Si Joe Biden a été élu président, ce n’est pas grâce à la fraude. Les démocrates, échaudés par la défaite d’Al Gore en 2000, sont tout simplement devenus maîtres dans l’art d’exploiter légalement les règles électorales des différents états. Reprendre la main sur le processus électoral est donc la condition sine qua non d’une future reconquête républicaine du pouvoir.
Aux États-Unis, l’année 2020 s’est mal terminée pour les républicains et 2021 n’a guère commencé mieux. Au cours des trois derniers mois, ils ont perdu la Maison-Blanche et le Sénat ; leur champion, Donald Trump, a été mis en accusation, une seconde fois, en vue de sa destitution. Pourtant, ce n’est pas la déconfiture totale annoncée : les républicains ont perdu moins de sièges que prévu au Sénat ; ils ont empêché les démocrates de consolider leur majorité à la Chambre des représentants ; et ils ont préservé leur contrôle sur nombre de législatures d’États. Bref, le chef est tombé, mais pas ses lieutenants et sous-lieutenants. Cela a fortifié la conviction de beaucoup de supporteurs républicains que la victoire de Joe Biden avait été usurpée et que l’élection présidentielle avait été truquée. Si les recours en justice des républicains contre les résultats dans différents États ont été rejetés par les tribunaux, le plus souvent pour des raisons de procédure, la défaite de Donald Trump tient essentiellement aux différences de stratégie électorale entre les deux partis.
81 millions de suffrages comptabilisés pour Biden, 74 pour Trump…
Le secret de l’élection présidentielle 2020 se niche dans cette différence : les démocrates ont insisté pour compter « tous les suffrages », alors que les républicains voulaient compter « tous les suffrages vérifiés ». En principe, une voix envoyée par la poste doit être vérifiée soit en comparant la signature sur l’enveloppe avec celle du votant sur un registre officiel, soit par un témoin qui affirme avoir vu la personne mettre son bulletin de vote dans ladite enveloppe. Or, dans certains États (le Wisconsin par exemple), les autorités compétentes (cour suprême, secrétaire d’État) ont autorisé, bien avant les élections et en anticipant une forte affluence de votes par la poste, la prise en compte des enveloppes impossibles à vérifier par l’un ou l’autre de ces deux moyens. Cette différence est majeure, car elle porte potentiellement sur 6 % des votes par correspondance, soit près de 5 millions de bulletins au niveau national. Certes, Biden ayant recueilli 81 millions de suffrages et gagné avec 7 millions de voix d’avance, cela n’aurait pas suffi à inverser le résultat. Sauf que, comme en 2016, seuls comptent les résultats au niveau des États et leur impact sur les rapports de force au sein du collège des grands électeurs. La prise en compte des seuls bulletins vérifiés aurait pu faire la différence dans l’Arizona, le Nevada, la Géorgie, la Pennsylvanie et le Wisconsin, et ainsi changer la donne.
Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications: il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Dans un État comme la Géorgie, le taux de rejet des votes par correspondance, qui était de 6 % en 2016, est tombé à 0,3 % en 2020 ! Et comme dans le même temps le nombre de ces votes a été multiplié par quatre, le candidat le plus susceptible d’en profiter a bénéficié d’un renfort de voix non négligeable et parfaitement légal. Résultat : en Géorgie, Trump a perdu de 0,23 %, soit moins de 12 000 voix sur 5 millions de suffrages. Si les règles du jeu avaient été les mêmes qu’en 2016, il l’aurait emporté d’au moins 50 000 voix.
Le scrutin par correspondance a reçu le soutien inattendu du Covid-19, que les démocrates ont parfaitement exploité. Prétextant que la peur du virus dissuaderait de nombreux électeurs d’aller voter, ils ont obtenu dans plusieurs États le droit d’envoyer les bulletins à l’avance, même aux électeurs qui n’en faisaient pas la demande, et mieux encore de garantir que tous les bulletins reçus en retour seraient comptabilisés – après la date de l’élection dans certains États. Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications : c’est ainsi que l’on arrive à 81 millions de suffrages pour Joe Biden et 74 millions pour Trump. Il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Reprendre la main sur le processus électoral est l’objectif des Républicains
Les républicains sont tombés dans un piège préparé de longue date. En 2000, lors de la défaite d’Al Gore face à George W. Bush, les démocrates ont perdu la Floride, et donc la Maison-Blanche, parce que les républicains étaient parvenus à invalider un grand nombre de bulletins. Si tous les votes exprimés en Floride avaient été validés et comptés, Al Gore aurait gagné. Les démocrates l’ont compris. Ils se sont donc employés à ce que, désormais, le plus grand nombre de bulletins soit compté.
Suivant cette logique, à la présidentielle de 2004, ils ont tenté, sans succès, d’inverser le résultat dans l’Ohio. Quatre ans plus tard, Barack Obama emportant aisément la Maison-Blanche, les contestations n’ont pas été nécessaires. En revanche, dans le Minnesota, un siège de sénateur était disputé par le démocrate Al Franken et le républicain sortant Norman Coleman. Les démocrates étaient largement majoritaires au Sénat (59 sièges contre 41), mais ce siège supplémentaire leur aurait donné une « super-majorité » de 60 sièges, leur permettant de faire passer toutes les législations souhaitées sans la moindre opposition des républicains. Au soir du 4 novembre 2008, c’est le républicain qui était donné gagnant avec une avance de quelques centaines de voix. Avec une marge aussi faible, un recompte s’imposait et le parti démocrate a dépêché sur place un jeune avocat, Marc Elias, pour superviser les opérations. La mission d’Elias était de faire comptabiliser tous les bulletins possibles. Il a introduit recours après recours, visité toutes les circonscriptions. Au bout de neuf mois de ce titanesque combat procédural, il a réussi en juillet 2009 à inverser le résultat et à faire élire le démocrate Franken au Sénat. Elias est devenu l’avocat star du parti et a travaillé par la suite pour Hillary Clinton, Kamala Harris et même Joe Biden. Son mot d’ordre « faire compter tous les bulletins », devenu la règle d’or des démocrates, a été appliqué en 2020 dans tous les États décisifs, avec le succès qu’on sait.
À l’avenir, si les républicains veulent remporter une élection présidentielle, ils doivent reprendre la main sur le processus électoral en commençant par imposer une uniformisation des règles. À l’heure actuelle, chaque État dicte ses lois, conformément à l’article 2 de la Constitution. Toutefois, pour les élections fédérales, il serait logique que les règles soient les mêmes pour tous. Ensuite, il leur faut limiter le vote par correspondance aux seuls électeurs qui en feraient la demande, et comptabiliser uniquement les votes reçus avant la date du scrutin. Accepter les bulletins délivrés par la poste au-delà de la date de l’élection ouvre en effet la porte à de multiples abus, comme cela a été constaté en Pennsylvanie où, deux mois après le scrutin, le nombre de votants n’est toujours pas connu… Il faudrait également imposer à tous les États l’obligation de procéder au dépouillement des bulletins sans interruption jusqu’à la proclamation des résultats, sous le contrôle d’observateurs des deux camps, voire du public. Finalement, il faudrait interdire les machines à voter pour éviter toute controverse, fondée ou pas. Sans de telles réformes, le seul espoir pour des républicains d’entrer à la Maison-Blanche sera d’être invités par un président démocrate.
Le populisme de Trump est une opportunité pour le Parti républicain
Quant à Donald Trump, à supposer qu’il ne soit pas frappé d’inéligibilité et souhaite se représenter en 2024, il a dix-huit mois pour mettre la main sur le Parti républicain. Pour l’heure, il en est le chef constitutionnel, mais cela pourrait ne pas durer. Même s’il ne l’a pas directement ordonné, l’assaut contre le Capitole de Washington est exploité par ses détracteurs, y compris au sein du camp républicain, pour l’éliminer définitivement de la vie politique. À l’heure actuelle, 57 % des électeurs du Grand Old Party (surnom du Parti républicain) souhaitent qu’il soit candidat en 2024, mais qu’en sera-t-il dans trois ans ? Si Trump est adulé par ses supporteurs, il est haï par ses adversaires et la campagne 2020 a démontré que sa seule présence constitue une force mobilisatrice considérable pour… le camp adverse. Dès lors, certains ténors du parti seraient heureux de tourner la page.
De surcroît, Trump n’est pas un républicain pure souche, aussi les principes du « trumpisme » n’épousent-ils pas forcément ceux du républicanisme. Donald Trump a tenté sa chance en politique sous trois étiquettes successives : réformiste, démocrate et républicain. En tant que républicain, il a introduit dans la doctrine une dose de nationalisme, de protectionnisme, d’unilatéralisme et de populisme. Il a aussi renoncé à la rigueur fiscale, toléré les déficits et ne s’est pas opposé à une politique sociale généreuse. En politique internationale, s’il a soutenu un appareil militaire fort, il a réduit la présence américaine à l’étranger et souhaité un rapprochement avec la Russie. En cela, il a défié certains préceptes républicains et en a payé le prix. Aussi peut-il précipiter le parti vers sa scission.
Mais le « trumpisme » est aussi une opportunité. Le populisme de Trump peut permettre au parti républicain d’élargir sa base. Il est plus que jamais évident que le Parti démocrate est celui des fonctionnaires (notamment dans l’éducation), des élites urbaines, de l’intelligentsia culturelle et des minorités ethniques et sexuelles, et qu’il n’est plus le parti des travailleurs. Il y a là un électorat en déshérence dont Trump a déjà commencé la conquête. Il a aussi réussi, d’ailleurs, à faire progresser le vote républicain dans les minorités noires et hispaniques, obtenant des scores sans précédent dans leur électorat masculin.
Enfin, au-delà de ces débats internes, pour exister politiquement, les républicains devront reconquérir les médias. L’alliance objective nouée lors de l’élection entre les grands médias – papier et TV – et les mastodontes de la « Big Tech » (les fameux Gafam) augure mal de l’équité du débat intellectuel aux États-Unis. La censure qui s’est abattue sur les comptes Twitter du président Trump ainsi que sur ceux de ses collaborateurs et sur les sites favorables aux thèses conservatrices laisse entrevoir un monde orwellien : désormais « Big Tech » et « Big Média » font advenir le règne de Big Brother ! L’affaire dépasse largement la personne de Donald Trump. Elle met en jeu la place de la liberté d’expression, donc l’identité des États-Unis.