David Angevin se souvient de Mathias Aggoun, décédé récemment d’un cancer, et qui avait pâti de l’arrivée d’EELV à la mairie.
Élevé dans le Nord, Mathias Aggoun avait le sens de la convivialité du Ch’ti pur jus, ce qui cumulé à ses origines algériennes en faisait un homme chaleureux et tonitruant. Quand il est arrivé à Poitiers sans connaître personne, il a fait ce que font les nordistes pour s’intégrer : il s’est installé seul dans un bar, a commandé une bouteille, et a attendu sourire aux lèvres que les autochtones s’assoient à sa table pour faire connaissance. Le poitevin étant souvent froid et distant, Mathias est resté seul avec sa bouteille. Si le film « Bienvenue chez les Pictaves » devait exister, il consisterait à un éloge du rien qui dépasse, du pessimisme, de l’absence totale d’ambition pour la ville et de l’ennui, avec Depardieu dans le rôle de Mathias. Sur les terres d’Aliénor d’Aquitaine, pour vivre heureux on vit caché. Et on n’étale ni ses ambitions, ni ses opinions.
L’histoire d’amour de Mathias Aggoun avec Poitiers a démarré timidement, donc, avant de s’emballer. Il devient journaliste dans le journal local, La Nouvelle République, pour gagner sa vie, puis s’implique au sein du Parti Socialiste. Homme de gauche, républicain fervent, défenseur de l’universalisme et de la laïcité —comme on savait encore l’être à l’époque au PS—, Mathias Aggoun creuse son trou et connaît bientôt tout le monde dans la Vienne. Il devient directeur de cabinet du député-maire Alain Claeys. Plus qu’un simple « dircab », il est le deuxième cerveau, la plume, le bras droit, le rédacteur des programmes électoraux d’Alain Claeys, élu deux fois maire de Poitiers en 2008 et 2014. Passionné de politique depuis l’enfance, engagé au PS au point de diriger la section locale, et d’organiser le congrès national du parti à la rose en 2015 à Poitiers, Mathias n’était pas un militant sectaire. Les idéologues formés au MJS (Mouvement des jeunes socialistes), qu’il avait rebaptisé « l’école du vice », aujourd’hui proches de Macron pour les plus connus d’entre eux, l’agaçaient au dernier degré. Notre amitié était la preuve de son ouverture d’esprit, moi qui ne manquais jamais une occasion de dégommer le bilan de la mitterrandie, de Hollande, et le bateau à la dérive qu’était devenu le parti du navrant Olivier Faure. Directeur de cabinet, il faisait preuve de la même ouverture intellectuelle: l’intérêt général l’emportait toujours sur toute considération partisane, et aucun membre de l’opposition n’a jamais eu quoi que ce fut à lui reprocher. La rigueur et l’éthique au service de la rationalité, voilà comment on pouvait décrire le duo qu’il formait avec le maire à la tête de Poitiers. Et ce n’est pas un « camarade » du PS, tant s’en faut, qui l’écrit. Mathias Aggoun aimait sa ville d’adoption, et tous ceux qui l’ont côtoyé, quelle que soit leur sensibilité politique, appréciaient ce gaillard au physique de rugbyman, à la fois ouvert et pudique.
Développer le tourisme à Poitiers
Quand il quitte à sa demande ses fonctions de dircab, Aggoun prend peu après la tête de l’Office du tourisme de Poitiers. Le tourisme, c’est son autre passion. Son bilan carbone aérien aurait fait tourner de l’œil à un collapsologue. Il fourmille d’idées pour Poitiers, et rendre plus attractive cette ville patrimoniale magnifique mais méconnue des Français. La faute à une stratégie de communication d’un autre temps, on ne vient dans la Vienne que pour le « Futuroscope », un parc d’attractions planté dans les années 80 par René Monory au bord de l’autoroute A10, loin du centre. Doté de sa propre gare TGV betterave, le parc propose à ses visiteurs l’expérience unique de voir le futur tel qu’on l’imaginait dans les années Minitel : soit une plongée dans les années 2000 en 2022. Poitiers doit compter sur d’autres atouts, dont la beauté de son centre-ville historique pour attirer le touriste.
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C’est à ce moment que la loterie génétique frappe à la porte. Mathias apprend qu’il souffre d’un cancer. « La nature n’est pas bien faite, disait le médecin prix Nobel Christian De Duve, « elle ne traite pas mieux le poète que le scorpion ». Entouré par les siens, il ne lâche rien, et surtout pas son travail au service de la ville. Il fait le job, comme si de rien n’était. Des années durant il enchaîne les interventions et les traitements épuisants avec une détermination incroyable. Tous ceux qui ont vu un proche mené ce combat contre le cancer sauront de quoi je parle.
La vague verte de 2020
Au printemps 2020, pandémie et abstention massive brouillent les cartes des élections municipales. Les candidats verts arrivent premiers dans un concours de circonstances. Comme Marseille, Bordeaux, Lyon ou Grenoble, Poitiers se retrouve avec un maire EELV. À entendre la nouvelle maire de Poitiers et ses amis d’extrême gauche, c’est la victoire de l’humanisme, de la solidarité, de l’amour de la planète et de son prochain. « L’ancien monde » politique, patriarcal, irresponsable avec Gaïa et très méchant, laisse la place au fameux « monde d’après », inclusif, solidaire, citoyen, et bienveillant. Une page se tourne. Le soleil vert se lève enfin sur Poitiers. Mais le « monde d’après » révèle son vrai visage, clanique et inhumain, assez rapidement. Quelques mois après son élection, les nouveaux patrons de Poitiers manœuvrent pour éjecter Mathias Aggoun. En plein combat contre la maladie, il est évincé de son poste à la tête de l’Office du tourisme. Le voilà au chômage, quand personne n’avait à redire sur son travail. Une exécution politique en place publique d’une indignité rare. Malade ou pas, les Khmers verts et leurs alliés de l’agglomération ne font pas de prisonniers. Pour l’écologie politique, un opposant ça s’élimine. « Les règlements de compte mesquins qui me valent mon éviction brutale n’arriveront pas à ternir le sentiment du travail bien fait », déclara alors Mathias dans la presse en quittant son poste. En privé, chacun souligne la barbarie inédite de la méthode. En public, comme dans un film de Claude Chabrol, cinéaste de la province et de l’hypocrisie, personne ne moufte par peur des représailles.
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Le 29 novembre 2021, à peine quelques mois après son renvoi par les Verts et leurs alliés, dont les mots peinent à décrire le dégoût qu’ils m’inspirent, Mathias Aggoun est parti à l’âge de 49 ans.
Oubliée la solitude du premier verre, siroté seul dans un bar de la ville. Il y avait tellement de monde à ses obsèques que beaucoup de Poitevins sont restés à l’extérieur de l’église Notre-Dame. Toute honte bue, les responsables de son éviction étaient dans l’église, peut-être inconscients de l’indécence de leur présence. Ni oubli, ni pardon, en ce qui me concerne, pour ces humanistes en carton recyclé, qui prétendent incarner le « camp du bien » et se drapent dans la vertu à longueur de journée. Certaines choses ne se font pas, y compris en politique.
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