Au nom de principes louables, écoles et lycées accueillent désormais des élèves autistes, hyperactifs, voire psychotiques. Ces handicapés parfois, hélas, inaptes à tout apprentissage scolaire plombent le travail des professeurs. Et ne parviennent pas à progresser.
Tout comme l’écriture inclusive massacre allègrement la langue, l’école du même nom porte un coup de plus à ce qu’il reste de l’institution.
Qu’est-ce que l’école inclusive ? Pour faire bref, c’est une école qui repose sur le principe d’inclusion de tous les enfants, quel que soit leur handicap, la loi pour la refondation de l’école de 2013 mettant en avant le droit à l’éducation pour tous. Najat l’a dit, Blanquer le dit à son tour : il faut inclure. Tout cela est bel et bon ; qui voudrait en effet priver les enfants et jeunes gens, quels qu’ils soient, de l’instruction nécessaire à leur développement psychique et intellectuel ?
La fausse bonne idée du moment
Dans la réalité, comme souvent, les choses ne sont pas si simples : là où le principe est séduisant, sur le papier, l’expérience du terrain devrait refroidir les enthousiasmes bureaucratiques de la Rue de Grenelle. Dans le lycée où j’enseigne, au nom de cette inclusion devenue la règle, il n’est pas rare de trouver dans une même classe un ou deux élèves handicapés moteurs, ou sourds, malentendants, malvoyants, autistes, hyperactifs, voire psychotiques… dont la situation nécessite bien souvent l’assistance d’un AVS (auxiliaire de vie scolaire) ou d’un AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap) pendant les cours et parfois même pendant les repas. Une amie m’a récemment parlé des troubles du comportement d’un élève de collège, qui déchiquette les documents donnés par les professeurs, puis s’en prend à sa table à coups de ciseaux… Sont également considérés comme souffrant d’un handicap les élèves diagnostiqués « dys- », dyslexiques, dysorthographiques, dyscalculiques, dyspraxiques – et j’en oublie sans doute : il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur ces profils, dont certains présentent une pathologie avérée et beaucoup paraissent hélas simplement inaptes à tout apprentissage scolaire. Mais comme la tendance est à l’euphémisation, l’école ne nomme plus la carence intellectuelle et préfère parler de maladie : exit le mauvais élève, faites entrer le malade.
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Et il y a inflation de malades dans cette école hospitalière : dans la classe de sixième d’un collègue, sur un effectif de 28 élèves, on n’en compte pas moins de 20 diagnostiqués « à problème(s) ». Les listes sont désormais interminables d’élèves bénéficiant d’un PAI (projet d’accueil individualisé) ou d’un PAP (plan d’accompagnement personnalisé), c’est-à-dire de protocoles spécifiques établis par un spécialiste de la spécialité, orthophoniste ou médecin, leur permettant d’utiliser un ordinateur en classe, d’avoir un tiers-temps supplémentaire pour un devoir surveillé, de se faire relire les consignes afin de s’assurer de leur bonne compréhension, sans parler de ceux à qui il faut donner un plan préalable du cours, voire un compte-rendu détaillé de ce qui aura été fait en classe, parfois en caractères d’impression adaptés à la déficience visuelle de l’élève concerné. Les documents de suivi que nous recevons sont remplis de formules du type « lenteur dans les apprentissages », « difficultés de lecture », « mauvaise maîtrise du geste graphique », « concentration difficile »… Peut-être faudrait-il s’interroger d’une part sur ce qu’a fait l’école avant que ces élèves arrivent dans le secondaire, et d’autre part sur la nocivité des écrans (parfois plébiscités par cette même école) dans leur construction personnelle. Beaucoup ne savent pas manier un stylo correctement, se concentrer plus de dix minutes, lire (et comprendre !) ce qui est écrit. Certains élèves ont d’ailleurs bien saisi le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer : ils s’abritent derrière le diagnostic pour ne faire aucun effort et le brandissent parfois pour se dédouaner de toute responsabilité dans leurs insuffisances. Quand on vous dit qu’ils sont malades !
Bref, le handicap, qu’il soit légitimement reconnu tel ou devenu un simple cache-misère, fait l’objet d’une explosion spectaculaire depuis quelques années. Et la tâche d’enseigner s’en trouve grandement compliquée, voire compromise : comment transmettre un savoir à 30 ou 35 élèves dont plusieurs parmi eux auraient besoin d’un effectif réduit et de structures adaptées à leur(s) pathologie(s) ? Comment envisager de dispenser simultanément 35 cours particuliers, en répondant aux besoins spécifiques de chacun et en tenant compte de la disparité des profils ?
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L’une de mes collègues, cette année, enseigne dans une classe de seconde « à la Prévert ». Voyez plutôt la liste : un élève lourdement handicapé en fauteuil, issu d’une classe ULIS (c’est-à-dire un dispositif spécialisé pour des enfants/adolescents en grande difficulté), un élève autiste, plusieurs PAP/PAI – comme dans toutes les classes aujourd’hui –, auxquels s’ajoutent quatre Syriens fraîchement débarqués qui ne parlent évidemment pas la langue française. Loin de moi l’idée de considérer les Syriens comme des handicapés – il ne manquerait plus qu’une ligue de vertu antiraciste me tombe dessus ! –, mais à force d’inclure tout le monde, quelle que soit l’origine des difficultés d’apprentissage, on va sans doute faire beaucoup d’économies (serait-ce là le fin mot de l’affaire ?), mais on ne peut pas prétendre que la qualité de l’enseignement ne s’en ressente. Il a fallu récemment que ma collègue explique en classe les mots « lycéen » et « balançoire », on en est là. Je rappelle que nous sommes censés aborder avec eux les grands auteurs, les amener à réfléchir à de profondes problématiques littéraires, tout en les initiant aux subtilités du commentaire et de la dissertation. De qui se moque-t-on au juste ? Des professeurs, c’est sûr, des élèves également, qui sont plus à plaindre qu’à blâmer : ils sont certainement les premiers à se demander ce qu’ils font là.
Où l’on voit bien qu’il ne s’agit plus d’enseigner, de transmettre un savoir – puisque les conditions pour le faire ne sont pas réunies, et qu’on en multiplie même sciemment les empêchements –, mais de favoriser – tout du moins de le faire croire – l’épanouissement personnel de tous parmi tous. En réalité, tout le monde est perdant : l’élève réellement handicapé dont le profil suppose une structure adaptée pour espérer évoluer, l’élève abusivement décrété handicapé qui ne fournit aucun effort, l’élève lambda qui peut dans ce contexte être ralenti dans sa progression et le professeur qui voit ses conditions d’exercice lourdement aggravées. Et je ne suis pas persuadée que la vie qui attend cette multitude dysfonctionnelle fera preuve de la même bienveillance maternante et lui accordera pour accomplir ses tâches et missions professionnelles les mêmes conditions d’accompagnement qu’à l’école. Décrétons le tiers-temps pour tous les « dys- » au sein de l’entreprise, les patrons vont bien rigoler ! Il ne s’agit pas de nier les difficultés des uns et des autres, mais les préparer aussi aux contraintes de la vie réelle ne serait peut-être pas complètement stupide… Beaucoup parmi ces élèves, plutôt que de réclamer sans cesse des adaptations du système à leur(s) problème(s), gagneraient à s’efforcer de s’adapter à ce qui leur est demandé dans le cadre fixé pour le plus grand nombre. Accommoder l’apprentissage au cas par cas, au-delà de l’impossibilité pratique de la chose, ne fait que conforter les individus dans leurs difficultés et les empêche en fait de tenter de s’en extraire. On pourra juger du service qu’on leur rend…
L’égalitarisme en marche
Finalement, tout cela est assez caractéristique d’une époque qui, sous couvert de respect des différences, se refuse à discriminer, c’est-à-dire à reconnaître que, précisément, les différences existent : le handicapé n’est pas le valide, la femme n’est pas l’homme, l’étranger n’est pas l’autochtone. L’égalitarisme dont nous souffrons aujourd’hui est un nivellement, une indifférenciation, et finalement une négation de l’Autre. Tout est dans tout, et réciproquement : Alphonse Allais pourrait avoir défini avant l’heure notre formidable époque (moins drôle que lui !) qui vante les individus interchangeables et liquides.
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L’ouverture tous azimuts a cours dans tous les domaines, et il est malvenu de la remettre en question : le procès en xénophobie n’est jamais loin quand il s’agit de défendre l’idée de frontière, de nation, d’identité, et critiquer l’école inclusive peut vite valoir soupçon de « handiphobie ». N’est-il pas pourtant légitime de se demander si, derrière les bons sentiments, l’apparente générosité de cet accueil inconditionnel, on n’est pas en train de détourner l’école de sa mission première, qui consiste à transmettre un savoir et non œuvrer au « vivre-ensemble » ? Tout comme on est en droit de s’interroger sur les risques d’une société multiculturelle inclusive, qui détruit la cohésion en juxtaposant des différences inconciliables.
À ce titre, l’expression officielle, présente dans le texte de loi comme dans la bouche des technocrates qui vantent le processus d’inclusion, est loin d’être anodine : on ne parle pas d’élèves handicapés, mais d’élèves « en situation de handicap ». Intéressant glissement du terme propre à cette périphrase assez grotesque : non seulement on ne nomme plus pour ne pas stigmatiser, mais on laisse entendre que le handicap ne serait qu’une situation parmi d’autres, ni plus ni moins problématique. Habile façon de banaliser et de faire admettre l’amalgame de tous les élèves en ramenant le handicap à n’importe quelle autre situation. Inclure, disent-ils… tout en renonçant aussi à mettre dehors les absentéistes et les perturbateurs, c’est-à-dire ceux qu’on devrait exclure.
Il ne suffit pas de vouloir inclure pour que l’inclusion fonctionne ; on est encore une fois, comme dans bien des domaines, dans l’incantation qui fait fi du réel. Les problèmes existent, il est bon de les exposer, et cette école inclusive qui refuse de les envisager ressemble plutôt à une école élusive.
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