Comme un dimanche d’élection…


Comme un dimanche d’élection…

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Je fais le matamore révolutionnaire, comme ça, avec des rêves de Grand Soir et de prise du palais Brongniart[1. Oui, je sais, il n’y a plus de traders à pendre mais une révolution sans symbole c’est aussi déprimant qu’une jolie fille mal habillée.] mais en fait j’adore les élections. J’adore leurs rituels désuets qui n’ont pas bougé, ou presque, depuis les débuts de la Troisième République, si on excepte la période de Vichy où l’opposition, pour des raisons de prudence, a préféré s’exprimer depuis Londres avec un micro ou depuis les maquis avec une Sten. Par exemple, voter se fait encore avec des bulletins idoines, après avoir reçu dans votre boite aux lettres de multiples tracts et des professions de foi. Inutile de dire que ce doit être aujourd’hui, mais pour combien de temps encore, le dernier geste d’importance de notre vie que l’on n’accomplisse pas à l’aide de l’informatique, devant un écran glacé.

Les dimanches d’élections, les villes et les villages sont plus jolis parce qu’on y voit des gens. Et pas seulement le matin au marché ou à la messe, mais également l’après-midi quand ils se rendent en famille à leur bureau de vote, marchant au soleil dans une indolence postprandiale et néanmoins civique. D’ailleurs, les gens le dimanche eux aussi sont plus jolis, tout simplement parce qu’ils ne travaillent pas[2. Heureusement que la gauche est au pouvoir pour empêcher le travail le dimanche. Non, je plaisante…]. Il faut savoir en effet que le travail ne rend pas libre, il rend laid. La preuve, les gens dans les magazines péauple[3. Pronciation attestée par le ministre du redressement linguistique Arnaud Montebourg.] sont beaux parce qu’ils passent leur temps sur des plages de rêve à faire semblant d’être surpris par les paparazzi tandis que les travailleurs sont toujours fatigués et de mauvaise humeur justement parce qu’ils travaillent – ou sont complètement désespérés parce qu’ils ne travaillent plus pour des raisons indépendantes de leur volonté.

Et parmi les élections, les élections municipales sont les plus plaisantes parce que ce sont les plus intimes. Tout le monde connaît à peu près tout le monde dans une élection municipale, même dans les grandes villes. La preuve, il y a plus de 900 000 candidats, un électeur sur 49. Ce serait bien le diable s’il n’y en avait pas au moins un dans votre entourage. C’est d’autant plus dommage que certaines communes aient un mal fou à en trouver des candidats et que certains partis ont pris sur leur liste des centenaires, des malades d’Alzheimer et même, comme le FN à Enghien-les-Bains, une candidate morte. En même temps, les deux échelons fondateurs de la République, auxquels les Français sont les plus attachés, la commune et le département, sont comme par hasard ceux que l’on voudrait dissoudre dans des intercommunalités anonymes et des grandes régions taillées sur mesure pour complaire à Bruxelles.
Si votre civisme vous pousse à être président de bureau de vote ou assesseur, là aussi le charme opère. Vous connaitrez le plaisir de retourner à l’école et vous serez installés au milieu des dessins d’enfants et des frises chronologiques de l’histoire de France. Il y a plus pénible comme décor. Vous pourrez aussi vous apercevoir que vous avez grandi quand, pris par un besoin pressant, vous irez aux toilettes. Les urinoirs pour les Cours Préparatoires demandent une certaine souplesse, c’est certain.

Vous vous interrogerez sur le vote des gens qui passent devant vous en tendant l’enveloppe bleu gauloise, vous vous livrerez à un exercice qui oscille entre la sociologie sauvage et le délit de bonne ou sale gueule. Cette quadra élégante, à la blondeur patricienne, qui ressemble vaguement à Monica Vitti, vous adoreriez qu’elle vote Front de Gauche mais vous penchez plutôt pour l’UMP. Ce papa bouclé, l’air à la fois concerné et absent, qui porte son bébé sur le ventre, ça sent EELV. Et le jeune homme aux lunettes en écaille, avec un blazer bleu marine sur une chemise sans cravate, vous parieriez pour un membre des MJS.
Plus mélancolique, vous vous apercevrez des absences comme celle de ce vieux monsieur avec un béret qui vous avait confié, il y a déjà un bon paquet d’années, qu’il avait pour la première fois voté en 36, pour le Front Populaire. Et pour chasser le blues, vous vous lèverez pour aller écrire à la craie sur le tableau derrière vous le pourcentage de votants dans votre bureau à midi. En priant pour que l’abstention, cette maladie vénérienne de la démocratie, ne soit pas trop élevée.

Le soir, avec des copains, vous irez à votre mairie assister à la proclamation des résultats en direct. Puis ce sera la soirée électorale, devant la télé, avec des bières et des pizzas, comme pour un match de foot. Votre géographie intime se superposera à celle des experts électoraux. Vous vous demanderez si Cabestany près de Perpignan ou Drap près de Nice, deux villes où l’on vous avait invité si gentiment pour des rencontres autour du polar, seront toujours des îlots rouges dans des départements très droitiers, vous vous demanderez encore si les listes autogestionnaires d’une dizaine de communes du plateau des Millevaches, dont Tarnac, vont faire de jolis scores. Vous vous demanderez enfin si Brive ne passera pas à droite ou Hénin-Beaumont, à vingt kilomètres de chez vous à l’extrême droite.

Mais là, l’intime rejoindra le national, ce qui est peut-être, au fond, une définition possible de la démocratie.

 

*Photo : AP21210985_000001.



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