Accueil Monde « Si l’adversaire de Rohani est élu, beaucoup d’Iraniens croiront à une fraude »

« Si l’adversaire de Rohani est élu, beaucoup d’Iraniens croiront à une fraude »


« Si l’adversaire de Rohani est élu, beaucoup d’Iraniens croiront à une fraude »
Hassan Rohani et Ebrahim Raïssi. Sipa. Numéros de reportage : 00806611_000003 et Numéro de reportage :AP22046506_000003.
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Hassan Rohani et Ebrahim Raïssi. Sipa. Numéros de reportage : 00806611_000003 et Numéro de reportage :AP22046506_000003.

Daoud Boughezala. L’élection présidentielle iranienne du 19 mai mettra principalement aux prises le président sortant Hassan Rohani et le candidat conservateur Ebrahim Raïssi. Jusqu’à présent, dans l’histoire de la République islamique, tous les présidents ont été réélus à l’issue de leur premier mandat. Les jeux sont-ils faits ?

Amélie Chelly[1. Docteur en sociologie, Amélie Chelly a effectué sa thèse de sociologie sur la sécularisation en Iran. Elle vient d’en tirer un essai; Iran, autopsie du chiisme politique (Editions du Cerf, 2017) et travaille actuellement sur les femmes djihadistes.]Nous avons appris le 15 mai que le conservateur Mohammad Qualibaf venait de sortir de la campagne pour donner plus de chances au conservateur Raïssi de se trouver au second tour avec un fort pourcentage face au réformateur Hassan Rohani. Or, on sait que les sondages officiels de l’Etat prévoyaient cette semaine (sachant que 56% de la population se dit encore indécise et sans candidat) 46,6% de voix pour le président sortant, 26,7% pour Raïssi et 24,6% pour Ghalibaf. Mathématiquement, nous aurions donc tendance à penser que la réélection de Hassan Rohani n’irait pas de soi. Evidemment, les choses ne sont pas si simples et ne sauraient se réduire à ce simple calcul.

D’abord, l’électorat de Ghalibaf n’ira pas automatiquement voter pour Raïssi. En effet, en République islamique, il ne faut pas associer le clivage réformateur/conservateur au clivage laïc/clerc. Un laïc peut être conservateur (c’était le cas de Mahmoud Ahmadinejad qui n’est pas un produit du système clérical) et un clerc réformateur (c’est le cas de l’actuel président de la République Hassan Rohani). Or, on sait que certaines personnes ne veulent pas, par principe, voter pour un clerc, peut-être par goût pour le milieu militaire d’où vient Mohammad Ghalibaf.

Ebrahim Raïssi administre le mausolée de Reza à Mashhad qui draine une masse financière considérable partiellement redistribuée aux classes populaires. Cela peut-il lui attirer les suffrages du petit peuple iranien naguère attaché à Ahmadinejad ?

Bien au contraire. Le rattachement de Ebrahim Raïssi à la fondation Astan-e Qods fait de lui une personne peu estimée – voire détestée – par une large partie de la population. Rappelons que cette fondation au départ créée (avant l’avènement de la République islamique) pour la gestion du lieu saint du tombeau de l’Imam Reza à Mashhad, et pour aider les nécessiteux, génère des milliards de dollars, constituant une vraie manne financière, mais n’en reverse finalement que 10% aux démunis, d’après certaines estimations. La fondation a été sous la direction de Abbas Vaez Tabasi jusqu’à sa mort en 2016 et son histoire s’est tricotée dans celles de détournement et d’enrichissements personnels. Pour nombre d’Iraniens, si Raïssi était élu cela relèverait d’une fraude électorale aux raisons toutes trouvées : peu charismatique, Raïssi serait un président malléable entre les mains du Guide.

Khamenei semble avoir laissé les mains libres au président Rohani pour négocier puis signer l’accord nucléaire de Genève. Ce succès diplomatique aura-t-il des répercussions sur la présidentielle ?

Le succès des accords n’a pas encore trouvé de retombées économiques visibles auprès de la population. Une question de temps pour Rohani, les défenseurs des accords et une grande partie éduquée de la population, le témoignage d’un échec pour la rhétorique conservatrice. On peut ainsi relativiser les coups portés par les conservateurs à Rohani, mais force est de considérer que sa réélection, si elle est bien probable, ne sera pas aussi évidente que ce qu’on imaginait.

D’ailleurs, sur quels sujets a porté la campagne électorale : l’international (Syrie, USA, Europe), l’économie, la place de la religion dans la société ? 

L’économie tient une place centrale. D’abord parce que c’est la réalité la plus tristement présente dans le quotidien des Iraniens, ensuite parce que le président sortant Rohani a incarné l’ouverture économique, ce qui rend aisée la rhétorique de ses détracteurs : tout se concentre autour du potentiel échec de sa politique du fait que les retombées bénéfiques pour la population n’ont pas encore été constatées. Par ailleurs, la question de l’économie trouve une autre forme d’argumentaire dans la rhétorique de Hassan Rohani : on sait que les sanctions, toutes étouffantes qu’elles sont pour la population, ont permis à nombres de particuliers de s’enrichir (on pense aux traditionnels bazari, mais aussi à des particuliers comme Babak Zanjani qui a constitué une fortune de plusieurs milliards sur les importations forcées par les sanctions). Ainsi dans le discours de Rohani, on entend qu’être contre les accords, c’est aller contre les intérêts de la population et dans le sens de ceux qui s’enrichissent de la suffocation (ceux là-mêmes d’ailleurs qui attaquent Rohani sur le supposé échec des accords).Les questions internationales sont aussi évoquées en terme de sécurité.

C’est-à-dire ?

On sait que les menaces extérieures sont nombreuses (Daech diabolisant le chiite aux portes de l’Iran, une Arabie Saoudite qui menace d’exporter la guerre à l’intérieur des frontières iraniennes…) La présidence Rohani a bien tenu son rôle de garant de la sécurité. La campagne évoque les différents moyens de pérenniser la sanctuarisation du territoire. Par ailleurs, on sait que tous les points abordés au cours de la campagne, dans le cadre d’une République islamique, prennent des teintes islamiques dans la rhétorique, y compris pour des questions qui n’ont pas a priori de lien avec l’islam (le sport, la science, l’économie, qui devient une « économie de la résistance » dans la bouche du guide). Ainsi, il n’est pas surprenant d’entendre des discours, surtout chez les conservateurs, toujours en accord avec une diabolisation de l’Occident. Derrière la vitrine identitaire islamiste, le pragmatisme est là. L’Iran n’en fait plus l’économie. Il est d’ailleurs question de supprimer la peine de mort pour les délits liés aux trafics de stupéfiants, condamnations plus des trois quarts des exécutions. Rien d’islamique à la réflexion autour de cette mesure, seulement la perspective pragmatique de ne plus figurer en tête du palmarès mondial des condamnations à mort.

Après l’élection de Trump, la politique d’ouverture initiée par Rohani a-t-elle encore un sens ?

La politique de Rohani a plus que jamais un sens. On sait que Donald Trump n’a pas tenu les promesses faites pendant la campagne de déchirer les accords. Ils sont encore bien d’actualité même si, alors que les Iraniens respectent, selon l’AIEA, avec application leur partie du contrat, les Etats-Unis ont recours à des mesures coercitives, surtout en matière bancaire. Si les conservateurs se retrouvaient à la tête de l’exécutif, on pourrait envisager qu’ils adopteraient peut-être une posture moins appliquée quant au respect des accords – sans revenir dessus ! N’oublions pas que Rohani n’aurait jamais pu créer les conditions nécessaires à la signature de ce traité sans l’aval du Guide suprême, ce qui fragiliserait ces mêmes accords et serait propice à une escalade incontrôlable des provocations. Par ailleurs, les mesures coercitives prisent en matière bancaire ne concernent pas que les échanges potentiels avec les Etats-Unis, elles paralysent aussi les projets menés entre l’Iran et l’Europe (Bouygues a récemment jeté temporairement l’éponge pour le projet de développement de l’aéroport de Téhéran pour ces raisons).

Dans un deuxième temps, si les signaux envoyés à Téhéran ont l’air plutôt clairs (Trump se rendra à Ryad le jour de l’élection présidentielle en Iran, pour son premier voyage à l’étranger, alors que ses prédécesseurs avaient pour première destination officielle le Mexique ou le Canada), ils ne veulent pas dire que la politique d’ouverture initiée par Rohani est enterrée. Des échanges commerciaux entre les deux pays ont bien lieu sous la présidence Trump, pensons à Boeing !

à suivre…

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est journaliste.

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