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Edouard Baer, le cavaleur


Edouard Baer, le cavaleur
Edouard Baer et Sabine Ouazanami dans "Ouvert la nuit"
Edouard Baer Sabine Ouazanami "Ouvert la nuit"
Edouard Baer et Sabine Ouazanami dans "Ouvert la nuit"

A 50 ans, il continue de faire son numéro d’équilibriste. Bravo, l’artiste ! D’autres acteurs de sa génération ont raccroché depuis un bail leur tenue de lumière et leurs souliers vernis. Beaucoup d’entre eux se glissent mollement dans des personnages mal définis, cachetonnent pour des rôles sans saveur à la télé ou flemmardent sur scène comme on pointe à l’usine en attendant patiemment la sirène de la sortie. Clap de fin et par ici la monnaie ! Une profonde lassitude a emporté ce métier au tournant des années 90 à mesure que les cachets des stars s’envolaient. L’étincelle brille seulement à la vue de leurs comptes en banque.

C’est une bonne situation, ça, comédien ?

Quand ils lisent un scénario, ils restent de marbre, leur jeu semble figé, voire périmé. A l’opposé d’un Edouard Baer jamais fatigué de pousser à la limite la caricature de lui-même. Finalement, il aura réussi à tracer une œuvre cohérente en vingt ans de carrière. Chacune de ses interventions même fugaces à l’écran construit une identité forte et révèle l’appartenance à une famille de pensée : les atrabilaires primesautiers ; les défaitistes magnifiques ; les révolutionnaires en pantoufles. Une tribu disparate qui pratique le pas-de-côté pour ne pas suffoquer dans une société en coupe réglée. En roue libre, ce vieux garçon poursuit son chemin sans se compromettre et sans renier ses désirs de jeunesse. Il y a chez lui, une exigence presque butée qu’il s’efforce de masquer sous des dehors facétieux. C’est un exploit d’avoir résisté et imposé son propre tempo intérieur dans une profession où la contorsion idéologique, la souplesse de caractère et l’œcuménisme de façade sont perçus comme des qualités premières. Edouard maintient le cap, celui d’un humour dérisoire et poétique, d’une échappée buissonnière pleine d’aigreur.

Avec Edouard, le rire est plein de larmes. Ne vous fiez pas à son air de fils de bonne famille, ses désillusions sont des crevasses béantes. En vieillissant, il a même tendance à devenir plus sombre. Il résiste plus difficilement à la tentation de la noirceur même si sa politesse du désespoir l’emporte à la fin. Derrière ce dilettantisme charmeur qu’il porte à la boutonnière à toute heure du jour et de la nuit, cette manière élégante de se foutre de tout, gronde une colère sourde que ne renierait pas Jean Rochefort. Depuis mercredi, on le retrouve donc avec plaisir dans Ouvert la nuit, son troisième film après La Bostella  et Akoibon. Edouard fait indéniablement du Baer. De nouveau, il a convoqué, les fidèles de sa troupe, entre autres, les excellents Atmen Kelif, Jean-Michel Lahmi ou Christophe Meynet. L’histoire raconte les difficultés de monter une pièce jouée par Michel Galabru splendide dans sa robe marmoréenne et Marie-Ange Casta d’une exquise justesse de ton. La veille de la Première tout part en vrille. Cette situation ubuesque n’est qu’un prétexte à errer dans Paris, à saisir l’impromptu, à regarder par la fenêtre, à dessiner une géographie universelle.

Un cirque passe…

Dans son cinéma, les personnalités déraillent, les digues se fissurent, les convenances partent en fumée. Il interprète Luigi, un patron de théâtre désinvolte qui court après les femmes, l’argent, l’amitié, le succès, etc… Sa vie fuit de toutes parts. Dans une quête « impossible », la recherche d’un singe, il est secondé par Sabrina Ouazani, stagiaire entière, un mur sur lequel il ne cesse de rebondir. C’est drôle et désenchanté. Le corps est plus lourd, les traits sont plus marqués, mais sa répartie modianesque est toujours là. Ce faux détachement apporte d’infinies nuances. On a beau connaître par cœur son numéro parfois cabot, on se souvient jadis d’improbables émissions où il flirtait avec la grivèlerie, ce prince de l’esquive nous entraîne malgré nous dans cette course folle.


Ouvert la nuit – Bande-annonce par PremiereFR

Il sonde tous les recoins de la capitale, du Passage des Panoramas au Pont Alexandre-III en escaladant le mur du Jardin des Plantes ou en remontant le Boulevard Arago. Le réalisateur-acteur n’a pas son pareil pour esquisser une galerie de portraits touchants ou aborder des thèmes de société plus arides (travail, intégration, spectacle, argent). Il préfère l’ellipse aux démonstrations académiques. Tous les comparses de cette déambulation sont au diapason. Une mention spéciale à Audrey Tautou, Grégory Gadebois et Patrick Boshart, le sémillant Monsieur Pat.

Ouvert la nuit – film de Edouard Baer – Actuellement dans les salles 



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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