Le dernier film de Gustave Kervern et Benoît Delépine met en scène un trio de gilets jaunes réjouissant et très drôle, interprété par Blanche Gardin, Denis Podalydès et Corinne Masiero.
Un film de Kervern et Delépine est toujours un évènement. Un film de Kervern et Delépine avec l’humoriste en vue Blanche Gardin est un double évènement. N’y voyant qu’une ode aux gilets jaunes réalisée par le duo “punk” – un terme galvaudé qui ne veut plus rien dire – il me semble que la presse mainstream et progressiste passe à côté de ce film subtil.
C’est bien plus que ça. Il est déjà lauréat de la Berlinale où il a obtenu un prix spécial mérité. Saluons tout d’abord les performances d’acteurs. Gardin, Podalydès et Masiero sont remarquables. Militante devenue agaçante, Masiero retrouve sa vis comica un peu brute. Podalydès est merveilleusement lunaire, comme à son habitude. Quant à Gardin, selon l’expression consacrée, elle crève l’écran de sa grâce maladroite et drôle.
L’enfer des nouvelles technologies
Une bande de « laissés pour compte » aux prises avec Big Brother et les nouvelles technologies décide de se révolter et de reprendre la main. Les situations sont intelligemment traitées, avec humour et finesse. Le personnage alcoolique et dépressif de Blanche Gardin subit un chantage à la sextape. Elle parvient à rester digne et combative, malgré le ridicule de la situation, celui qui l’a piégée l’ayant mis en scène avec une coiffe bretonne et un biniou ! Clin d’œil à Groland mais aussi aux « Galettes de Pont Aven ». Masiero, devenue VTC suite à une addiction aux séries TV (passage absolument hilarant) n’arrive à obtenir qu’une étoile sur le système de notation infantilisant et révoltant de son application, malgré tous ses efforts bourrus et cocasses. Quant à Poladylès, sa fille subit un harcèlement en ligne violent et dégueulasse. Ce phénomène, qui peut mener au suicide, est traité avec beaucoup de pudeur.
Les films de Kervern et Delépine sont des quêtes, des fuites en avant. Les personnages finissent par y retrouver ce qu’ils avaient perdu: leurs justes places dans l’existence. Mais là où Depardieu dans « Mammuth » chevauchait sa moto pour partir à la recherche de son passé, notre trio va à la recherche de son futur, pour essayer de réparer le présent. Oui le trio a pris un rond-point. Mais ils évoquent ce passé de gilets jaunes avec nostalgie, comme une aventure à laquelle ils croyaient qui n’a pas aboutie. Ils y retournent comme en pèlerinage, sans rage aucune.
Marilyn Monroe en gilet jaune
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce film m’a fait penser aux Désaxés (« The Misfits », 1961) de John Huston avec Marilyn Monroe et Clark Gable. Comparaison osée me direz-vous. Les personnages de « Effacer l’historique » sont pourtant bien des misfits, des inadaptés qui essaient de s’en sortir avec élégance et humour. Comme ceux du film de Huston, ce sont des compagnons d’infortune qui s’unissent pour échapper à un quotidien mortifère. Blanche Gardin, dans sa robe rouge à paillettes a quelque chose de marilynesque ! Une grâce entre le tragique et le comique. Gable disait à Marilyn: « Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi malheureux que vous », et Marilyn de répondre « On me dit habituellement que je suis si gaie… » Voilà des mots qui pourraient parfaitement convenir au personnage de Blanche Gardin.
Les plans sont léchés mais sans excès, la lumière est soignée, sans artifices. Le photographe anglais Martin Parr n’a qu’à bien se tenir ! un plan en particulier est magnifique : sol blanc, tongs jaunes de Blanche Gardin, ongles de pieds vermillon, et à côté une tranche de jambon qui traîne. La bande son est faite pour les Inrocks – quand ils n’étaient pas encore une feuille de chou militante. Avec notamment ce morceau du mythique chanteur indé Daniel Johnston : « True love will find you in the end », hymne à la gloire des réprouvés.
Michel Houellebecq fait une apparition dans le film en suicidaire, rien de moins surprenant. Souvenons-nous de ses mots pendant le confinement : « Le monde d’après sera le même en un peu pire ». Avec leur talent, leur lucidité et leur humour, Kervern et Delépine rendent notre monde orwellien supportable. Le temps d’une heure et quelques.
Effacer l’historique, écrit et réalisé par Benoît DELÉPINE et Gustave KERVERN, sortie le 26 août 2020, 1h46.
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