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Égypte/Algérie : football et symboles


Égypte/Algérie : football et symboles
La fierté nationale algérienne se mêle à de la jubilation face à l'humiliation égyptienne.
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La fierté nationale algérienne se mêle à de la jubilation face à l'humiliation égyptienne.

Si Nasser était encore en vie, il en serait mort. Que l’Egypte, « Oum dounia » (Mère du monde), rate sa qualification pour la Coupe du monde de football, passe encore. Que l’Algérie y aille à sa place, ça fait beaucoup. Mais il y a pire : en quelques jours, Le Caire a perdu l’illusion de sa position dominante au sein du monde arabe. L’Algérie n’a pas seulement gagné un match, elle a crié : « Le roi est nu ! » L’épouvantable scène de ménage qui a accompagné les deux matches Egypte-Algérie dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du monde de football a viré au drame et presque à la guerre. La colère a fait tomber les masques.

Les enjeux symboliques étaient considérables. Après l’élimination du Qatar et de la Tunisie, l’Egypte et l’Algérie devaient disputer, le 14 novembre au Caire, le seul ticket d’entrée du monde arabe pour l’Afrique du Sud. Pour se qualifier, la sélection égyptienne devait marquer trois buts sans en encaisser un seul. Le suspense était donc au rendez-vous, la politique aussi. Deux mois après l’échec cuisant du candidat égyptien à la présidence de l’Unesco, Hosni Moubarak avait besoin d’une victoire de prestige. On ne peut donc pas lui reprocher d’avoir essayé de surfer sur une vague – si rare − d’enthousiasme national ni d’avoir profité de l’occasion pour mettre en avant son fils Gamal, candidat officiellement officieux à sa succession. On ne peut pas non plus s’étonner que tout cela ait mal tourné.

[access capability= »lire_inedits »]Le 12 novembre, deux jours avant le match au Caire, le car qui transporte la sélection algérienne de l’aéroport à son hôtel est caillassé ; trois joueurs sont blessés. Ce n’est qu’une étincelle, mais une bonne dose de mauvaise foi et de volonté en font un incendie. Gamal Moubarak se rend à l’hôtel des Algériens, mais ceux-ci refusent de le recevoir. Le président de la Fédération algérienne de football qualifie l’incident de traquenard organisé par la Fédération égyptienne et insinue l’existence d’une complicité au sommet de l’Etat. Finalement, la version officielle égyptienne met le feu aux poudres : les joueurs algériens auraient profité de ce regrettable incident pour s’auto-infliger des blessures. Si agression il y a, c’est le chauffeur égyptien du car qui en a été victime. Bref, le délire nationaliste est à son comble.

Plus que l’incident lui-même, le mépris et l’arrogance de la réaction égyptienne déclenchent la colère des médias. Les internautes algériens profitent de l’occasion pour dire leurs quatre vérités aux Egyptiens avec une rare violence verbale.

Deux jours plus tard, face à une sélection algérienne déstabilisée (certains joueurs portent des pansements et bandages), les Egyptiens se retrouvent à un but de la qualification. En égalant sa rivale (grâce à une victoire 2 à 0), l’équipe égyptienne décroche un deuxième match, déterminant. Il sera disputé quatre jours plus tard à Khartoum, terrain neutre proposé par Le Caire. Selon une formule récurrente dans la presse algérienne de l’entre-deux-matches, l’Algérie a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre.

Dans l’attente du 18 novembre, la tension des deux côtés est forte. En Algérie, on évoque le 18 juin 1940, mais l’atmosphère rappelle plutôt août 1914. Les rumeurs vont bon train sur les violences subies par les supporters algériens au Caire : humiliation de femmes − même enceintes ! − fouillées à l’entrée du stade par des policiers et dénudées en public, on évoque des Algériennes mariées à des Égyptiens qui sont répudiées, on parle de morts. Le terme de hogra (sentiment très fort d’injustice) est sur toutes les lèvres. À Alger, les passages à l’acte se multiplient, notamment contre des agences de Djezzy, opérateur de téléphonie mobile appartenant au groupe égyptien Orascom, et certains appellent au boycottage des produits égyptiens.

Dans cette atmosphère de guerre, le gouvernement algérien organise un « pont aérien » pour permettre au plus grand nombre d’aller à Khartoum soutenir ou défendre leur équipe. Épaulé par quelques hommes d’affaires, l’Etat prend en charge tous les frais, négocie avec le Soudan un visa collectif et met à disposition des supporteurs les cargos de l’armée de l’air.

Le soir du 18 novembre, la joie de la victoire est à la hauteur du suspense et de la mobilisation sans précédent dans l’histoire du pays, mélange enivrant de fierté nationale et de jubilation face à l’humiliation égyptienne.

Ce n’est pas la première fois que le football est un facteur ou un révélateur de haine entre ces deux pays. En 1990, la star algérienne Lakhdar Belloumi avait été condamnée par contumace par la justice égyptienne à une peine de prison ferme pour avoir attaqué et blessé le médecin de l’équipe nationale égyptienne à l’issue de la rencontre Egypte-Algérie pour les éliminatoires du Mondial 1990.

Mais cette fois-ci, les Algériens ne sont que les porte-parole d’un sentiment qui les dépasse largement. De Gaza à Rabat, la « rue arabe électronique » donne un carton jaune aux Egyptiens : ras-le-bol de vos prétentions et de votre morgue ! Les rancunes cumulées pendant des décennies ont fini par crever la façade de la politesse et de la langue de bois. « Vous êtes des crève-la-faim comme nous, alors arrêtez de vous la jouer ! » : tel est le message envoyé en boucle.

Le Caire a longtemps joué des ambiguïtés entre nationalisme et panarabisme pour se targuer de la puissance arabe comme si elle était sienne, mais cette défaite sur pelouse révèle que plus personne n’est dupe : l’Egypte est d’abord égyptienne et elle va très mal. Or, pour elle − comme pour la France –, être investie d’un rôle, d’une mission plus large que ses propres frontières fait partie de l’ADN national. Faute de Coupe du monde, les Egyptiens devront boire celle-ci jusqu’à la lie.[/access]

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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