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Covid et canicule: «Les directeurs d’Ehpad ont évité un carnage»

Entretien avec Joachim Tavares, ancien directeur d'Ehpad


Covid et canicule: «Les directeurs d’Ehpad ont évité un carnage»
Ehpad de Bourg-en-Bresse, juillet 2020. Auteurs : JEFF PACHOUD-POOL/SIPA. Numéro de reportage : 00974927_000017

Alors que les fortes chaleurs s’emparent de la France, revivrons-nous l’hécatombe de l’été 2003 qui avait provoqué 19 000 morts ? Les Ehpad sont-ils prêts à affronter la canicule tout en protégeant leurs pensionnaires contre le Covid ? Les réponses de Joachim Tavares, ancien directeur d’Ehpad et fondateur de l’entreprise Papyhappy[tooltips content= »Pappyhappy est à la fois un site de conseils et une agence immobilière spécialisée dans le logement senior. »]1[/tooltips], sorte de Tripadvisor du logement senior. Il trace des perspectives d’avenir pour notre société vieillissante confrontée au défi de la dépendance. Entretien.


Daoud Boughezala. La canicule de l’été 2003 a provoqué un pic de surmortalité chez les séniors, avec 19 000 victimes. Comment expliquez-vous cette hécatombe ?

Joachim Tavares. A l’été 2003, la France a subi des fortes chaleurs qu’elle n’avait jusqu’alors jamais connues pendant une aussi longue période. Les établissements pour personnes âgées n’étaient pas prêts à gérer cette canicule, faute de protocoles et de plan bleu pour affronter la crise (tels qu’il existe aujourd’hui un plan bleu pour la grippe, le plan bleu pour le Covid et le plan bleu pour la canicule). Le personnel n’était tout simplement pas prêt à gérer ces situations.

Concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis dans la gestion de la canicule ?

Un ensemble de protocoles est entré dans les mœurs. Auparavant, les établissements n’étaient pas équipés de climatiseurs ni de ventilateurs. Aujourd’hui, ils se sont équipés, certains ont pu climatiser un local commun – souvent la salle de restauration ou d’animation. Des ventilateurs ont été installés dans les chambres des pensionnaires, soit par la structure soit par le résident. Des mesures supplémentaires ont été adoptées : alléger les menus pour l’été (fruits, soupes froides, gaspachos…), ventiler les chambres… Pour les pensionnaires les plus dépendants, incapables de manger seuls, les employés préparent des gelées afin les alimenter et de les hydrater.

Gardons en tête un fait très important : les personnes âgées ne ressentent pas la chaleur comme nous. Certains petits vieux portent une doudoune en plein mois d’août ! Dès le matin, le personnel des structures spécialisées doit donc penser à les habiller de manière estivale. Puis les solliciter tout le long de la journée pour les faire boire, les mettre à l’ombre, dehors s’il y a un parc, etc. Bref, on a appris des erreurs de 2003.

Cette année, les Ehpads affrontent à la fois la canicule et l’épidémie de Covid, particulièrement meurtrière chez nos aînés. Comment relever ces deux défis simultanément ?

Les protocoles ont été modifiés en fonction de ces deux impératifs. Par exemple, si le ventilateur est autorisé dans les chambres, lorsqu’un résident reçoit de la famille, des amis ou même un voisin de chambre, il doit l’éteindre pour éviter la dispersion des aérosols. Il en va de même dans certaines salles climatisées – des climatisateurs avec filtres sont sans danger mais les plus anciens sont allumés puis éteints à l’arrivée des gens. C’est une question de bon sens.

Cette année, dix mille de nos aînés sont morts du Covid en Ehpad. S’agit-il des plus fragiles éliminés sous l’effet de la sélection naturelle ?

Absolument. Je pense même que lorsqu’on fera le compte du nombre de morts en Ehpad sur l’ensemble de l’année 2020, il n’y aura pas de pic de mortalité car les plus faibles sont déjà partis. Les gens qui entrent en Ehpad sont de plus en plus âgés et de plus en plus dépendants.  Or, les morts du Covid en Ehpad étaient déjà fragiles et n’avaient malheureusement pas une grande espérance de vie devant eux. Pourtant, pendant le pic de l’épidémie de Covid, les directeurs d’Ehpad ont fait de leur mieux, isolant les pensionnaires pour les préserver comme ils l’auraient fait face à une grippe ou une gastro. Avec le manque de protection (masques, lunettes, surblouses), si les établissements n’avaient pas mis en place cet isolement, cela aurait été un carnage.

Comme l’ancienne ministre Michèle Delaunay, jugez-vous les Ehpad inadaptés car vecteurs d’isolement social pour les plus vieux ?

Pas du tout. Loin d’être désuet, l’Ehpad est un modèle en mutation. Il est en train de glisser vers nos anciennes maisons de convalescence pour gens âgés et fatigués qui avaient besoin de répit. Depuis quelques années, le profil des pensionnaires accueillis en Ehpad a changé. Il y a encore quinze ou vingt ans, les résidents y arrivaient en pleine forme avec leur conjoint. Ils conduisaient, allaient se balader seuls. Or, à mesure que la société vieillit, l’Ehpad accueillant des gens de plus en plus âgés et dépendants, il change de vocation. Son centre de gravité se déplace vers le soin. Quand je visite un Ehpad avec mon entreprise Pappyhappy, je me rends compte combien les gens y ont besoin de présence et de soins.

J’ajoute que l’Ehpad offre aussi une vie sociale à ses résidents. Autour du siège de mon entreprise, dans l’Yonne, les papys et mamies qui vivent à la campagne ne voient personne. Souvent, la seule personne qu’ils voient de la semaine est le facteur.

Sur un plan quantitatif, si des polémiques politiques se développent sur le ratio de personnel en Ehpad par rapport au nombre de résidents, c’est qu’il a y un besoin croissant d’employés.

A cause de l’arrivée des papy-boomers ?

Oui. Il y a désormais des strates dans le public des Ehpad : jeunes vieux, moyens vieux, plus vieux. D’où l’intérêt d’avoir plusieurs formes de logement à leur proposer. Quelqu’un qui part à la retraite vers 60-65 ans peut encore vivre au moins trente ans. L’Ehpad ne peut pas coller à ces trente ans mais au moment de la vie où on a besoin de soins et d’une présence. Les plus fragiles n’ont pas d’autre possibilité que d’aller en Ehpad. Aujourd’hui même, une dame est venue dans mon bureau pour me parler de sa mère de 78 ans qui ne peut plus marcher, refuse de dormir dans son lit et dort donc depuis trois ans dans son fauteuil, chute, ne se fait plus à manger, a un chien dont elle ne s’occupe plus… Dans ces cas-là, il n’y a que deux choix possibles : soit vous placez quelqu’un à ses côtés toute l’année 24h/24 et sept jours sur sept ; soit vous l’orientez vers des logements collectifs de type Ehpad. A partir d’un niveau de dépendance élevé conjugué à un besoin de soins important, si l’infirmière doit passer deux ou trois fois par jour, l’Ehpad offre une sécurité inégalable. Ni le domicile ni d’autres types de logements avec de l’aide ne peuvent se substituer à un établissement quasi-médicalisé avec des infirmières et aide-soignantes présentes toute la journée et de plus en plus la nuit.

Malgré tout, y-a-t-il des alternatives à l’Ehpad adaptées aux moins dépendants ?

Les solutions alternatives montent en puissance : familles d’accueil, colocations, béguinages… Cette dernière forme de logement très ancien vient de Belgique où des bonnes sœurs l’ont instituée. Il s’agit de partager un logement, un immeuble ou une maison, selon les principes de l’entraide chrétienne. Dans le béguinage, les résidents vivent séparément mais s’aident mutuellement. Ce modèle, qui était en train de mourir, repart aujourd’hui en force.

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