La romancière de la haute-société new-yorkaise (1862-1937) nous laisse trois chefs-d’œuvre à découvrir : Chez les heureux du monde, Le temps de l’innocence et Ethan Frome.
Edith Wharton connaît une nouvelle jeunesse. Posées sur les étals des librairies, ses Chroniques de New York, rééditées récemment par Gallimard (coll. Quarto), en imposent aux côtés des livres contemporains… et leurs 200 pages, préface comprise. Le roman le plus connu de l’auteur, Le temps de l’innocence, publié en 1920, est quant à lui au programme des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles scientifiques pour l’année 2024-2025. Il existe, en réalité, bien des raisons de découvrir le travail de la première femme à avoir remporté le très convoité prix Pulitzer.
Lire un grand auteur, c’est toujours se plonger dans un monde, c’est-à-dire la combinaison d’un espace géographique, d’une époque, d’un milieu social et familial : l’univers d’Edith Wharton n’a rien des bas-fonds londoniens de Jack London, ni du Berry champêtre de George Sand ; il n’a rien non plus du New York psychotique de Bret Easton Ellis, énigmatique de Paul Auster ou débauché de Salinger ; non, le New York de Wharton est celui de la haute société du début de XXe siècle dont aucun grain de sable ne semble pouvoir venir enrayer la mécanique lampedusienne du « changement pour que rien ne change ».
Apparences
C’est donc au cœur de ce monde trop ordonné qu’apparaissent des personnages déstabilisateurs – disruptifs, dirait-on aujourd’hui -, de façon furtive comme pour finalement mieux asseoir toutes les pesanteurs : c’est le cas de Lily Bart dans le roman Chez les heureux du monde et d’Ellen Olenska dans Le temps de l’innocence, interprétée par Michelle Pfeiffer dans la magistrale adaptation cinématographique de Martin Scorsese au début des années 90. À la fin, les apparences sont sauvées, à peine le vernis a-t-il craquelé ; rien, si ce n’est dans les cœurs, ne s’en est trouvé durablement bouleversé ; et les nouveaux riches sont toujours aussi fortunés. La romancière elle-même navigua dans ce milieu, femme d’affaires redoutable et conservatrice qui ne manqua pas néanmoins de divorcer d’un mari peu au fait des choses de l’amour, encore moins de la fidélité.
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Lire Edith Wharton, en été de surcroît, c’est profiter du plaisir de la lecture, quand on est épuisé par les émissions littéraires, leurs commentateurs et leurs invités dont les péroraisons, si elles valent mieux que celles des plateaux sportifs, n’en demeurent pas moins souvent soporifiques à force d’être mielleuses et moralisatrices, ou quand on se lasse des poncifs associés aux livres – la « petite musique » de l’un, le « pastoralisme » de l’autre – et des débats répétitifs – « faut-il séparer l’œuvre de son auteur ? »
Enterrée en France
Ernst Jünger se demandait à juste titre si l’on finirait par distinguer, à la fin de son siècle – le XXe -, deux classes d’hommes, les uns formés par la télévision, les autres par la lecture. On pourrait ajouter qu’avec le nouveau millénaire, une troisième catégorie d’hommes a fait son apparition : ceux qui sont biberonnés aux réseaux sociaux. À l’époque d’Edith Wharton, ceux-ci n’existaient pas. Dès lors, tout est dans l’écriture, c’est-à-dire dans le style et donc la description des personnages, des lieux, des émotions, dans les dits et non-dits, dans le vocabulaire, autant d’élégances qu’oublie pléthore d’écrivains actuels.
Le monde d’Edith Wharton ne se limite pas aux gazons d’émeraude bordés de géraniums et de coléus, ni aux loges rouges et or de l’opéra de New York où se presse la haute société. Et s’il fallait finir de se convaincre de lire l’écrivain, soulignons donc son rapport à un autre univers : la France. Elle fut introduite dans les cercles littéraires français par Paul Bourget, auteur d’Un crime d’amour, et se lia à d’autres écrivains de son temps, dont Anna de Noailles et André Gide. Elle commença à rédiger Ethan Frome dans la langue de Molière. Signe qui ne trompe pas, celle qui logea une décennie durant rue de Varenne repose aujourd’hui à Versailles.
La Maison de liesse – Les Beaux Mariages – L’Âge de l’innocence – Vieux New York. Dossiers : «De l’écrit à l’écran» (filmographie) – «New York, de sa fondation à la fin de l’Âge doré». Vie & Œuvre illustré.
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