Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, force est de constater que le fait religieux s’invite de plus en plus souvent dans le débat politique, comme en témoignent les quelques mois de campagne présidentielle que nous venons de vivre en France. Toutefois, bien qu’omniprésente, cette porosité nouvelle est loin de s’expliquer de façon univoque. Des questions éthiques soulevées par le débat sur la fin de vie à l’émotion suscitée par l’assassinat du Père Jacques Hamel en passant par l’identification d’un « vote catholique » ou par la mobilisation autour de tel ou tel sujet de société : nombreux sont les événements à l’origine de ce « mélange des genres ». Aborder la question de la juste frontière entre ces mondes peut donc sembler une gageure, tant sont complexes les enjeux et parfois vaines les discussions. Pourtant, devant tant d’interrogations et autant d’amalgames, il me semble aujourd’hui nécessaire de contribuer à un débat que je souhaite le plus serein possible.
« Jésus lui-même n’a-t-il pas refusé de s’engager sur le terrain de la polémique partisane ? »
En tant que vicaire de l’Opus Dei en France, je suis parfois interrogé sur le positionnement de l’institution que je représente par rapport à tel ou tel sujet de société, projet de loi ou mouvement politique. « Que pense l’Opus Dei du mariage pour tous ? Quel est votre candidat à la présidentielle ? Soutenez-vous Sens commun ? » D’une manière générale, ce sont tous les représentants de l’Église catholique qui sont de plus en plus souvent appelés à s’exprimer. Comme s’il était désormais admis qu’une institution à visée spirituelle, en tant que telle, ait à porter un discours politique, et non plus simplement à témoigner des principaux messages de la doctrine sociale de l’Église. Personnellement, cette conception me semble dangereuse. Jésus lui-même, en déclarant « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », n’a-t-il pas refusé de s’engager sur le terrain de la polémique partisane ?
« Je m’interdis toute prise de position pouvant s’apparenter à une « consigne » à destination des fidèles. »
C’est pourquoi, je m’interdis toute prise de position pouvant s’apparenter à une « consigne » à destination des fidèles de l’Opus Dei. Si je trouve en effet normal que des personnalités s’expriment en conscience sur certains sujets à titre personnel, il me semble en revanche problématique qu’elles le fassent au nom de leur institution. Non seulement car il est faux de prétendre pouvoir traduire intégralement la foi chrétienne en un système politique, mais aussi car, avec ce type d’attitude, on court le risque de bafouer la liberté de conscience des intéressés. Une forme d’ingérence que les fidèles de la prélature, au demeurant, n’accepteraient pas.
« Nous tenons à la liberté de conscience car elle indissociable de l’esprit séculier qui nous caractérise »
Il me semble important de le souligner : nous tenons à la liberté de conscience car elle est indissociable de l’esprit séculier qui nous caractérise. Saint Josémaria Escriva avait coutume de rappeler que chaque chrétien devait « être suffisamment honnête pour assumer sa responsabilité personnelle ; suffisamment chrétien pour respecter les frères […] qui proposent, dans les matières de libre opinion, des solutions différentes […] ; être suffisamment catholique pour ne pas se servir de notre Mère l’Eglise en la mêlant à des factions humaines »[1. « Aimer le monde passionnément », Homélie de saint Josémaria Escriva, Université de Navarre, 8 octobre 1967.] Des décennies plus tard, cette invitation continue, me semble-t-il, de résonner dans le contexte actuel avec une pertinence toute particulière.
« C’est à chacun et à chacune d’assumer, en conscience, ses engagements dans les questions politiques, économiques ou sociales »
C’est donc à chacun et à chacune d’assumer, en conscience, ses engagements dans les questions politiques, économiques ou sociales, et d’endosser la responsabilité de ses actes. De fait, aucun laïc ne peut réclamer pour ses propres décisions l’aval de ses pasteurs, ni attendre d’eux qu’ils se substituent à sa conscience. Tout simplement car chacun est libre et que cette liberté est une richesse ! Source de l’engagement, la liberté personnelle est aussi un moyen d’élargir le champ des possibles. Au-delà du militantisme politique, il existe en effet une multitude de façons de s’engager pour promouvoir le bien dans notre société. On peut ainsi s’investir dans les milieux associatifs, donner de son temps au service de personnes fragiles ou victimes de discrimination, assumer ses responsabilités familiales et professionnelles, se faire l’ami de celui qui est a priori loin de nous, et bien sûr prier pour nous améliorer et pour changer le monde ! Personne d’autre que nous-mêmes ne peut décider du bon chemin à notre place. Que chaque chrétien prenne donc ses responsabilités, et surtout qu’il n’ait pas peur d’être libre.
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