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L’après-Bush a commencé


L’après-Bush a commencé

La fin de l’ère Bush a commencé. Le coup d’envoi des élections présidentielles américaines de 2008 sera donné dans quelques jours, le 3 janvier, jour des primaires en Iowa, un état facile à repérer sur la carte des Etats-Unis, s’y trouvant au beau milieu. A première vue, aucun des deux seuls candidats présentables, Mc Cain à droite et Clinton à gauche, n’a de chance de l’emporter dans cet état : à l’heure où j’écris, les sondages donnent Obama, Monsieur Langue-de-bois, vainqueur chez les démocrates et Huckabee, Hucka-Qui ?, vainqueur chez les républicains.

Que faut-il entendre par présentable ? Je qualifie ainsi les candidats qui ont une quelconque chance de sortir les USA du bourbier où ils sont enfoncés et de leur rendre une chance d’être à nouveau entendus dans le concert – ou, si l’on préfère, la cacophonie – des nations. Huit ans de présidence Bush – à qui il ne reste qu’un seul admirateur, domicilié au 55 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris – ont inauguré le déclin de l’Amérique, tant de fois annoncé et finalement en voie de réalisation. Il faut dire que le président a mis le paquet : il a justifié une guerre du pétrole par des informations truquées, fait fi de la convention de Genève, légalisé la torture et l’espionnage de ses propres citoyens, révoqué de fait l’Habeas Corpus, politisé à outrance l’administration de son pays et l’exercice de sa justice, encouragé la falsification de documents techniques – du domaine médical à celui de l’environnement – pour raisons purement lucratives et, pour finir, il assiste aujourd’hui en spectateur au plus extraordinaire naufrage du système financier, catastrophe en voie d’égaler – et peut–être même de dépasser – celle, déjà mémorable, de la Grande Crise.

Je n’ignore pas que l’on compte, parmi les autres candidats, des anciens gouverneurs, un ex-maire de New York et même un financier. Aussi honorables soient-ils, ils n’arrivent pas à la cheville des deux prétendants que j’ai désignés comme présentables. Ce qui ne signifie pas que leur affrontement constitue l’affiche la plus excitante possible. Le duel le plus divertissant serait sans doute celui qui opposerait Edwards à Huckabee : à ma gauche, le syndicaliste de choc, à ma droite, l’ancien pasteur. A propos de John Edwards, l’image qui me vient à l’esprit est celle du personnage joué par Martin Sheen dans Wall Street d’Oliver Stone (1987). Père du héros converti au culte de Mammon pour une pute de luxe et un gigantesque appartement dans l’Upper East Side, il lui lance : « Mon fils, ne vois–tu donc pas que le prix à payer, c’est la retraite de ton père et celles de ses camarades ! » Mike Huckabee, quant à lui, est le prêcheur du Far West, Bible dans une main, fourche dans l’autre, amateur de plaisanteries qui l’amusent manifestement mais sont souvent incompréhensibles pour ceux qui l’écoutent. Populiste de gauche contre populiste de droite, on ne s’ennuierait pas, au moins jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit élu : on les imagine mal, l’un et l’autre, défendre un quelconque point de vue en matière de politique internationale.

McCain souffre d’un handicap sérieux. Son discours ressemble trop à celui de Bush. Par les temps qui courent, ce n’est pas le meilleur moyen de se rendre populaire. Il faut s’empresser de souligner que sa position diffère de celle de Bush au sujet de la torture dont il fut lui-même victime au Vietnam. Mais, avec le démocrate Joe Lieberman qui vient de lui apporter son soutien, il est l’un des rares à s’être aligné sur la position va-t-en-guerre du président et à avoir approuvé le surge, l’envoi de troupes supplémentaires au printemps. De plus, alors que les nuages de la récession menacent, il a été le dernier à oser soutenir le plan immigration auquel Bush entendait laisser son nom pour les siècles des siècles et qui a lamentablement capoté au printemps. Soutenu par les républicains proches des milieux d’affaires, cette vaste réforme conjuguait une amnistie étalée sur douze ans pour les 13 millions d’immigrés clandestins et un programme de « travailleurs-visiteurs » pour la main d’œuvre non qualifiée. Il n’a pas été torpillé par les démocrates, mais par l’autre aile du parti républicain : la droite xénophobe.

Le Wall Street Journal a beau claironner jour après jour que McCain reprend du poil de la bête, Huckabee a aujourd’hui 19,5 % d’avance sur lui dans les intentions de vote en Iowa et, au plan national, il n’arrive qu’à la quatrième place des candidats républicains, à 6,3 points derrière Giulani – grand partisan de la torture –, à 5 points de Huckabee et à 0,5 point de Romney – financier et mormon.

Dans ces conditions, on est tenté de miser sur Hillary Rodham-Clinton. Mais elle aussi souffre de sérieux handicaps, le premier étant qu’elle déploie une énergie considérable à se mettre en scène en futur chef des armées mais que son modèle semble copié sur le général paranoïaque Jack D. Ripper de Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964). Le deuxième est qu’elle a adopté un ton de mégère dont elle croit qu’il lui confère de l’autorité mais qui énerve tout le monde, à commencer par les femmes. Enfin, son handicap majeur est qu’elle s’imagine déjà à la Maison Blanche et ne dit rien aujourd’hui qui pourrait la desservir lorsqu’elle occupera le bureau ovale. Certes, il serait admirable d’être un jour la présidente qui ne s’est jamais contredite mais du coup, elle perd toute spontanéité dans les débats des primaires, tiraillée qu’elle paraît entre son goût pour les rodomontades et son air de marcher sur des oeufs.

Reste Obama, dont on devine qu’il pourrait être le chouchou des médias européens. Je partage l’opinion d’Andrew Young, militant des droits civiques et ancien ambassadeur américain à l’ONU, l’un des vieux sages de la communauté noire américaine, qui a dit à son propos : « J’imagine très bien Barack Obama à la Maison Blanche. En 2016. »



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Docteur en Sciences Sociales de l’Université Libre de Bruxelles, diplômé en sociologie et en anthropologie sociale, Paul Jorion est un homme-orchestre de la Science Cognitive et une autorité reconnue dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Chercheur Associé du Programme Interdépartemental "Human Complex Systems" de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), il vit à Santa Monica et a publié plus récemment "Vers la crise du capitalisme américain ?" (La Découverte, 2007).

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