La minisérie française de Canal+ L’Effondrement est un petit chef-d’œuvre d’intelligence et de réalisme.
Va-t-on bouder son plaisir ? Encore qu’en la matière, il soit difficile de parler du plaisir sinon du plaisir masochiste de contempler la fin du monde près de chez nous. C’est la dernière minisérie de Canal+. Elle est française, elle s’appelle L’Effondrement, elle comporte huit épisodes qui ne dépassent pas les vingt cinq minutes et elle est tournée entièrement en plans séquences, c’est à dire qu’elle a l’air de bout en bout d’un documentaire, façon Strip-tease de l’apocalypse, pour ceux qui se souviennent de cette excellente émission belge.
Peu de moyens, beaucoup d’idées
Huit épisodes dont chaque titre est digne du Nouveau Roman : Le supermarché (J+2), La station service (J+4), L’aéroport (J+6) et ainsi de suite jusqu’au huitième épisode qui nous ramène à J-5 sur le plateau d’une émission de Canal+ où un scientifique Cassandre est entré par effraction grâce à des militants façon Extinction Rébellion. Un présentateur arrogant avec ses chroniqueurs qui mélangent allègrement l’humour pas drôle et les postures morales le laisse parler, ce qui est le pire des cas de figures, le vrai piège de la société du spectacle jouant la carte de la dérision pour neutraliser les propos qui lui déplaisent plus surement que ne le feraient des vigiles en vous expulsant.
Qu’est-ce qui rend cette série aussi remarquable ? Paradoxalement, c’est son absence (relative) de moyens. L’Effondrement n’est pas un grand spectacle, il est vu à hauteur d’homme comme le Fabrice de Stendhal voit Waterloo. On ne comprend rien à l’ensemble de la situation, on ne sait pas pourquoi tout est en train de s’écrouler mais ce qui est sûr, c’est que plus rien ne va. Ni tremblement de terre, ni invasion extraterrestre, ni épidémie due à un virus mutant. Juste un système dont la logique interne suicidaire est arrivée à son terme. Ca commence par des pannes de courant, des terminaux de cartes bleues qui ne fonctionnent qu’une fois sur deux et des rayons à moitié vides dans un supermarché. Puis en quelques jours, c’est une station service qui va devenir le lieu d’une émeute malgré la présence d’un jeune flic aussi effrayé que les autres.
Les scénaristes ont lu les collaposologues
L’autre raison, c’est évidemment que les gens en question sur l’écran, incarnés par des acteurs remarquables, nous ressemblent terriblement. Pas forcément des héros mais pas non plus des salauds. Chaque épisode amène de nouveaux personnages mais par un scénario et un montage assez habile, on peut de nouveau les croiser comme personnages secondaires, mesurant ainsi la rapidité de la dégradation de leur situation.
S’agit-il d’une série pessimiste et catastrophiste ? On peut toujours répondre par l’affirmative pour se rassurer, dénoncer une propagande écologiste masquée. Il est évident que le parti pris des créateurs et réalisateurs, Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard et Bastien Ughetto n’est pas neutre. Ils ont lu les collapsologues comme Pablo Servigne. Mais il ne s’agit pas non plus d’un brûlot militant. La série prend comme possible un effondrement imminent et nous décrit ce qui se passerait dans ce cas-là, s’appuyant d’ailleurs sur l’idée implicite que cet effondrement a des précédents historiques (Juin 40 en France était un effondrement) ou qu’il est déjà une réalité dans un certain nombre de régions du globe où il n’existe plus de structures étatiques. La France dans cette série devient une Ethiopie comme une autre, mais une Ethiopie qui en plus a des centrales nucléaires qui demandent tout de même un minimum de surveillance et de moyens, ce qui n’est plus aussi évident à J+45.
La France a peur
On peut ne pas être d’accord avec la vision de cette série mais encore une fois reconnaître qu’il s’agit d’un bien bel objet télévisuel et surtout que le simple fait qu’elle ait été produite (les producteurs sont tout sauf des philanthropes et ils répondent à une demande) et qu’elle rencontre manifestement une belle audience est en soi est le signe d’une inquiétude encore informulée et diffuse dans la population, notamment la plus jeune : et pour cause, elle sera obligée de faire avec cette fin d’un monde, elle. Ou encore, la prendre comme un symptôme du peu de confiance que nous mettons désormais dans l’avenir des sociétés industrielles, ces sociétés qui ressemblent de manière de plus en plus visible à cette maison construite sur du sable dont parle l’Evangile.
L’Effondrement, 2019, sur Canal+ et Mycanal, 8 épisodes de 15 à 26 minutes, sur Canal +, avec notamment Audrey Fleurot, Thibault de Montalembert et Samir Guesmi.
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