Le linguiste Alain Bentolila révèle l’impertinence et la niaiserie de l’écriture inclusive. Selon lui, répéter « celles et ceux » dans nos discours ne fait pas avancer d’un iota la cause des femmes!
Par ignorance et par hypocrisie, certain.e.s féministes de salon ont cru bon de dénoncer les errements d’une langue française dont les structures morphologiques et grammaticales refléteraient, renforceraient et légitimeraient la discrimination dont sont victimes les femmes en France. Ils ont accusé ainsi les marques de genre – celles qui distinguent les noms masculins des noms féminins (« porte » et « portail » par exemple) de manifester, par leur injuste distribution, un inacceptable mépris envers… les femmes. Des règles morphologiques « supporteraient » donc servilement les injustices sexistes et, par leur puissance normative, leur conféreraient une sorte de légitimité académique.
Le masculin qui l’emporte, une règle « scélérate »
De façon à éviter que les noms de métiers, titres, grades et fonctions n’existent qu’au masculin, il faudrait donc dire « une colonelle », « une députée », « une officière de la Légion d’honneur », « une préfète », « une auteure », « une écrivaine ». Et quand les mots sont épicènes (c’est-à-dire que leur forme ne varie pas entre masculin et féminin), le point sera utilisé en composant le mot comme suit : racine du mot + suffixe masculin + point + suffixe féminin. Il conviendra ainsi d’écrire « les sénateur.rice.s » plutôt que les « sénateurs ». Beaucoup de bruit pour rien, car ce que ces bons apôtres ne comprennent pas, c’est que lorsque l’on utilise un mode générique comme dans « les sénateurs sont élus par de grands électeurs », on se fiche complètement de savoir combien il y a de mâles et de femelles dans l’ensemble ainsi désigné : toutes et tous sont « sénateurs », et c’est la seule chose qui compte. Mieux même, toute précision de genre contredirait le choix du mode générique.
Des tics de langage aussi ridicules qu’inutiles
Avec encore plus d’insistance et d’indignation, est souvent exigé un immédiat retrait de la règle « scélérate » selon laquelle « dans l’accord de l’adjectif avec deux noms l’un masculin, l’autre féminin, c’est le masculin qui l’emporte ». Abus de pouvoir inadmissible ! Honteuse domination virile ! Inacceptable machisme ! La défense de la parité exigerait que l’on rétablisse le féminin dans ses « droits grammaticaux » et que l’on rende ainsi aux femmes leur dignité bafouée par une règle inique. On écrirait donc : « le toit et la façade étaient recouvertes d’ardoises » ; et non : « le toit et la façade étaient recouverts d’ardoise», permettant ainsi à la façade » de faire valoir, sinon son sexe, du moins son genre. Que de niaiseries !
Lutte des classes grammaticales
Le chinois, le turc ou le japonais n’ont pas de genre grammatical ; en revanche, quelques langues ont une dizaine de genres, notamment en Afrique. Mais si seulement 200 langues ont des genres, tous les mammifères ont un sexe… Toutes les marques linguistiques sont arbitraires et tel est aussi le statut des indicateurs de genre. Leur distribution est largement aléatoire et n’a que fort peu à voir avec une indication de sexe. Le français possède en fait deux genres, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de marques de genre, permettant de lier entre eux les mots, et non pas d’indicateurs de sexe. En bref, tous les noms sont en français distribués en deux ensembles ; l’un qui exige par exemple l’article « la » ou « une » ; l’autre qui impose « le » ou « un » ; l’un qui activera la forme « petite » de l’adjectif, l’autre la forme « petit ». Le sens d’un nom ne permet pas, dans la plupart des cas, de prédire à quel ensemble il appartient. On voit donc combien il est absurde d’engager aujourd’hui une lutte des classes… grammaticales, alors qu’elles sont constituées de façon essentiellement aléatoire. Voir dans une convention morphologique sans aucune signification un complot machiste manifeste une totale ignorance des faits linguistiques, mais aussi une coupable hypocrisie. La distribution des noms en deux genres a une vertu essentielle, celle d’accorder les adjectifs et les participes passés avec les noms auxquels ils se rapportent. Autant on peut juger utile de corriger certaines incohérences d’orthographe d’usage, héritées des erreurs de quelques clercs égarés, autant il faut refuser que l’on néglige les règles des accords nominaux et verbaux, car on touche alors à la logique des phrases et du discours. Saluons l’élégance et la force de l’orthographe du français qui d’une seule lettre sépare l’amour de la malédiction dans « la mort de l’homme que j’ai toujours désiré(e) ».
J’ai personnellement une conscience aiguë du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Je trouve absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et symbole social, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon. C’est surtout faire injure à toutes celles qui sont sous-payées, qui supportent l’essentiel du poids de l’éducation des enfants et qui sont si mal représentées dans les lieux de pouvoir et de prestige. Il n’est de combat juste que celui que l’on mène lucidement contre l’injustice, l’inégalité et la brutalité qui pèsent sur les plus vulnérables. Ce combat doit tous nous mobiliser ! Alors, de grâce, ne nous égarons pas dans une bataille contre des règles de grammaire qui n’ont jamais causé le moindre tort à la cause des femmes. Ce n’est pas parce que notre président, servilement suivi par ses courtisans, nous sert à longueur de discours des « celles et ceux » et des toutes et toutes qu’il fait avancer d’un iota le statut des femmes dans notre société ; ces expressions sont devenus des tics ou des éléments de langage aussi ridicules qu’inutiles.
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