Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV, a lancé sa campagne pour les élections régionales d’une bien étrange manière, en stigmatisant par avance les électeurs connus et inconnus qui ne voteront pas pour lui mais aussi une potentielle partie de son électorat, à savoir ces « seniors » ou « boomers » qui ne l’ont pas attendu pour être écolos.
« Les boomers, eux, ont prévu d’aller voter »
Eric Zemmour, Alain Finkielkraut et Gérald Darmanin iront voter lors de ces élections, prévient sombrement une affiche de campagne EELV sur les réseaux sociaux – sous-entendu, si tu ne vas pas voter pour nous, blaireau, t’auras laissé le champ libre aux fachos et au chef de notre police toute pourrie. Les autres “fachos” et “les chasseurs” iront voter, prévient une autre affiche – sous-entendu, ces gros beaufs racistes et avinés vont te bouffer la laine bio sur le dos si tu ne vas pas voter pour les Verts. Plus surprenant encore, une derrière affiche représente des couples sexagénaires souriants et se promenant sur la plage : « Les boomers, eux, ont prévu d’aller voter » – sous-entendu, les “boomers”, qui ont tous bien profité des trente glorieuses et se sont gobergés sur le dos de leurs enfants et petits-enfants, ne voteront pas pour EELV le gentil parti qui dénonce la croissance, l’automobile, le sapin de Noël, les avions à hélices et les bateaux à voile, toutes ces abominations adorées par cette génération de dégénérés qui a abîmé notre “mère-planète” et qui refuse les champs d’éoliennes et les transports de troupeaux en commun.
Les affiches à peine apparues sur les écrans, nombre de ces “boomers” ont tenu à répondre vertement à Julien Bayou. Parmi eux, une prénommée Odile lui a écrit une lettre (relayée sur son compte twitter par Eugénie Bastié) pour lui dire ses quatre vérités dont celles-ci : 1) née en 1951 elle ne l’a pas attendu pour être à sa manière et sans ostentation “écolo” ; 2) elle a commencé de travailler à l’âge de 23 ans avec un enfant de six mois sur les bras, sans pleurnicher et avec des moyens autrement plus rustiques qu’aujourd’hui (les couches en tissus, entre autres) ; 3) les vêtements étaient achetés « avec parcimonie » ou confectionnés par la « belle-mère avec sa machine à coudre », « pas de gâchis » ; 4) on apprenait aux enfants à ne pas gaspiller, à ne pas jeter les déchets par terre, à conserver leurs jouets, etc. 5) conclusion en forme de baffe : « À l’époque il n’y avait pas de parti écologiste… je n’ai pas eu besoin de vous pour être respectueuse de la nature. Cessez de nous traiter avec tant de mépris, cessez de jeter l’opprobre sur nous et cessez de nous mettre dans la catégorie des pollueurs et des profiteurs… ce qui est loin d’être la réalité… que vous ne semblez pas bien connaître. » Dans la foulée de cette lettre, des centaines de sexagénaires et septuagénaires se sont défoulés sur la toile pour confirmer les propos d’Odile, botter les fesses d’EELV, et rappeler ce qu’était la vie réelle des Français dans les années 50 et 60, bien différente de celle d’aujourd’hui et de celle qu’imaginent les jeunes militants écologistes. En soixante ans, une grande partie des ouvriers, des employés de petites entreprises et des paysans, a été remplacée par une nouvelle classe de cadres moyens, de fonctionnaires, d’employés dans le tertiaire, de diplômés du supérieur qui ont élu domicile, bon gré mal gré, dans les villes.
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En 1950, la population urbaine représentait 55% de la population totale, en 2019 le chiffre approche 80%. Nos campagnes et nos villages n’offrant guère d’autres attraits que la vie paisible au milieu des champs, et d’autres voisinages que ceux des troupeaux de vaches ou d’étranges oiseaux nocturnes, ils se désertifient. Les écologistes imaginent les solutions les plus mortelles pour les “revitaliser”, et d’abord la “transition écologique” via l’installation démesurée d’éoliennes. Un type de Français les insupporte parce qu’il fait encore obstacle : celui du monde d’avant, le “boomer”, le chasseur, le bouffeur de viande, le pilier de bistrot, l’automobiliste, le facho qui aime l’histoire de son pays, le réac qui se plaint de voir ses paysages dévastés par les éoliennes.
La nature est devenue la bio-diversité, la campagne une “zone rurale à revitaliser”
Les écolos d’EELV ne savent pas grand-chose de l’histoire de leur propre pays et de ses habitants. Pour les militants moins que quarantenaires, le Français modeste d’avant leur naissance est un peu celui de Cabu : un beauf qui pollue, qui est grossier et un peu raciste sur les bords, qui picole et se fout comme de sa première bouteille de Ricard de la nature, laquelle est tombée en désuétude pour devenir la “biodiversité” du techno-monde écologique, tandis que la campagne se transformait en “zone rurale à revitaliser”. Au simple désir de ne pas souiller la nature a succédé l’ardente prétention de protéger un “écosystème” qui évoque moins la vie des papillons que l’embourgeoisement technocratique de l’écologie politique. D’une certaine façon l’écologiste politicien combat depuis toujours le même adversaire que l’ogre davosien : le Français d’avant qui avait de si mauvaises manières, qui élevait ses enfants (et non l’inverse), qui achetait avec mesure et selon ses moyens, qui savait réparer les appareils ménagers ou le moteur de sa mobylette, qui ne savait rien de son empreinte carbone et, surtout, qui était français de ce peuple français et pas encore ce “citoyen du monde” sans attaches, gros consommateur de toute la quincaillerie numérique et écologique, dressé par ses propres enfants à remplir son cahier de devoirs écologiques et à adorer Sainte Greta.
L’écologie politique est idéologiquement collectiviste. Elle se veut la gardienne des troupeaux de post-humains égarés dans les “coulées vertes” artificielles ou les faméliques “forêts urbaines” des futures villes éco-responsables, durables, “dégenrées” et “décarbonées”. Pour cette écologie collectiviste et punitive, l’individu propriétaire de sa maison, le solitaire au volant de sa voiture, les “boomers” censés ne rien comprendre aux “enjeux environnementaux”, sont au mieux des égoïstes, au pire des fachos ; ils doivent être clairement identifiés, désignés et punis, ne serait-ce que par un placardage politique et vindicatif – en attendant le “délit d’écocide” individuel.
Bayou a adopté l’écriture inclusive
Sur les mêmes réseaux sociaux, Julien Bayou a quand même reconnu que le « visuel “boomer” était maladroit et blessant ». En revanche, les visuels sur les fachos et les chasseurs sont apparemment demeurés en l’état et ne sont donc ni maladroits ni blessants. En outre, le message d’excuses du secrétaire national d’EELV est écrit en écriture dite inclusive, ce charabia que ne peuvent comprendre que les authentiques progressistes écolos, libertaires, féministes, ou sympathisant.e.s des mouvements Génération.s et autres Engagé.e.s. Pour une grande majorité de Français cette bouillie de lettres est incompréhensible, et dans sa forme et dans son intention.
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Vu d’EELV, ce constat – d’indécrottables Français restent, linguistiquement parlant, des réactionnaires et des fachos – sera peut-être l’occasion d’une prochaine campagne d’affichage :
« Les ceux et ceusses, fachos et fachottes, qui refusent chacun.cune d’écrire inclusivement, ont prévu d’aller voter eux, elles, iels, uls et ols, pour défendre leurs intérêts. Et vou.e.s ? »