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Elections européennes: et les vrais gagnants sont…

Les nouvelles forces en présence au Parlement européen


Elections européennes: et les vrais gagnants sont…
Le Britannique Nigel Farage, la Française Nathalie Loiseau, la Danoise Margrethe Vestager © CHINE NOUVELLE SIPA © Lewis JOLY SIPA © ISOPIX SIPA Numéros de reportage : 00910995_000003, 00909404_000009 et 00909464_000009

Chaque peuple a élu ses députés européens le 26 mai.
Mais qui a gagné au niveau européen, à la fin ?
Les souverainistes ont fait une forte progression, mais leur poids restera insuffisant pour influer sur les décisions du Parlement.


Pas un jour ne passe sans qu’on nous exhorte à faire confiance à la « sagesse des foules », à exploiter l’« intelligence collective », à faire nôtres des apothèmes de béni-oui-oui comme « Tout seul, on va plus vite ; ensemble on va plus loin. » Et pourtant, notre plus ancien mécanisme de consultation de l’opinion populaire, qui est d’ordre politique et s’appelle la « démocratie », s’empêtre dans des complexités institutionnelles et idéologiques qui, sans la détruire, rendent opaques ses rouages et ses résultats. Les élections au Parlement européen en constituent la démonstration.

Le raz-de-marée souverainiste n’a pas eu lieu

Les partis politiques nationaux des différents Etats-membres proposent des candidats pour les 751 sièges (il en restera 705 quand le Brexit aura eu lieu). Il existe des partis politiques européens, mais ils ne sont présents au Parlement que dans la mesure où ils correspondent à certains des groupes parlementaires, ceux-ci devant rassembler au moins 25 députés représentant au moins 7 des Etats-membres. Lors des premières élections en 1979, le grand espoir était qu’elles contribueraient à faire émerger un espace public européen. En réalité, la plupart des campagnes électorales tournent autour de questions nationales, quand elles ne sont pas, pour chaque électorat, un référendum pour ou contre le gouvernement. Mais elles sont aussi l’occasion de la contestation de l’Union européenne elle-même.

À lire aussi : Macron, vrai vainqueur des Européennes

Les succès des partis dits « populistes » constituent donc d’abord des victoires nationales. Marine Le Pen a légèrement battu Emmanuel Macron dans leur « match », 22 sièges contre 21. Nigel Farage a fait monter la pression sur le gouvernement conservateur pour un Brexit sans accord en envoyant 29 députés à Strasbourg, la cohorte la plus importante pour un seul parti (à égalité avec la CDU-CSU d’Angela Merkel), suivie de près par les 28 de la Lega de Matteo Salvini, désormais renforcé face à son partenaire de coalition en Italie, le Mouvement 5 Étoiles. Viktor Orban a gagné 13 des 21 sièges hongrois ce qui consolide son pouvoir chez lui.

En revanche, au niveau européen, les eurodéputés ne sont influents que dans la mesure où ils appartiennent à des groupes importants où peuvent se former des alliances plus ou moins puissantes. De ce point de vue, le raz-de-marée souverainiste n’a pas eu lieu, leurs deux groupes actuels, l’Europe des Nations et des Libertés (auquel appartiennent le RN et la Lega) et l’Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe (auquel appartient le parti de Farage), totalisant 108 députés, ce qui représente certes une progression de 60 sièges, mais très insuffisante pour orienter significativement les décisions du Parlement. Celui-ci, jusqu’à présent, était dominé par une coalition du centre-droit, représenté par le Parti Populaire Européen, et du centre-gauche, rassemblé au sein de l’Alliance Progressiste des Socialistes et des Démocrates. À l’intérieur de cette coalition, passée de 412 sièges à 332, les centristes purs de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe, sous la présidence du bouillonnant Guy Verhofstadt, ont progressé de 67 élus à 105, ce qui leur donne un statut potentiel de faiseurs de rois entre les deux autres.

Macron renforcé, Margrethe Vestager pressentie à la Présidence du Parlement

C’est ici que la défaite relative de Macron se transforme en victoire relative. Les eurodéputés LREM sont destinés à rejoindre le groupe de Verhofstadt, offrant au Président français la possibilité de briser l’ancien équilibre entre les deux groupes dominants et de promouvoir sa vision d’une Europe plus intégrée, écartée jusqu’ici par Angela Merkel. Mais la fragmentation actuelle des groupes rendra l’arithmétique des alliances compliquée en diable.

Il n’est pas inutile de rappeler ici à quoi sert le Parlement. Celui-ci a essentiellement trois fonctions. D’abord, il élit les membres de la Commission et son Président. Ce pouvoir appartenait autrefois au Conseil européen, constitué des dirigeants des états-membres (à ne pas confondre avec le Conseil de l’Europe qui n’est pas une institution de l’UE et qui s’occupe des droits de l’homme). Le Parlement a acquis le droit de voter pour approuver ou désapprouver les candidats à ces postes et, par la suite, pour les renvoyer. Les commissaires sont proposés par les états-membres après un marchandage sur l’attribution des portefeuilles, mais le candidat à la Présidence est normalement issu du premier parti, à savoir le Parti Populaire Européen. Or, la bande à Macron et Verhofstadt est déjà à l’œuvre pour refuser le candidat proposé par les Allemands, le très terne Manfred Weber, et en imposer un autre, peut-être la Danoise, Margrethe Vestager, qui aurait inspiré la série  télé Borgen.

Le Parlement exerce un certain contrôle sur le budget de l’UE. Et en tant que législateur le Parlement vote les lois, la plupart du temps par un processus de codécision avec le Conseil de l’Union européenne, baptisé Conseil des ministres pour éviter toute confusion. Les lois elles-mêmes sont proposées et formulées par la Commission, qui représente l’exécutif de l’UE, mais l’origine de ses projets se trouve la plupart du temps dans les traités internationaux et dans des demandes émanant du Parlement, du Conseil européen et des parlements nationaux. Les parlementaires exercent un pouvoir législatif réel. Il y a ici un paradoxe. Chaque député populiste déplore à l’envi que le pouvoir du gouvernement démocratiquement élu de son pays soit limité par l’Union. Mais une fois au Parlement, ce même député découvre que son propre pouvoir de parlementaire européen n’est pas limité par la Commission mais par le Conseil européen et le Conseil des ministres – autrement dit, par les chefs de son propre gouvernement.

Relire notre reportage : Au RN, tout le monde il est content, tout le monde il est Bardella

Les souverainistes pas les plus bosseurs…

Le Parlement est responsable de lois qui touchent chaque aspect de notre vie, comme celles qui régulent l’usage des produits chimiques en Europe, qui empêchent les opérateurs de réseaux mobiles de facturer le roaming, ou qui obligent les GAFAM à respecter les droits des artistes. Les grands combats qui devraient animer la vie de l’Assemblée strasbourgeoise incluent la défense, l’espace européen de la recherche, le développement de l’intelligence artificielle, le statut des travailleurs détachés, ainsi que l’éventuel renforcement de l’intégration des états-membres…

Mais qui dit combat dit travail, surtout dans les commissions parlementaires. Les souverainistes ne sont pas toujours les plus bosseurs. Selon une mesure de l’assiduité des eurodéputés, Nigel Farage est venu en 745e position. Qu’importe ! Les 73 députés britanniques vont bientôt disparaître. Peut-être. En attendant, il n’est pas sûr qu’ensemble on aille si loin que ça.

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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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