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Et maintenant l’Éducation nationale recrute avec des séances de job dating

Pap Ndiaye, qu’est-ce que vous en pensez?


Et maintenant l’Éducation nationale recrute avec des séances de job dating
Le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye quittant l'Elysée après le Conseil des ministres © Jacques Witt/SIPA

Nos services publics vacillent alors que l’ancien monde accouche dans des convulsions d’une société qu’on qualifiera pudiquement de «nouvelle». La présence d’enfants ukrainiens dans nos établissements scolaires est venue rappeler dernièrement la médiocrité de notre système éducatif.


Paul Valéry nous avait dit, en 1919, dans La Crise de l’esprit : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Mais nous l’avions un peu oublié.  Aussi, Michel Maffesoli dans son excellent essai sur notre époque : L’Ère des soulèvements (Éditions du Cerf, 2021, chapitre IV), nous rafraîchit utilement la mémoire : « Faut-il encore le rappeler ? Époque, en grec, cela signifie parenthèse ». Une parenthèse, comme chacun sait, c’est quelque chose qui s’ouvre et qui se ferme (…) Nous sommes dans une période de transition entre deux époques. L’époque moderne, celle de l’individualisme, du rationalisme, du productivisme, de l’économicisme et l’époque que faute de terme approprié on nommera postmoderne, dont nous discernons à peu près les grandes structures : tribalisme, nomadisme, hédonisme, présentéisme. »

Notre Service public : hôpital, police et école, vacille, en effet, alors que l’ancien monde accouche dans des convulsions d’une société qu’on qualifiera pudiquement de « nouvelle », tout le monde sera au moins d’accord là-dessus. J’aimerais à ce propos évoquer un sujet que je connais un peu : l’école et la faillite totale de notre Éducation nationale.

Dans les établissements scolaires, on n’enseigne plus, on anime, voire on contient. Les professeurs sont usés, déconsidérés, couramment insultés voire molestés par des élèves et des parents que l’administration soutient, préférant lâcher ses enseignants plutôt qu’entrer en conflit avec des usagers mécontents du service proposé.

Enseigner est devenu un enfer

Aussi, on essaye par tous les moyens de fuir ce qui est devenu un enfer : les absences pour courtes ou longues maladies se multiplient. Elles sont facilement accordées, tant la souffrance au travail est réelle et reconnue par les médecins. Les mises en disponibilité, les démissions et les tentatives de demandes de rupture conventionnelle (possibles depuis peu, mais très difficiles à obtenir) se multiplient. La poussière planquée sous un tapis pourtant solidement plaqué au sol s’envole et ça commence à se voir.

Il n’y a plus de professeur face aux élèves qui passent de nombreuses heures en permanence. Quant à la qualité de ce qui est enseigné, l’histoire de deux adolescents ukrainiens recueillis par une de mes connaissances dans le Var et amenés, par la même, à fréquenter brièvement le lycée du secteur édifiera ceux qui auraient conservé quelques illusions.

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Les deux adolescents, scolarisés en Seconde et en Première se sont fermement ennuyés en raison du faible niveau dans les matières scientifiques enseignées. Ils avaient déjà traité le programme les années précédentes en Ukraine et donnaient justement la solution des problèmes proposés, alors qu’ils ne connaissaient pas notre langue. Les élèves français, eux, peinaient à suivre les raisonnements. Ce qu’eurent, de plus, beaucoup de mal à comprendre les jeunes Ukrainiens fut le nombre des heures qu’ils durent passer à la bibliothèque ou dans la rue, livrés à eux-mêmes en raison des absences des professeurs.

Qu’on se rassure, et c’est triste pour nous, ils suivent depuis quelque temps déjà l’école en ligne qu’a rapidement mis en place l’Ukraine à destination de ses élèves qui ont dû fuir le pays.

Des entretiens d’embauche de 30 minutes

Pour tout arranger, les candidats boudent les concours de recrutement – on se demande bien pourquoi, avec les conditions de travail gratifiantes proposées, les perspectives d’évolution enthousiasmantes et le salaire si attractif. On salue donc la nouvelle entreprise bienvenue pour remédier à ce désastre et pourvoir les nombreux postes vacants. On a su, comme d’habitude, réagir vite et bien pour pallier la pénurie d’enseignants qui se profilait à la prochaine rentrée scolaire.

À nouvelle époque, nouvelles mesures : dans l’Académie de Versailles où 1 430 postes sont à pourvoir en septembre, on a compris que les annonces sur Leboncoin ne suffiraient pas à attirer le chaland. Aussi, on a eu la bonne idée, dans l’air du temps, d’organiser un « Job dating ». Imaginé sur le principe du Speed dating qui donne dix minutes à deux célibataires pour s’entretenir face à face et ainsi éprouver leur compatibilité, le « Job dating », concept dans lequel Pôle emploi s’associe à l’Académie, propose à des candidats de niveau Bac + 3 un entretien d’embauche de 30 minutes.

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Celui-ci est mené par des inspecteurs de l’Éducation nationale, des conseillers pédagogiques ou des fonctionnaires des ressources humaines du ministère. L’étude des CV des candidats suivra ces entretiens. Ceux dont le dossier sera retenu seront alors convoqués pour un entretien avec l’inspecteur de la discipline dans laquelle ils postulent. Ils bénéficieront ensuite d’un stage de formation dispensé à la fin du mois d’août, par l’Académie.

Les profils des postulants sont une ode à la diversité qui prévaut à notre époque : danseurs, musiciens, enseignants étrangers, aspirants à une reconversion. Tous ceux qui aiment la jeunesse sont les bienvenus. Venez comme vous êtes. Autres temps, autres mœurs : il est temps qu’on en finisse avec le CAPES (qui ne vaut du reste plus grand-chose) et l’agrégation. À l’ère de « l’Homo Festivus » imaginée par le visionnaire Philippe Muray, il n’y a plus rien à transmettre. Panem et circenses : on veut de joyeux animateurs. Ce que je trouve un peu malhonnête, quand même, dans cette formidable entreprise c’est qu’on n’insiste pas assez, lors de l’entretien d’embauche, sur le gabarit de lutteur de foire que requiert ce job de dompteur de fauves.

Mais gardons espoir et méditons ce que dit Michel Maffesoli dans le premier chapitre de l’Ère des soulèvements : « C’est cela le cycle du monde. Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire sinon que la beauté du monde naît, justement de l’humus, du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Règle universelle faisant de la souffrance et de la mort des gages d’avenir. »

Tout compte fait, les écolos qui mettent des bacs à compost dans les écoles en lieu et place des cages de foot sont des sages. Nous devrions en prendre de la graine, au lieu de récriminer. Attendons, les pieds dans la boue, la fleur de lotus qui ne manquera pas d’advenir de tout ce cirque.

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est professeur de Lettres modernes

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