On ne compte plus les profs insultés voire violentés par leurs élèves. Loin d’être soutenus par leur hiérarchie, ils n’ont le plus souvent droit qu’au mépris. Mais pourquoi au lieu de se révolter, les enseignants font-ils preuve d’une soumission toujours accrue ?
Enceinte de six mois, poussée volontairement dans l’escalier par un élève, Anne évite de peu la fausse couche : son proviseur l’enjoint de ne pas porter plainte. Alors qu’il fait cours, Cyril se fait traiter d’« enculé ». Son chef le somme de s’excuser auprès de son insulteur, en présence des parents de celui-ci : c’est au prof qu’il revient, l’avise-t-on, « d’apaiser les tensions » afin de « normaliser la relation » à l’élève. Aberration isolée ? Cas particulier ? Non, ces réactions correspondent exactement aux consignes données par le ministère de l’Éducation nationale. Ainsi, est-il maintenant d’usage qu’on ramène dans nos classes les élèves que nous venons d’exclure. Ainsi, les insultes, les menaces, les coups mêmes échangés dans le cadre d’un établissement sont-ils au mieux « sanctionnés » par un « sursis », assorti pour les cas les plus lourds d’un changement de classe. Face à cet abandon délibéré de la part de l’institution qui les emploie, aucune rébellion, pourtant, de la part des profs. Dociles, ils acceptent sans broncher l’humiliation que constitue l’inversion totale des valeurs et des rôles qu’on leur inflige.
Le prof, fusible de l’idéologie
Certes, le fonctionnaire a une obligation à l’égard de sa hiérarchie. Cependant, cette obligation n’a aucune légitimité si elle ne va pas de pair avec la solidarité de l’institution à l’égard de ceux qui travaillent pour elle. Or, lorsque le prof français des années 2000 est agressé, non seulement il n’est pas soutenu par ses supérieurs, mais il se voit d’emblée considéré par eux comme un coupable en puissance. Cette aberration administrative est directement liée à l’idéologie : malgré un discours qui prétend le contraire, l’élève n’a en réalité plus aucun compte à rendre à une institution scolaire qui l’« inclut » désormais inconditionnellement. Ainsi chargés par le ministère d’appliquer une « bienveillance » à tous crins, y compris et surtout envers les cancres et les fauteurs de troubles, les personnels de direction se voient de surcroît sommés – bien que tacitement – de mentir par omission sur les conséquences concrètes de ces mesures. En effet, le réel n’a pour l’Éducation nationale qu’une raison d’être : confirmer la pertinence et l’efficacité de ce qui se décide Rue de Grenelle. Ainsi le prof, bien placé pour connaître les effets de l’idéologie appliquée, constitue-t-il
