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Élections canadiennes: Justin et son nombril

Un scrutin tres incertain


Élections canadiennes: Justin et son nombril
Débat politique télévisé le 9 septembre 2021, Gatineau, Canada. De gauche à droite, Justin Trudeau (Parti libéral), Annamie Paul (Verts) et Jagmeet Singh (Nouveau Parti démocratique) © Sean Kilpatrick/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22603733_000024

Les résultats des élections législatives du lundi 20 septembre sont très incertains. Le scrutin apparait de plus en plus comme un référendum sur la personnalité et la fiabilité du Premier ministre.


Lorsque le premier ministre libéral, Justin Trudeau, a annoncé des élections générales anticipées au Canada, il a fixé le jour du scrutin au 20 septembre. Le timing était de l’opportunisme politique pur. Alors confortablement en tête dans les sondages avec une avance de 7,5 point, et après un déploiement réussi du vaccin (bien qu’après un démarrage très lent de la campagne de vaccination dans le pays), Trudeau a l’espoir de retrouver le gouvernement majoritaire qu’il a perdu en 2019, afin d’augmenter les impôts pour payer les coûts de la pandémie et de nouveaux programmes soi-disant « progressistes ». 

Trudeau a superbement ignoré les critiques généralisées qui l’accusent d’avoir déclenché des élections pendant la pandémie, d’autant que le Canada connaît actuellement une quatrième vague d’infections. Le problème pour les Libéraux, c’est qu’à part un chef fanfaron, ils manquent de politiques accrocheuses, à part taxer les banques. Et bon nombre des grandes initiatives promises en 2015, comme celles concernant le changement climatique et l’économie, sont tombées à plat et avec elles leur crédibilité. Les partis d’opposition, pour leur part, veulent faire de l’élection un référendum sur la personnalité et la fiabilité du Premier ministre.

Un vol Air Trudeau

Les partis d’opposition ont raison. En fin de compte, tout tourne autour du nombril de Justin. 

Le nom « Trudeau » est d’ailleurs collé sur le fuselage de l’avion de campagne, et non « Parti libéral ». Quant à la campagne, elle est menée dans le style d’une élection présidentielle américaine, ce qui est à bien des égards tout à fait approprié. Trudeau est comme un Bill Clinton dans la fleur de l’âge, un jeune politicien libéral photogénique : beaucoup d’électeurs veulent le voir réussir et par conséquent lui donnent sans cesse le bénéfice du doute. Comme dans le cas de Clinton, on pardonne à Trudeau ses erreurs passées (comme s’habiller à plusieurs reprises en black-face, maintenant qualifié d’acte raciste), les écarts entre sa promotion du féminisme et son traitement parfois brutal des collègues féminines du gouvernement, ou le scandale des paiements financiers fait aux membres de sa famille par un entrepreneur du gouvernement. La liste est longue. Les électeurs libéraux semblent aimer l’idée qu’ils se font de Justin Trudeau plus que l’homme lui-même. 

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Bien qu’il se qualifie lui-même de progressiste, il serait difficile de trouver un politicien ayant bénéficié plus que Justin Trudeau du fameux “privilège blanc” !  Fils aîné du premier ministre qui a dominé la politique canadienne de 1968 à 1984, Pierre Elliott Trudeau, Justin a hérité du charisme de son père et, malgré peu de qualifications en dehors de son nom, a fait une ascension apparemment sans effort jusqu’à la direction du Parti libéral en 2015 à l’âge de 41 ans. À son crédit, Trudeau a revitalisé le Parti libéral après une série de défaites et l’a mené de la troisième place avec seulement 36 sièges en 2011 à un gouvernement majoritaire avec 184 sièges en 2015.

Une gauche hypocrite

Tout cela n’aurait qu’une importance très limitée si Justin Trudeau n’était qu’un simple politicien opportuniste comme tant d’autres. Au cours de ses 154 ans d’histoire, le Canada a oscillé entre des gouvernements de centre-gauche et de centre-droit sans que cela n’ébranle durablement la solidité de son organisation politique. Cependant, l’accent mis par Trudeau sur la politique identitaire et d’autres thèmes sociaux destructeurs importés des États-Unis, tels que la campagne Black Lives Matter (BLM), la théorie critique de la race et le désir que le gouvernement impose « l’équité » (plutôt que l’égalité) en toutes choses, a polarisé les Canadiens en les divisant en factions belligérantes.

Une statue sans tête de la reine Victoria est renversée et vandalisée devant l’assemblée législative provinciale de Winnipeg, le vendredi 2 juillet 2021. Les manifestations faisaient suite à la découverte de corps d’enfants autochtones retrouvés à l’Ouest du pays. © Kelly Geraldine Malone/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22582537_000014

Le Canada, l’un des pays les plus accueillants et les plus généreux au monde, a été dépeint par Trudeau comme intrinsèquement raciste, sexiste, transgenre-phobique et même « génocidaire » à l’égard de ses peuples autochtones. Les statues de personnalités éminentes de l’histoire du Canada ont été renversées à la manière des opérations BLM ; des professeurs ont été chassés des universités pour des opinions « incorrectes » ; des églises catholiques romaines ont été incendiées pour protester contre le traitement passé des enfants autochtones dans les écoles religieuses ; et des lois fédérales ont été promulguées pour forcer les gens à utiliser les pronoms préférés des personnes transgenres. L’autoflagellation et l’imposition par le gouvernement de mesures correctives et contraignantes s’étendent de toutes parts. Comme l’a fait remarquer Gad Saad, un éminent écrivain et universitaire canadien : « Justin Trudeau représente vraiment toutes les idées pathogènes cancéreuses et parasitaires qui sapent les fondements des sociétés laïques libérales. Les sociétés éclairées ne soutiendraient jamais quelqu’un qui épouse les absurdités promues par ce bouffon. » 

Gad Saad, professeur de sciences comportementales évolutives à l’université Concordia, à Montréal. © D.R.

Comme beaucoup de ceux qui appartiennent à la gauche moralisatrice hypocrite, Trudeau est plus fort pour attaquer les maux imaginaires que les maux réels. Il était absent, comme la plupart de son cabinet, lorsque la Chambre des communes a voté à l’unanimité en faveur d’une motion qualifiant de génocide les actions de la Chine contre sa communauté ouïghour. En octobre 2020, après la décapitation de l’instituteur Samuel Paty par un djihadiste près de Paris pour avoir prétendument diffamé l’islam, Trudeau a condamné le meurtre mais a ajouté: « Dans une société respectueuse… nous devons tous être conscients de l’impact sur les autres de nos paroles et de nos actions… Nous défendrons toujours la liberté d’expression, mais chacun doit agir avec respect envers les autres et ne pas essayer de blesser inutilement ou arbitrairement quelqu’un avec qui nous partageons cette planète et cette société. » Comme l’a déclaré un journal canadien : « Trudeau défend la liberté d’expression tant qu’elle n’est pas offensante. » 

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Après la chute de Kaboul, alors que des inquiétudes ont été soulevées quant au sort des Canadiens toujours en Afghanistan après la tentative bâclée de Trudeau pour organiser leur retrait, Maryam Mousef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, demandant au nouveau gouvernement afghan de garantir le passage sûr pour ceux qui voulaient quitter le pays, a publiquement qualifié les Talibans de « nos frères ». Une semaine plus tôt, Amnesty International avait condamné les Talibans pour la torture brutale et le massacre de neuf hommes de l’ethnie des Hazâras après avoir pris le contrôle de la province de Ghazni en juillet. Je doute que le citoyen canadien lambda considère les Talibans comme des frères.

Le Canada à l’avant-garde ?

Ce sera la première fois que le Parti conservateur mène une compagne d’élection générale sous la direction de son nouveau chef, Erin O’Toole, un avocat de 48 ans et ancien officier de l’armée, dépeint comme un leader raisonnable et fiable à l’opposé du fantasque Trudeau. Bien que chef du Parti conservateur depuis seulement un an, O’Toole a démarré sa campagne en trombe et, en l’espace de quelques jours, a effacé l’avance des libéraux, déclenchant des sonnettes d’alarme dans le parti au pouvoir. À la mi-septembre, la course s’est installée dans une lutte au coude à coude et pourrait bien aboutir à un autre gouvernement minoritaire.

Parmi les principaux champs de bataille de la soirée électorale se trouvent les trois villes les plus importantes du Canada. Trudeau mène à Toronto, où 47 % de la population est composée d’immigrants récents de tendance libérale, dans une course à trois avec les Conservateurs et le Nouveau Parti démocratique (NPD) socialiste. À Montréal, le Bloc québécois, nationaliste et francophone, se rapproche des Libéraux, tandis qu’à Vancouver, qui compte également une importante population immigrante (44 %), le NPD est devant les Conservateurs et les Libéraux. 

Le résultat des élections pourrait bien être décidé par un vote tactique. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, est le premier membre d’une minorité visible à diriger un grand parti politique canadien. Actuellement en troisième position avec 19% du vote national, le NPD centre-gauche ne sera jamais en mesure de former le prochain gouvernement, mais l’objectif de Singh est de remporter suffisamment de sièges pour être un partenaire de coalition potentiel pour Trudeau si les Libéraux échouent. Son défi est double : il doit empêcher les partisans du NPD de voter pour les Libéraux afin d’arrêter les Conservateurs, et il doit convaincre les électeurs libéraux de l’appuyer dans les circonscriptions où le NPD a une chance de battre les Conservateurs. Dans ce scrutin, les engrenages sont fort compliqués.

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Un aspect récent à retenir également des précédentes élections nationales canadiennes a été la montée d’une poignée de petits partis, tels que les Verts ou le Parti populaire du Canada (PPC), une version plus à droite (selon les normes canadiennes) des Conservateurs, qui s’oppose à bon nombre des restrictions imposées pendant la pandémie. Avec 7% des suffrages au niveau national, le PPC pourrait s’avérer problématique pour les Conservateurs dans une course aussi serrée. Son chef, Maxime Bernier, était ministre dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper ; il n’est donc pas surprenant qu’environ 60 % des électeurs du PCC aient voté pour les Conservateurs aux élections générales de 2019. Selon certaines projections, cela pourrait coûter six sièges aux Conservateurs, dont cinq au profit des Libéraux. En 2019, il ne manquait à Justin Trudeau que 14 sièges pour avoir une majorité sur les 338 sièges de la Chambre des communes.

C’est une tradition au Canada que de s’installer avec quelques verres pour regarder les résultats des élections se dérouler lentement au cours de la soirée sur six fuseaux horaires et 9 300 kilomètres. Compte tenu de l’étroitesse de la course, il se peut bien que le verdict final ne soit connu que très tard dans la soirée, heure du Pacifique. Le résultat ne sera pas important pour les seuls Canadiens : il pourrait aussi être le signe d’un changement politique plus large. Le 13 septembre, lors de la première élection (presque) post-Covid en Europe, les Conservateurs au pouvoir en Norvège ont été battus par le Parti travailliste. En Allemagne, le SPD semble prêt à supplanter la CDU à la tête d’un gouvernement minoritaire le 26 septembre. Un virage à gauche est-il le résultat inévitable des conditions provoquées par la pandémie ou s’agit-il de punir les responsables, indépendamment de leur affiliation politique ? Compte tenu du calendrier électoral de 2022, Washington et Paris devraient garder un œil attentif sur le Canada cette semaine.




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Randall Heather est un chercheur et universitaire canadien qui a travaillé, entre autres, pour la Banque de Montréal, le Parlement londonien et des médias américains et britanniques. Il a été le chef de cabinet d'un homme politique américain et est actif politiquement dans le Sud-Ouest de l'Angleterre où il réside aujourd'hui.

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