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« 1 = 1 » mais ça ne suffit pas


« 1 = 1 » mais ça ne suffit pas

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Dans l’affaire des droits à faire, à adopter et à élever des enfants, l’égalité des droits entre hétéros et homosexuels est l’argument qui sidère et bloque la réflexion.
Comme toujours, l’égalité se révèle une passion française et, comme souvent, cette passion aveugle.  On sait en effet, depuis Platon, qu’il en est de deux sortes : l’égalité arithmétique, du genre un citoyen = une voix, et l’égalité proportionnelle, qui applique une même règle à des cas inégaux au regard de cette règle.
Le plus éclairant pour les problèmes de société est de revenir à l’intitulé de nos principes, qui sont invoqués de mémoire et hors du contexte qui en précise le sens et la portée.
L’article Ier de la Déclaration de 1789 − « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » − signifie la fin des privilèges, c’est-à-dire de droits qui sont illégitimes parce qu’ils ne sont pas fondés sur l’application à tous des mêmes règles.
La même règle appliquée à tous produit une égalité arithmétique (1 = 1) quand la règle s’applique à des individus jugés égaux en la matière concernée.[access capability= »lire_inedits »] Puisque les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, cette égalité en droits s’applique d’une façon arithmétique entre tous les hommes quand elle ne concerne que leurs propres vies. Chaque homme est déclaré également libre de mener sa vie à son gré, d’aimer qui et comme il le veut, et bientôt peut-être de mourir comme il l’a décidé.
Mais ces droits cessent d’être arithmétiquement égaux quand ils sortent des domaines qui ne concernent que chacun. L’égalité arithmétique est bornée par deux principes absolus.
D’un côté, par ce qu’énonce l’article 4 de la Déclaration : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
D’un autre côté, l’égalité dans l’application de la règle aboutit à une égalité proportionnelle dans son résultat. C’est la formule même de la justice que de rendre à chacun ce qui lui est dû au regard d’une règle, et non de donner à chacun la même chose.
La différence entre l’égalité arithmétique et l’égalité proportionnelle est celle qui sépare l’égalitarisme de la justice. Dans la question de ce que la loi doit dire sur le droit à adopter, à élever et à procréer des enfants, c’est par principe que doit s’appliquer la règle de l’égalité proportionnelle. À quoi ? Mais aux droits des enfants, puisque c’est de leurs vies qu’il est question.
Dans le domaine de l’adoption, personne ne songerait à traiter tous les demandeurs à égalité et en aveugle, ou en appliquant la règle « premier arrivé, premier servi ». D’autres critères entrent en ligne de compte, et nul n’a le droit de s’en offusquer, sous prétexte que les hétérosexuels qui procréent sans intervention de la société ne sont soumis par cette société à aucune sélection. Il est vrai que, pour les enfants à naître, c’est une loterie où il y a des chanceux et des pas-de-chanceux. Mais cette absence de justice (qui n’est pas une injustice étant donné qu’aucune règle n’entre en application) ne peut pas conduire à ce que l’on  autorise à mettre délibérément des enfants dans des conditions inégalement souhaitables pour eux.
L’égalité en droits à être agréés comme parents par la société ne peut être qu’une égalité dans l’application d’une règle à des cas inégaux au regard de l’intérêt des enfants.
Ce rappel élémentaire des principes de base ne fournit évidemment pas la réponse automatique à la question du droit des célibataires et des homosexuels à élever ou à procréer.
Son ambition est seulement de récuser la mise en avant de l’égalité arithmétique dans un domaine où elle n’a aucune légitimité.[/access]

*Photo : JaHoVil.

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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