonnais, à Sens, tournée vers la région parisienne ? Que pensera l’électeur de ces mastodontes informes que sont les régions Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, qui court de Villeneuve-lès-Avignon à Tarbes, ou Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, qui englobe le bocage bressuirais et le Pays basque ? Pas étonnant que le chaland reste chez lui plutôt que de s’intéresser à ce « machin » ! Ne pas comprendre l’un des ressorts les plus importants du mécanisme démocratique aboutit à ce genre d’écueil. Mais après tout, on est habitué : ceux qui ont découpé ces territoires et organisé ces élections sont les mêmes qui croient décréter depuis des années un « peuple européen » inexistant.
En fait, la seule chose qui intéresse le monde politico-médiatique, c’est le rôle que le FN va jouer dans le scrutin. Toute la question est de savoir si le Front national remportera une, plusieurs ou aucune région, et s’il y aura ou non front républicain ou pas. L’issue de ces élections n’a rien de régionale puisqu’elle influera sur le cours de l’élection reine, à savoir la présidentielle.
Ainsi, parmi les rares personnes à s’intéresser à la campagne, on trouve les partisans d’une victoire du FN dans au moins une région afin de montrer à la France ce que pourrait signifier l’arrivée de ce parti à l’Elysée dix-huit mois plus tard. Ceux-là se font certainement quelques illusions. Marine ou Marion Le Pen n’auront pas matériellement le temps de repeindre en brun tous les lycées de leurs régions respectives.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00728357_000050.
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