Accueil Politique Edouard Philippe: Doudou le cogneur à Matignon

Edouard Philippe: Doudou le cogneur à Matignon


Edouard Philippe: Doudou le cogneur à Matignon
Edouard Philippe à l'Assemblée nationale, décembre 2015. SIPA. 00734054_000014
Edouard Philippe à l'Assemblée nationale, décembre 2015. SIPA. 00734054_000014

La préparation de la nomination d’Edouard Philippe au poste de Premier ministre du président Macron est un petit chef d’œuvre d’habileté politique et de maîtrise de la communication. Dès les résultats du premier tour, alors que la victoire du patron d’En Marche! relevait de l’évidence, son nom était évoqué dans le microcosme comme candidat sérieux à Matignon. Qui mieux que lui est, en effet, capable d’empêcher que la droite des Républicains, reprise en main par les sarkozystes après la débâcle Fillon, n’impose d’emblée une cohabitation à Emmanuel Macron, en obtenant une majorité à l’Assemblée nationale ? Contrairement au PS, la droite dite républicaine est certes touchée, mais pas coulée, et peut espérer se refaire en comptant sur l’implantation locale de ses députés sortants, et sur le relatif échec de Marine Le Pen, démoralisant quelque peu l’électorat d’un Front national en proie à des turbulences internes.

Impatient de jouer les premiers rôles

Premier lieutenant d’Alain Juppé, anti-sarkozyste virulent, vierge de toute participation à un gouvernement des deux quinquennats précédents, le député-maire du Havre, 46 ans, n’est pourtant pas un total inconnu sur la scène médiatico-politique. Il s’est fait connaître du grand public comme porte-parole d’Alain Juppé tout au long d’une primaire de la droite qui s’annonçait comme une chevauchée victorieuse et s’est terminée par une défaite en rase campagne devant l’outsider François Fillon. Cet échec, loin de lui nuire, lui aura servi : en politique, comme dans le sport d’équipe, les entraîneurs et le public savent reconnaître ceux qui, dans l’équipe défaite, ont su révéler des qualités individuelles incontestables.

La conjonction des planètes joue, en plus, en faveur d’Edouard Philippe : il faut absolument qu’Emmanuel Macron garnisse sa droite pour que son positionnement politique affiché « et de gauche et de droite » se traduise par le ralliement, non pas d’individus tentés par la gamelle gouvernementale, mais par un groupe constitué de dissidents du camp adverse. Alain Juppé étant hors jeu, autant en raison de son casier judiciaire que de son image d’homme du passé, il ne restait pas grand monde pour cocher la bonne case. Neuf mais expérimenté, énarque mais élu de terrain, Edouard Philippe piaffait aussi d’impatience pour jouer les premiers rôles, prêt à saisir toute occasion passant à sa portée. Bruno Lemaire avait montré ses limites lors de la primaire de la droite, et son empressement à faire des offres de services à Emmanuel Macron cache mal son angoisse de perdre son siège de député, sérieusement menacé par le FN et les mélenchonistes. Nathalie Kocziusko-Morizet coche la très convoitée case « femme », mais traîne le boulet d’une image bobo-parisienne dans une conjoncture où il faut montrer que l’on se préoccupe de la France des oubliés, celle qui vote pour les extrêmes de droite comme de gauche.

Fidèle lieutenant d’Alain Juppé

Eh bien justement, Edouard Philippe est l’élu d’un territoire longtemps dominé par les communistes : la ville portuaire du Havre. Où plongent ses racines familiales et son histoire personnelle de pur produit de l’élitisme républicain : petit-fils de docker, fils d’enseignants de français, mère catholique, père libre-penseur. Il n’a pas fréquenté les bons pères jésuites, comme le nouveau président, mais les bancs de l’école publique, de la maternelle à l’ENA, et pas seulement dans les beaux quartiers d’une grande ville. Cela forge le caractère, parce que le bon élève, le chouchou de la maîtresse ne peut survivre dans ces milieux sans trop de dommages s’il ne sait pas, aussi, jouer des poings à la récré… Il cultivera, plus tard ces aptitudes en pratiquant la boxe plutôt que le jogging pour se maintenir en forme.

Il suit ses parents à Bonn, en Allemagne, pour y terminer ses études secondaires lorsque son père est nommé proviseur du lycée français de l’ex-capitale de la RFA. Outre l’expérience de l’expatriation (toujours enrichissante) il y est confronté à la diversité culturelle et sociale de ce petit monde de la francophonie en terre germanique. Un lycée où se rencontrent les rejetons de hauts diplomates et les enfants des modestes employés d’ambassades de nations africaines payés au lance pierre et toujours en retard de versement des frais d’écolage. Ces derniers finiront par être expulsés de ce lycée lorsque l’ambassade de France cessera de faire les « fins de mois » de ces missions diplomatiques d’Etats faillis, à la grande désolation du père d’Edouard Philippe.

Bien qu’élevé dans l’amour et le respect de la littérature, de la culture classique et des humanités, Edouard Philippe, esprit méthodique et ordonné se passionne, à Sciences Po, pour le droit et la science politique, militant brièvement au PS (tendance Rocard) par tradition familiale, avant de se tourner vers deux hommes qu’il admire : Antoine Rufenacht, gaulliste chiraquien qui a ravi en 1995 la mairie du Havre au PCF, et plus tard, Alain Juppé, qui sut tout de suite reconnaître dans le jeune homme frais émoulu de l’ENA un talent politique inné, et une affinité plus profonde, celle de deux hommes bien conscients qu’il doivent davantage leur succès à leurs qualités propres qu’à de bonnes fées penchées sur leur berceau.

Humilié par Sarkozy, il le saisit par le revers de sa veste

Ils sont parvenus au sommet de « la caste », certes, mais sans jamais partager ni les codes, ni les modes de vie des élites mondaines, de droite comme de gauche. Avec, comme envers de cette médaille, une rigidité d’esprit et de comportement, une incapacité à faire rayonner autour de leur personne cette chaleur humaine, même feinte, qui plait à l’électeur. Leur popularité, ils la gagnent. Le premier à Bordeaux, le second au Havre. Non pas en allant serrer les paluches sur les marchés, mais en se montrant efficaces dans la promotion de territoires jusque là endormis. Des villes concurrencées par des voisines plus dynamiques, Toulouse ou Rouen…

La carrière d’Edouard Philippe suivra alors les hauts et les bas de celle d’Alain Juppé : en 2002, lors de la création de l’UMP, il est nommé directeur général du parti. Un poste clé mais exposé : les luttes d’appareil entre les gros poissons du parti sont sanglantes. Et le secrétaire général est un punching ball idéal pour ceux qui, comme Nicolas Sarkozy veulent s’emparer de la machine pour la mettre à leur service exclusif. Jusqu’au jour où Edouard Philippe, publiquement humilié par Sarko, le saisit par le revers de sa veste, le poing dressé, pour l’enjoindre de ravaler ses insultes. La suite de leurs rapports restera marquée par cet incident. « Il sait qui je suis, et je sais qui il est. Nos relations sont franches et directes ! », constate-t-il aujourd’hui.

Le bon « bad cop » du président

La chute de Juppé, en 2004, le pousse à aller voir ailleurs. Dans le privé, comme avocat dans la filiale française d’un gros cabinet d’affaire américain, puis comme directeur des affaires publiques d’Areva (ce qui peut indiquer que le premier ministre n’est pas un contempteur de l’énergie nucléaire), lorsqu’Alain Juppé est contraint de quitter son ministère de l’environnement pour cause de défaite aux élections législatives. Mais ces excursions dans le monde des affaires ne sont pour lui que des stages d’observation qui pourront lui être utile plus tard. Sa passion, c’est la politique, la « poloche » comme il en blague avec son alter ego Gilles Boyer, l’autre fils spirituel d’Alain Juppé. La « poloche », certes, avec ses règles, mais adaptées à ses valeurs et a sa personnalité.

Edouard Philippe, maire du Havre depuis 2010, n’a par exemple jamais élu domicile dans cette ville. Du lundi au jeudi, il vit à Paris, avec son épouse Edith Chabre et ses trois adolescents (élevés sans télévision !), et du jeudi au dimanche au Havre où demeure toujours sa mère. Son épouse, rencontrée à Science Po est une brillante juriste – elle a longtemps dirigé l’Ecole de droit de Sciences Po – avant de changer d’orientation et de passer dans le privé comme directrice administrative de l’école Camondo, institution mondialement réputée de formation d’arts décoratifs, design et architecture intérieure, d’où sont issus des vedettes comme Philippe Starck et Jean Michel Wilmotte.

Edouard Philippe se bat pour maintenir à flot les institutions culturelles de sa ville (Le Volcan et le Musée d’art moderne notamment), mais n’assiste jamais à un spectacle ou une manifestation artistique : « Si je vais à l’un d’entre eux, il faut que j’assiste à tous les autres, sinon cela ferait des jaloux ! » se justifie-t-il. Il fait montre d’une familiarité et d’une indulgence coupable avec « ses » dockers et leur très influent syndicat de la CGT, qui ont réussi a obtenir la priorité d’embauche pour les membres de leur famille, et vont, tambours en tête et manches de pioche en main, manifester contre la loi El Khomry. « Si je voulais, je pourrais être docker : mon grand père l’était, je suis dans les clous ! », plaisante-t-il à moitié. A la différence d’Emmanuel Macron, on ne sent pas chez Edouard Philippe l’ardent désir d’être aimé. Il veut être respecté, et ne craint pas l’impopularité. Si nécessaire, il n’hésitera pas à cogner. Un « bad cop » de rêve pour le nouveau président.

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