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Vous pensiez en avoir fini avec Eddy Bellegueule?

Edouard Louis continue son commerce glauque sur le dos de sa famille en publiant "Monique s'évade" (Le Seuil, 2024)


Vous pensiez en avoir fini avec Eddy Bellegueule?
L'écrivain Edouard Louis sur France 5, 24 avril 2024. Image : capture YouTube / France 5.

Dis-moi comment tu parles de ta mère et je te dirai de quelle époque tu es. Édouard Louis, en qui d’aucuns voient très sérieusement l’épigone de Proust, Cohen ou Gary, publie « le livre de sa mère. »


Vous pensiez en avoir fini avec Eddy Bellegueule ? Détrompez-vous. Comme son illustre devancière Annie Ernaux, Édouard Louis, opiniâtre, poursuit sa mission : écrire pour « venger sa race » et entend bien exploiter jusqu’à épuisement le juteux filon du « transfuge de classe. »

C’est par où la sortie ?

Voici donc un nouvel opus de la saga autofictionnelle entamée en 2014 : Après Combats et métamorphoses d’une femme, paru en 2021, Monique s’évade est le deuxième récit que Louis consacre à sa mère. Il nous raconte ici comment, avec l’aide qu’il lui a apportée, Monique, sa mère, s’est arrachée à un troisième compagnon tout aussi violent, homophobe et alcoolique que l’étaient les deux premiers. On souhaite à cette dame, bien sûr, d’être enfin sortie de l’esclavage domestique, des brimades et des violences subis ; d’avoir durablement recouvré sa liberté. Puisse-t-elle avoir conjuré ce que l’auteur présente comme une fatalité qui pèserait sur les femmes pauvres. Mais, surtout, et par pitié, qu’on nous rende Zola pour évoquer l’individu comme produit et victime de son milieu.

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Terne et court, ce récit n’est malheureusement qu’un témoignage supplémentaire sur l’injustice de la vie. Il propose aussi, ça va de soi, une énième déploration, très convenue et très agaçante, de l’éternel martyre enduré par ceux qui s’affranchissent d’un milieu social populaire pour gagner les classes sociales élevées. Dans une langue morne et plaine, Louis s’auto-congratule et loue son exceptionnelle faculté d’action dans l’adversité ; il s’étonne et s’émerveille de la générosité dont il fait preuve à l’égard de sa mère : « J’ai appelé le notaire (…) J’ai averti ma mère et j’ai réservé des billets de train à distance pour elle et pour son chien – et toujours cette question en moi : pourquoi est-ce que je ressentais un besoin aussi impératif de l’aider ? »  Pas question d’échapper, non plus, bien sûr, aux platitudes rebattues sur le coût de la liberté. Virginia Woolf, qui n’en demandait pas tant, est alors convoquée par notre intellectuel : « Une chambre, un espace, des murs, une clé, de l’argent : c’est aussi cent ans, plus tard ce qu’il fallait à ma mère, non pas pour devenir une écrivaine, mais pour devenir une femme plus libre et plus heureuse. » Baste ! Ce récit fleure bon l’air d’une époque geignarde et victimaire qui se gargarise de bons sentiments, prône comme une évidence l’inclusion à tous les étages et exige le bonheur et la réussite pour tous.

Télérama, Lire, Augustin Trapenard, Sonia Devillers : ils a-do-rent !

C’est donc, non pas à la valeur, inexistante, de l’ouvrage mais à sa réception dans les médias qu’il nous a semblé utile de nous intéresser : le dithyrambe unanime et la pamoison collective qu’il a suscités en disent long sur la déliquescence intellectuelle et culturelle qui prévaut en ce moment. Dans Télérama, il est question « d’un récit chargé d’émotion mais admirablement maîtrisé, aussi bref que lumineux, haletant et doux, inquiet et apaisé. » Et comme le ridicule ne tue pas, on commence à l’avoir compris, on nous affirme très sérieusement que Louis a rejoint « de Proust à Gary, la grande lignée des fils qui parlent des mères avec tant d’intuition. Et de troublante et sentimentale passion. »  Dans les pages de Lire, est évoqué un « style dont la précision n’en rend que plus aiguë la brutalité des origines sociales et la possibilité d’un franchissement comme véritable mue. » Dans Elle, on apprend que Louis  « comme rempart contre le déterminisme (de classe, de genre et de style), use d’une littérature qui, par couches successive, enrichit, découvre et recouvre l’esquisse initiale, posée en 2014 dans En finir avec Eddy Bellegueule, l’approfondissant et la déployant, la reprenant et la poursuivant. » (À notre humble avis, Louis se contente d’user la littérature, mais bon…) Sur le plateau de La Grande Librairie1, enfin, calme et hiératique, comme figé dans la pose du rescapé de la misère sociale, l’auteur picard a présenté « le livre de sa mère » àun Augustin Trapenard confit dans la componction. Puis,le sage « transfuge de classe », inspiré, comme habité par son rêve de contribuer à la vie rêvée des anges a suggéré à l’État de créer un « Ministère de la Transformation » pour accompagner, avec des conseils et des aides financières, tous les opprimés désireux de changer de vie.

Cet engouement collectif pour l’indigent récit d’un notable des lettres qui crache dans la soupe, vitupérant contre les « bourgeois » qu’il a ralliés et dont il a adopté le mode de vie, ne laisse pas de nous surprendre. Notre écrivain n’est pas, loin s’en faut, à la mine quand il reçoit l’appel de sa mère en détresse mais, à Athènes, en résidence d’écriture et on le sent peu désireux d’interrompre ses importants travaux pour ce cas d’urgence. De là à affirmer que Louis souffrirait du syndrome du rappeur qui persiste à chanter sa proximité avec une banlieue dont il partagerait les peines et les tourments alors que, millionnaire, il s’est expatrié à Dubaï, il n’y qu’un pas. Nous n’oserions le franchir. Quand même, de loin, notre Saint-Louis aide sa maman à quitter son « poivrot » de compagnon. C’est aussi l’étonnement puéril et déconnecté de l’intellectuel patenté face aux contraintes inhérentes à l’état de mère, qu’elle soit pauvre ou riche qui nous agace : « Sa vie avait été, jusqu’à maintenant, une vie pour les autres. »  Non, mais sans blagues ? Quand on poursuit plus avant la lecture du chef-d’œuvre, on est également déconcerté par la vantardise de notre donneur de leçons. On y voit Louis, toujours content de lui, plastronner, expliquant longuement que le premier livre qu’il a commis sur sa mère est adapté dans un prestigieux théâtre à Hambourg. Enfin et surtout, il y ce désagréable sentiment qui ne nous lâche pas, à la lecture de cette nouvelle autofiction de Louis. Monique, même libre, demeure prisonnière, enserrée dans les rets de la prose d’un fils qui, en toute bonne conscience, fait commerce de la misère de sa mère et, plus largement, de celle de sa famille. Louis est de la race des supergraphomanes, opportuniste, mercantile, donneur de leçons et enfonceur de portes ouvertes, qu’adule notre époque.

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« Le graphomane ordinaire est une sorte de curé de gauche défroqué ; Le supergraphomane s’apparente, lui, à ce pape idéal tel que le rêvent les médias : ouvert au monde, conscient de l’évolution des mœurs, réformateur, audacieux (…) » Philippe Muray, Ultima Necat VI, journal intime 1996-1997.

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  1. https://www.youtube.com/watch?v=57yQOHbtJ4s ↩︎



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est professeur de Lettres modernes

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