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Egypte : Le Sinaï veut revenir sur la carte


Egypte : Le Sinaï veut revenir sur la carte

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Les Bédouins du Sinaï sont à bout de nerfs. Ils ont le sentiment d’être ignorés par le gouvernement. Cette fois, ils ont décidé de jouer la carte de la communication en médiatisant leur dernière réunion, histoire d’attirer l’attention des autorités du Caire et de redorer l’image du Sinaï à l’étranger.
Le 5 avril dernier, les représentants du demi-million d’« Arabes » issus du « peuple des tribus » (« bédouins » sonne légèrement péjoratif, en arabe, selon les principaux intéressés) se sont donc massés sous une vaste tente bigarrée, en face du monastère de Wadi Feran, à quelques dizaines de kilomètres du Mont Moïse et du monastère de Sainte-Catherine. Face aux montagnes rosées, les véhicules 4X4 rutilants se parquent près des tentes, les armes cachées derrière leurs vitres fumées. Avec leur tenue traditionnelle (keffiehs blancs ou à carreaux blancs et rouges) et leur refus de la mixité, les Bédouins reproduisent malgré eux tous les préjugés qui leur sont attachés.
Or, les tribus du Sinaï ne veulent justement plus de cette image d’Epinal. L’image que véhiculent les médias égyptiens les exaspère : ils seraient tous armés jusqu’aux dents, voire terroristes sur les bords, comme le laisseraient penser les attentats du début des années 2000 dans les stations balnéaires de la Mer rouge. Ils s’enrichiraient tous du trafic d’être humains (en tant que « passeurs » pour les Africains cherchant à entrer en Israël, ou intermédiaires dans les trafics d’organes, etc.), d’armes, de drogue (on cultive l’opium au Sinaï), et des marchandises vers Gaza. Et les membres du symposium de se justifier : « 90% de la population active n’a pas de travail, alors on se tourne vers la culture de la drogue » tout en niant toute sympathie pour les trafiquants d’êtres humains et les jihadistes.Les Frères Musulmans s’exprimant à la fin de la conférence ne suscitent d’ailleurs guère l’attention du public bédouin, signe de leur relative imperméabilité à l’islamisme du Caire.
Malgré l’instabilité du Sinaï – après la révolution qui a renversé Moubarak, la police égyptienne avait mis des mois avant de pouvoir revenir dans  la péninsule – la plupart des chefs bédouins se désolidarisent des enlèvements de touristes et autres attaques de commissariats. Récemment, des touristes ont été brièvement kidnappés pour obtenir la clémence du gouvernement envers des Bédouins emprisonnés. Pourtant, le credo général tient en une formule : l’action pacifique. Au cours de la conférence de presse, beaucoup suggèrent à demi-mot qu’ils étaient presque mieux lotis du temps de l’occupation israélienne. Des bédouins sont régulièrement tués dans des course-poursuites avec la police, et ne profitent d’aucune remise de peine, à la différence du reste des Égyptiens.
Dans toutes les bouches, on entend de vives critiques contre la marginalisation politique qu’impose le pouvoir cairote aux Bédouins. De leur point de vue, Moubarak et Morsi, le dictateur laïc et l’islamiste démocratique élu, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Ahmed El Herish, de la tribu qui contrôle la vallée de Wadi Feran, laisse transparaître sa rancœur : « Le ‘peuple du Nil’ (le reste des Egyptiens) nous considère comme des sauvages. Le gouvernement de Moubarak était injuste, et rien n’a changé depuis la révolution. »
Les gouverneurs locaux ne sont jamais issus de la population du Sinaï et le droit coutumier local ne dispose d’aucune reconnaissance légale, au point que les Bédouins envient les tribus… pakistanaises.
Mais le torchon brûle aussi sur le plan économique. Le peuple du Sinaï réclame une rente pour les activités sur son sol : usines, tourisme, gazoduc. Or, beaucoup de Bédouins n’ont pas de titres de propriété et la terre qu’ils occupent ne leur appartenait pas légalement. Nombreux sont ceux qui ne peuvent même pas acheter leur terre, car leurs parents n’ont jamais eu de papiers d’identité, ce qui les empêche de prouver leur nationalité égyptienne, l’achat de terre dans le Sinaï étant réservé aux ressortissants égyptiens depuis décembre dernier.
En pleine explosion démographique, la péninsule de 60 000 kilomètres carrés est considérée comme l’une des zones les plus pauvres d’Egypte – en dehors des stations balnéaires, qui n’embauchent pas de bédouins.
Ce ne sont pas les infrastructures et les équipements publics qui pallieront les inégalités sociales. À Wadi Feran, d’après El Herish, on manque de routes, d’écoles, et il n’y a que huit heures d’électricité par jour. On n’obtient du gaz que par la débrouille, en envoyant les enfants récupérer des bonbonnes pleines au bord de la route, si un camion est passé par là. Un peu partout dans le Sinaï, on ne capte aucun réseau téléphonique égyptien. Beaucoup d’habitants ont des cartes Sim jordaniennes, ou même israéliennes, ce qui leur paraît aberrant.
Faute d’implication de l’Etat, le système D local n’est pas près de s’arrêter…

*Photo : youtube, ahmedsharm2.



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