Interrogé par Elisabeth Lévy dans l’émission « L’esprit de l’escalier », l’historien Edouard Husson bat en brèche de nombreuses idées reçues sur le prétendu « couple franco-allemand ». Pour ce fin connaisseur de l’Europe, la fascination des élites françaises pour le « modèle allemand » nous a embourbés.
Elisabeth Lévy. Vous critiquez souvent l’Allemagne, mais vous critiquez peut-être plus encore la fascination d’une partie des élites françaises pour ce pays… Il me semble tout de même que cette fascination est un peu moins partagée qu’il y a 10 ans. Hier par exemple, j’entendais Dominique de Villepin dire tout à fait tranquillement que l’Europe était “trop allemande”. Il y a quelques années, votre ami Emmanuel Todd nous expliquait que l’euro et la politique monétaire allemande étaient carrément l’équivalent contemporain des Panzer divisions ! Ma question est simple : est-ce qu’il y a des raisons d’avoir peur de la puissance allemande ou de l’hégémonie allemande aujourd’hui ?
Edouard Husson : Non. En réalité, les Français sont entièrement responsables de ce qui se passe. Au début des années 90, au lieu de garder son sang froid et de chercher un peu à comprendre ce qui allait se passer économiquement (le fait que le fardeau de la réunification allait coûter très cher à l’Allemagne), François Mitterrand a paniqué. Il a voulu absolument arrimer le Franc au Mark. Paradoxalement, cela a soulagé l’Allemagne du coût d’une partie de la réunification…
Vous voulez dire que ce n’est pas l’Allemagne qui nous a embarqués dans cette politique monétaire ?
Effectivement, non. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les Allemands ont pris un gros coup sur la tête entre 1933 et 1945 – coup qu’ils se sont infligés eux-mêmes d’ailleurs. Avant Hitler, vous avez eu Guillaume II… Pour les Allemands, désormais, le leadership n’est plus quelque chose qu’ils recherchent vraiment. Alors, certes, à partir du moment où les Français leur disent “on a besoin que vous jouiez le rôle de leader”, que font-ils ? Ils ont mis en place des règles, en bons kantiens qu’ils sont : des normes juridiques, des normes monétaires ou des directives européennes, lesquelles sont effectivement calquées sur le modèle allemand. Mais… c’est nous qui leur avons demandé cela ! On se plaint aujourd’hui à deux titres. Les Français découvrent tout d’abord ce qu’ils ont eux-mêmes mis en place. Et ensuite, on s’en plaint car ce système est totalement inefficace en cas de crise. (…) Au départ, les Allemands n’étaient pas pour l’euro. Ils n’étaient pas certains que cela serait dans leur intérêt national. (…) Aujourd’hui, pour répondre à votre question, l’Allemagne est un pays beaucoup moins puissant que d’apparence. Les écarts de pauvreté y sont énormes. L’Allemagne de l’Est n’est pas véritablement intégrée. Que ce soit dans les écarts de richesses ou dans les résultats politiques ! L’Allemagne de l’Est reste un “autre” pays. L’Allemagne de l’Est vote pour l’AfD ou pour Die Linke massivement par exemple. La réunification n’est pas une telle réussite. Les Allemands ont voulu jouer le jeu [NDLR : de l’euro]. A partir du moment où on leur dit “il y a des règles”, et que l’on dit que les règlesn ce sont les leurs… Eh bien, résultat, nous récoltons ce que l’on a semé.
Quelles que soient ses difficultés, en terme démographiques ou économiques, l’Allemagne reste la première puissance européenne… Alors, effectivement, on peut craindre cettepuissance-là, non ? Je vous ai parlé tout à l’heure des Panzer Division. Pour outrancière qu’elle semblât, cette comparaison n’est-elle pas valide?
Il n’y a plus de Panzer Division ! Il y a des cars de petits vieux qui font du tourisme à travers l’Europe et le monde. Si c’est cela l’impérialisme allemand…
Non, Todd parlait de l’euro !
Bon, il n’y a pas de quoi être inquiet des Panzer Division. Ensuite, oui, l’euro est une monnaie gérée à l’allemande, sur le modèle du Deutsche Mark, dont le taux a été conclu d’ailleurs de manière plutôt favorable à l’Allemagne… L’euro est plutôt sous évalué pour l’économie allemande, ce qui avantage ses exportations, et sur évalué pour nous… Là aussi, les Français ont très mal négocié dans les années 90 – 95. (…) A la fin des années 70, un espèce de mythe s’est emparé des milieux dirigeants français : le modèle allemand. C’est pourtant quelque chose que les Allemands eux mêmes ne connaissent pas très bien. Oui, les Allemands sont convaincus des qualités de ce qu’ils font. Mais, le “modèle allemand” dont parlent sans arrêt les Français, on n’en entend que très rarement parler en Allemagne !
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