Mardi soir, le compte Twitter des Républicains se montrait plutôt chafouin :
Une semaine après le documentaire sur Emmanuel Macron par son copain nommé à LCP, le documentaire sur Edouard Philippe par son copain d’enfance. Demain, le documentaire sur Gérald Darmanin par Thierry Solère ? #servicepublic https://t.co/60PiYQYlTG
— les Républicains (@lesRepublicains) May 15, 2018
Deux documentaires consacrés aux deux têtes de l’exécutif, et réalisés par des proches respectifs, cela pouvait effectivement sembler beaucoup trop. A première vue seulement. Car autant le documentaire de Bertrand Delais permettait bien à Emmanuel Macron de dérouler tranquillement sa communication, autant ce n’était pas du tout le but de celui de Laurent Cibien. Le deuxième épisode de « Edouard, mon pote de droite », répond à d’autres objectifs.
Juppé comme jamais
Le premier avait montré les coulisses de la campagne municipale du Havre de 2014, à travers Edouard Philippe, alors totalement inconnu de la population française, Seine-Maritime exclue. Il avait fait connaître un personnage intéressant, celui d’un homme politique vu par un documentariste du bord politique opposé, alors qu’ils étaient assis sur les mêmes bancs au lycée Janson-de-Sailly.
Cette fois, il était question de la campagne de la primaire, puisqu’Edouard Philippe comptait parmi les principaux lieutenants d’Alain Juppé, longtemps favori de la presse, des élites, et des sondages réunis. Les confidences d’ « Edouard » à « son pote », les réunions auxquelles nous avons le droit d’assister, les réactions du maire du Havre en direct au téléphone, ses agacements, la manière dont il appréhende les relations avec les journalistes, tout est enrichissant sur ce moment politique important, la primaire de droite de 2016, qui restera sans doute comme la seule de l’histoire, tant elle n’aura pas servi de marchepied pour le pouvoir, comme initialement prévu, mais comme peau de banane magnifique.
Sarkocentré
On apprend à cette occasion que l’actuel Premier ministre est un bien piètre pronostiqueur. Il est vrai que ce n’est pas ce qu’on demande à un dirigeant politique, et qu’il est loin d’être le seul à avoir été démenti lors de la séquence politique 2016-2017, sans doute l’une des plus imprévisibles de l’histoire de la République. Sur les chances d’Emmanuel Macron, sur la non-candidature de François Hollande, sur les rapports de forces entre Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon, la veille du premier tour de la primaire, Edouard Philippe se plante, et en beauté.
C’est en fait sur Nicolas Sarkozy qu’il se trompe le plus, l’imaginant toujours plus haut qu’il ne l’est réellement. C’est d’autant plus étonnant que, dans un déjeuner avec des journalistes à l’été 2016, il livre un ressenti tout à fait réaliste de l’humeur droitière qu’il hume auprès de son terrain normand : « Je suis frappé par le nombre de gens à droite qui disent que Sarko, on a vu et on ne reverra jamais. Il dit tout, son contraire et l’inverse ». Edouard Philippe avait pris là, la bonne température et il aurait mieux fait de s’en imprégner lui-même, plutôt que de jeter ceci à des journalistes, comme des os à ronger, pour les influencer, comme il le confie juste après le repas. Au lieu de cela, comme toute la garde rapprochée de Juppé, il semble obsédé par Sarkozy, et ne croit jamais à la percée d’un troisième homme. Cela le conduit aussi à adopter les mêmes réflexes sarkozyens, faisant de la presse, de l’Adversaire et des animateurs du débat en général, les responsables de la piètre qualité de ce dernier : « On ne parle pas de justice sociale, on ne parle pas de politique culturelle, on ne parle pas d’Europe. On parle du jambon et des frites ».
« J’me casse, ça m’fait chier ».
Si Alain Juppé et son équipe, malgré les bons sondages, et peut-être à cause d’eux, n’a pas réussi à imposer ses thèmes dans le débat, ce n’est pas la faute de la presse, des réseaux sociaux et du monde méchant qui l’entourait, c’est avant tout à cause de sa mauvaise campagne. L’échange avec Ruth Elkrief, le soir du premier tour dans un salon de BFM TV déçoit. Philippe reproche aux journalistes d’avoir favorisé Fillon pendant la dernière semaine, par la tonalité des commentaires. Ruth Elkrief rétorque qu’elle ne faisait que rendre compte de ce qui se passait. Ce qui est objectivement la réalité. A Besançon, chez son coiffeur ou au marché, on ressentait exactement la même chose, et cela n’avait rien à voir avec ce qui se passait dans les chaînes info.
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Que le réalisateur soit remercié d’avoir retenu deux scènes d’anthologie dans son documentaire. La première se passe dans la dernière ligne droite. Benoist Apparu anime une réunion. Virginie Calmels intervient pour dire les dégâts faits par le phénomène « Ali Juppé » dans les réseaux sociaux et sur le terrain, notamment cette histoire de mosquée qui n’existe pas. Edouard Philippe prend le parti de ne pas s’attarder sur cette histoire, objectant que si Juppé est associé à Tareq Oubrou sur le web, Sarkozy est associé à Kadhafi. Ce genre de coups est courant en campagne et Juppé n’est pas forcément le plus perdant à ce jeu-là. Le problème, qu’il ne voit pas, c’est que le danger n’est pas Sarkozy. Mais Calmels ne le voit pas davantage. Le plus drôle dans cette scène, c’est l’idée farfelue qu’imagine Benoist Apparu pour mettre tout le monde d’accord : demander à Calmels d’organiser une rencontre entre Alain Juppé et l’évêque à Bordeaux, et faire prendre une photo pour la poster sur Twitter et créer ainsi un contrefeu. Alors qu’on reprochait les accommodements déraisonnables de Juppé avec la laïcité, c’eût été pire que tout. Du reste, Edouard Philippe quitte la réunion à ce moment-là, grommelant : « J’me casse, ça m’fait chier ».
On a marché sur Juppé
La deuxième scène se passe le soir du premier tour. Edouard Philippe est dans le studio d’une radio et semble consterné par le fait qu’Alain Juppé soit tenté de se retirer et de ne pas disputer le second tour. Il y a de quoi être saisi par ce sentiment. Finalement, Alain Juppé ne se retirera pas et enverra des boules puantes à son adversaire. Ce n’est pas Philippe qui se pose cette question mais votre serviteur : n’y avait-il pas une voie entre tout arrêter et déstabiliser le futur candidat de la droite ? Finir la campagne dignement, par exemple ? De cela, Juppé était incapable.
Comme de mener une campagne présidentielle tout court, d’ailleurs. Car il est là, le véritable enseignement de ce documentaire et de cette campagne primaire d’Alain Juppé. Voilà un homme qui bénéficiait d’une autoroute pour être désigné, qui avait la possibilité d’imposer ses thèmes, puisque la presse était bienveillante avec lui, pour le moins. Et il en a été incapable, subissant tout, se montrant – mais ce n’était pas une nouveauté – piètre orateur et piètre débatteur. Alors qu’Edouard Philippe, dès le début du reportage prévoit la recomposition du paysage politique qui va naître de la campagne présidentielle, et que ses idées – et donc celles de Juppé – sont amenées à être au pouvoir dans les six mois, le maire de Bordeaux est infoutu d’en être à l’origine. Le juppéisme devait arriver au pouvoir. Edouard Philippe devait arriver au pouvoir – profitant de la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Mais sans Juppé. Le problème n’était pas le juppéisme, mais Alain Juppé lui-même.
Ce n’est jamais dit dans le documentaire, mais il y a quelque chose qui nous le fait comprendre. Quelque chose qui flotte au-dessus de ces scènes de vie. Edouard Philippe ne veut pas se l’avouer ou ne veut surtout pas le dire à « son pote de gauche », mais il sait. C’est sans doute pour cette raison que, du premier cercle juppéiste, il n’ira pas à Bordeaux, avec Boyer et Apparu, tenter de convaincre Juppé de se déclarer candidat le lendemain du Trocadéro. Et que Macron pensera à lui pour Matignon.
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