À l’issue d’une campagne éclair qui n’a guère passionné les foules et d’une journée de vote harassante en pleine canicule, les résultats des élections générales espagnoles du dimanche 23 juillet dessinent un panorama politique complexe et paradoxal.
La surprise du chef
Après sa lourde défaite au scrutin municipal et régional du 28 mai, la gauche cherchait à briser la lancée de l’opposition de droite au président du gouvernement sortant, Pedro Sánchez. En dissolvant le Parlement national de manière anticipée (il ne devait cesser ses travaux qu’en fin d’année), le chef de l’exécutif espérait souder son camp autour de lui en agitant la menace du « retour du fascisme ». La seule option crédible pour le déloger du palais de La Moncloa, sa résidence officielle à Madrid, était en effet une alliance entre la droite classique du Parti populaire et Vox, formation plus radicale. En ce sens, la plupart des sondages laissaient entrevoir une victoire de la tête de file des conservateurs modérés, Alberto Núñez Feijóo. Néanmoins, certains commentateurs affirmaient aussi que la majorité absolue du PP et de Vox était loin d’être assurée.
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C’est effectivement ce qui a fini par se produire, puisque ces deux partis cumulent aujourd’hui 169 sièges, à sept de la barre fatidique des 176 élus. Même en y additionnant les voix des formations régionales (principalement en Navarre et aux Canaries) disposées à donner les clefs du pays à Núñez Feijóo, le compte n’y est pas. La déception est réelle pour les populares, qui pensaient monter jusqu’à 150, voire 160 députés. Par conséquent, bien qu’ils arrivent en tête et gagnent 47 sièges, leur victoire semble stérile. Quant à Vox, il accuse le coup en reculant de 52 à 33 élus. Face à eux, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) fait preuve d’une résistance à toute épreuve. Il n’arrive que deuxième mais améliore légèrement son score de 2019 (deux députés en plus). Cette progression contraste avec un nouvel échec de la gauche « radicale », rassemblée autour de la ministre Yolanda Díaz au sein de la coalition Sumar (qui a absorbé Unidas Podemos). L’ensemble des partis qui la composent disposaient en effet de 38 élus dans le Congrès sortant mais seulement 31 dans le nouveau Parlement. Quant aux régionalistes et séparatistes (dont bon nombre avaient permis l’investiture de Pedro Sánchez au début de l’année 2000), ils font un résultat décevant, laissant filer une dizaine d’élus.
Quelles perspectives ?
Il n’existe désormais que trois possibilités politiques outre-Pyrénées :
La moins probable des trois est celle d’un gouvernement minoritaire d’Alberto Núñez Feijóo, qui devrait alors bénéficier du soutien (ou, a minima, de l’abstention) de Vox, de la Coalition canarienne, de l’Union du Peuple navarrais et du Parti nationaliste basque. Or, ce dernier a déjà dit qu’il refusait de participer à un exécutif dans lequel figurerait la droite « radicale ».
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La deuxième consisterait à reconduire Pedro Sánchez dans ses fonctions à la faveur d’une nouvelle « coalition Frankenstein ». C’est ainsi que l’avait surnommée un ancien dirigeant socialiste, Alfredo Pérez Rubalcaba, en référence aux nombreuses pièces assemblées qui la composent. Alors que leur poids aux Cortes espagnoles est retombé au niveau des années 80, les formations régionalistes et sécessionnistes sont, par voie de conséquence, décisives. C’est notamment Ensemble pour la Catalogne, de l’ancien président sécessionniste Carles Puigdemont, qui se retrouve au centre du jeu. Ses responsables ont déjà annoncé le prix de leur ralliement aux socialistes : l’organisation d’un référendum indépendantiste légal dans cette région.
La troisième possibilité est celle d’un blocage parlementaire comparable à celui des années 2015-2016 et 2019-2020. Ainsi donc, les électeurs espagnols ne sont pas à l’abri d’un nouveau scrutin national d’ici au début de l’année 2024. Se mobiliseront-ils alors autant que dimanche dernier (avec 70% de participation et près de 2,5 millions de votes par correspondance) ? Rien n’est moins sûr car la lassitude risquerait de s’installer. Les semaines qui viennent seront décisives. Si le PP échoue à former un gouvernement autour d’Alberto Núñez Feijóo, la contestation au sein de la formation sera inévitable. La ligne modérée qu’il a instillée n’a en effet pas permis d’affaiblir le PSOE. Elle a également entraîné de nombreuses anicroches avec Vox, qui est pourtant son partenaire « naturel », notamment à l’échelon local et régional. Ainsi donc, c’est peut-être la stratégie plus incisive (et conciliante avec la droite « radicale ») d’Isabel Díaz Ayuso, présidente régionale madrilène, qui l’emportera…
Quant à Pedro Sánchez, il reste le personnage central de la politique espagnole, quitte à accroître la polarisation et les tensions qui traversent une société très clivée.
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