Accueil Culture Edouard Louis: il faut « séparer l’homme de l’artiste »!

Edouard Louis: il faut « séparer l’homme de l’artiste »!

Le train-train intersectionnel peut cacher un bon écrivain


Edouard Louis: il faut « séparer l’homme de l’artiste »!
Edouard Louis © Hannah Assouline

Le 1er avril 2021 est le jour de la sortie du dernier Edouard Louis: Combats et métamorphoses d’une femme, aux éditions du Seuil. Et cela n’est pas une mauvaise blague, c’est même plutôt une bonne surprise.


Il est évident qu’Edouard Louis est l’ennemi idéologique : son anti racisme stalinien, ses jérémiades intersectionnelles de concert avec son mentor Geoffroy de Lagasnerie sont délétères. Et le militant prend le pas sur l’écrivain. C’est fort dommage, car l’écrivain Edouard Louis a des choses à dire. Il construit depuis son premier roman, Eddy Bellegueule une Comédie Humaine chez les prolos. Les vrais, ceux dont il est issu, pas les prolos fantasmés par le néo bourgeois qu’il est devenu, incarnés par la famille Traoré. Les prolos dont personne ne veut et qui n’ont même plus la force de prendre le maquis en compagnie des gilets jaunes.

Si Louis sert à la presse mainstream le discours à la mode sur la domination masculine, faisant de sa mère une victime du patriarcat, il n’en est rien dans le roman

Tout sur ma mère

Dans ce dernier volet autobiographique, Louis nous raconte sa mère. Cette mère qu’il rejetait et qui lui faisait honte. Un destin banal de fille d’ouvriers du nord, avec pour seul horizon, les mômes, le ménage, le mari alcoolique et même pas le temps pour une rêverie bovaryesque.

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Le déclencheur de l’écriture a été une photo que l’auteur ne connaissait pas. Une photo où sa mère apparaît heureuse: « Je ne trouve pas les mots pour l’expliquer, mais tout, dans sa pose, dans son regard, dans le mouvement de ses cheveux, évoque la liberté sur ce cliché, l’infinité des possibles devant soi, et peut-être, aussi, le bonheur ». Nous pensons, bien sûr à Années de Annie Ernaux, issue comme Louis d’un milieu modeste qu’elle décrit avec un réalisme sec. « En voyant cette image, j’ai senti le langage disparaître de moi », écrit-il. Alors, tout le long du roman, il évoquera cette mère si lointaine et si proche, avec des images, des couleurs, des sensations. Combats et métamorphoses d’une femme est un roman sensoriel, en cela très proustien. Sans madeleine ni baiser du soir, mais un manteau rouge trop grand pour elle, du sable de couleur répandu par terre après un accès de colère qui valut une gifle à l’auteur, une chanson du groupe Scorpions qui la faisait danser les soirs où elle avait trop bu.

Aller au charbon

Dans un entretien (intéressant) que Louis a accordé aux Inrocks, il dit se méfier de l’implicite en littérature. Selon lui, l’implicite c’est bourgeois, c’est éviter le sale, éviter d’aller au charbon. L’auteur se défend presque d’être écrivain, comme si cela était encore interdit au petit prolo du nord qu’il était. Cela me semble contradictoire, car en accumulant les images, les métonymies, en évitant les longues descriptions naturalistes, en composant le portrait de sa mère de manière quasi poétique, on nage justement dans l’implicite. Edouard Louis envisage la littérature comme un combat, il cherche peut-être encore des formes à inventer: « Parce que je le sais maintenant, ils ont construit la littérature contre les vies et les corps comme le sien. Parce que je sais désormais, qu’écrire sur elle, sur sa vie, c’est écrire contre la littérature. » Edouard Louis se situe là, enfin, dans sa vérité, l’écrivain chasse le militant.

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S’il sert à la presse mainstream le discours à la mode sur la domination masculine, faisant de sa mère une victime du patriarcat, il n’en est rien dans le roman. On entrevoit une femme qui se débat entre la faute à pas de chance et le rouleau compresseur d’un milieu social qui ne fait pas de cadeaux. Nous sommes à la fois chez Zola et chez Jean Ferrat. La mère apparaît finalement plus forte que son mari, puisqu’elle finira par s’échapper. Alors, pour adoucir cette vie sans issue, elle s’invente des origines aristocratiques, avant que son fils ne s’acoquine à son tour avec un sociologue à particule.

Rapports ambigus

Les rapports du fils avec la mère sont, comme souvent chez les homosexuels, ambigus. Son aspect négligé lui fait honte lorsqu’il commence à fréquenter les bourgeois du lycée. Et puis elle s’exprime si mal ! Le langage est au centre des préoccupations, ce langage qui nous échappe, que l’on doit apprivoiser, qui révèle notre milieu social. En excluant sa mère, Louis veut également la protéger. Il ne veut pas qu’elle sache qu’on le traite de pédé: « Je ne voulais pas que tu saches qu’à l’école, les autres enfants refusaient d’être ami avec moi, parce qu’être l’ami de celui qui était perçu comme un pédé aurait été mal vu ». Finalement, ces deux destins séparés finiront par se rejoindre. L’ouvrière du nord vient vivre à Paris, son fils lui fait rencontrer Catherine Deneuve avec qui elle fume même une cigarette. Ambiance proustienne à nouveau, on pénètre dans les salons.

Comme son fils, elle abandonnera le patronyme Bellegueule pour un nom plus chic. À l’instar de Flaubert, Edouard Louis pourrait finalement s’écrier : « ma mère c’est moi ». Quant à nous, nous attendons que ce Rastignac du XXI ème siècle abandonne enfin ses oripeaux de militant pour devenir l’écrivain de talent qu’il pourrait être.

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