Tous des gauchos ! entend-on régulièrement râler dans tous les PMU de France, au sujet de nos amis les journalistes. Propos de comptoir ? Pas sûr. En juin 2012, le magazine Médias publie un sondage indiquant que pour la présidentielle, chez la très sainte congrégation des journalistes, 74% ont voté François Hollande au second tour. Au premier tour, Mélenchon fait mieux que Sarkozy, et Marine Le Pen ne fait que 3%. La « religion des temps modernes », comme l’appelait Balzac, est monothéiste, et on connaît sa chapelle ! Mais d’où vient cette uniformité idéologique ?
Tout le monde ne peut pas être, comme Nicolas Demorand, agrégé de lettres, et beaucoup de nos apôtres du politiquement correct viennent du même portique : on trouve souvent sur leur CV, la mention « école de journalisme ». Si l’autoroute de la pensée unique a un péage, c’est bien celui-là, précieux sésame qui permet d’accéder aux plus hautes sphères. C’est peut être là, au bercail de nos ouailles médiatiques, qu’il faut chercher la raison de leur conformisme.
Nicolas, 23 ans, (ex-)étudiant à l’ISCPA Blagnac, école de journalisme privée, voulait, le malheureux, faire un stage dans votre magazine préféré. Las, quant il quémanda sa convention de stage à sa directrice, celle-ci refusa tout net, sous le fallacieux prétexte que « c’est trop politisé ». Un professeur de « critique des médias » eu même cette phrase lapidaire « Je ne savais pas que tu étais fasciste » [1. Précisons que le fasciste en question a depuis courageusement démissionné de cette école et rejoint le camp des ténèbres qu’est la rédaction de Causeur, où il se trouve très heureux.] [access capability= »lire_inedits »]
Un sectarisme inouï, qui, loin d’être une lubie d’un ancien de Libé atrabilaire, se retrouve de manière plus ou moins diffuse, dans beaucoup de ces écoles qui forment le banc et l’arrière des journalistes tenant le haut du pavé. 14 écoles seulement sont reconnues par la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes (CPNEJ), composée de représentants de patrons de presse et de syndicats (le SNJ tenant les rênes). Des écoles souvent accusées d’être de véritables usines à « bien-pensants » agents interchangeables d’un pouvoir médiatique immense qui produirait des fantassins du politiquement correct. Alors, complot ou réalité ?
Pour Christophe Deloire, ex-patron du CFJ et directeur de RSF, c’est « un procès injuste ». Il assure qu’il est arrivé au CFJ conscient de la mauvaise réputation de l’école. Soucieux de pluralisme, il veut former l’esprit critique de ses étudiants. Il invite Mélenchon, Tariq Ramadan et même le grand méchant loup, Jean-Marie Le Pen. A cette occasion, le Syndicat des journalistes avait organisé une manifestation avec des banderoles explicites « Le Pen au CFJ – Non au racisme dans les médias » et s’était fendu d’un communiqué rageur s’inquiétant « que ce soit justement dans une école de formation de journalistes, issue de cette même résistance, que ces funestes retours à un passé qui a causé des millions de morts en Europe puissent être réhabilités. » (sic). Mais « aucun étudiant ne s’en est indigné », assure l’ancien directeur, ce que plusieurs anciens élèves confirment. Un conflit de générations, entre une vieille garde militante et syndiqué et une nouvelle génération dépolitisée et technicienne ? Pas sûr. Car, derrière la façade pluraliste, facile à mettre en place en invitant un Jean-Marie Le Pen devenu malgré lui la « caution diversité » du système, il reste un fond d’uniformisation idéologique plus réel que jamais.
En effet malgré la bonne volonté de la direction, il semble qu’un climat de bien-pensance se soit installé dans l’école, et ce autant à cause du zèle des étudiants que des reflexes idéologiques de certains formateurs.
Ainsi Vincent, ancien étudiant au CFJ, raconte l’hostilité latente et lancinante rencontrée chez les professeurs. Ainsi, parce qu’il effectue un stage au Figaro magazine, il a le droit régulièrement à un « ça va, pas trop dur ? » qui en dit long. Quand il propose comme parrain de promotion le journaliste Adrien Jaulmes, prix Albert Londres, sa proposition declenche l’indignation, au motif que celui ci travaille pour le Figaro. Les élèves choisissent finalement Laurent Mauduit, cofondateur de Médiapart, autrement plus consensuel…
Autre affaire qui en dit beaucoup sur « l’état d’esprit » régnant dans l’école. Une ancienne élève du CFJ-pro (formation professionnalisante de l’école), qui avait validé tous ses cours, n’a pas été diplômé, parce qu’elle travaillait pour Valeurs Actuelles et Spectacle du monde, et avait fait un long reportage sur la GPA « ils considéraient que ça n’était pas du journalisme », affirme Vincent.
Un cas qui n’est pas isolé. Une étudiante raconte que cette année, quand une des élèves a affirmé son intention d’établir un contrat avec le magazine Valeurs Actuelles, des élèves sont allés voir la direction pour leur demander « si il était normal que l’école accepte des gens qui travaillent avec un journal contraire aux Valeurs de la République ». Bouh les rapporteurs !
Un sectarisme diffus qui prend parfois les allures d’une inquiétante uniformité idéologique à la mode soviétique. Pour les présidentielles en 2012, l’école décide d’organiser une simulation de vote interne. Résultats : 0 voix pour Nicolas Sarkozy, un second tour Hollande/Mélenchon, avec victoire par K.O de la gauche conformiste. Alexandre, étudiant au CFJ cette année là, avait voté Dupont-Aignan … son vote est parti à la poubelle ! « Les élèves ont cru que c’était un canular, car certains avaient voté Cheminade, « pour rigoler » », explique-t’il. Un cocktail orwellien de nonchalance, de dépolitisation et d’automatismes idéologiques qui fait froid dans le dos.
Pour Deloire, qui relativise ce scrutin interne, la faute n’en est pas à la formation, ouvertement pluraliste, mais aux élèves, qui, il le déplore, affichent souvent une convergence idéologique inexplicable.
Pas si inexplicable que ça en réalité. Pour Philippe Lansade, directeur d’une petite école l’HEJ (Lyon-Montpellier), la faute en est à la vieille garde encartée au SNJ, qui constitue la majorité des formateurs. Une génération militante, qui tient depuis 30 ans l’ensemble de la profession et de ses codes : « Mitterand a karchérisé la presse française en 1981, mettant partout ses affidés », avance-t-il. Depuis, ils ne cessent de se reproduire, attirant dans leur giron ceux-là même qui se sentent à l’aise avec une certaine culture journalistique. Des formateurs formatés, qui font le tri à l’entrée, verrouillent le système et assurent leur reproduction sociale, un sentiment d’appartenance à une caste, un club, avec ses codes, ses automatismes, et en filigrane, la peur d’être exclu.
Plus que des usines à formatage, ces écoles seraient ainsi des aimants à formatés. D’après Laurent Obertone, issu de l’ESJ Lille, qui dû subir les foudres de l’ensemble de la profession à la sortie de La France, orange mécanique, « les écoles de journalisme offrent un panel technique et méthodique de connaissances à des individus pour la plupart déjà formatés. En tout cas idéologiquement compatibles avec ce milieu. » Et d’ajouter : « Soit on adhère avec zèle à cette compétition morale, soit on divise par mille ses chances d’exister dans ce milieu ».
Mais pourquoi les jeunes veulent-ils donc faire du journalisme ? Le rêve du jeune apprenti dans un monde idéal ? D’après les directeurs interrogés, pour les filles c’est plutôt photo reporter, pour les garçons, journaliste sportif. (Visiblement la théorie du genre n’a pas encore pénétré ces écoles). Mais c’est la crise, et le journaliste, comme les autres n’a plus de rêves, mais seulement des peurs, avec pour la première d’entre elles, le chômage. Désormais, c’est un « polyvalent » qui veut aller « là où y a du boulot ».
François Ruffin, dans un livre qui fit scandale Les petits soldats du journalisme, accusait le CFJ en particulier et les écoles en général de développer ce « journalisme insipide, aéfepéisé, routinisé, markétisé, sans risque et sans révolte, dépourvu de toute espérance », fabriquant des fantassins soumis aux grands méchants patrons de presse.
« Chiens de garde » « valets du capital », cette rengaine propre à une certaine extrême gauche bourdieusienne qui a pour credo « dis moi qui te possède, je te dirai qui tu es » semble pourtant aujourd’hui dépassée. Car le pire censeur pour le journaliste, ce n’est plus le patron de presse, c’est lui-même. Une autocensure inconsciente, diffuse et mécanique, autrement plus efficace qu’un coup de fil de Serge Dassault pour limer les plumes et noyer l’esprit critique.
Chez ces gens-là le problème est bien qu’on ne pense pas, comme chantait Brel. C’est peut être là tout le charme vénéneux du politiquement correct, qui loin de toujours s’imposer sous la forme inquisitoriale d’une tirade d’Aymeric Caron, ressemble bien souvent à la simple reproduction d’automatismes creux et de réflexes systématiques, qui crèvent comme une bulle de savon à la moindre objection, tant il manquent de structure et de culture politique. Ainsi, pour Alexandre, on est loin d’avoir affaire dans ces écoles à des trotskystes embusqués : « On est moins là dans le militantisme que dans une forme de prêt-à-penser, des automatismes ». Il ironise sur le soi-disant gauchisme des étudiants du CFJ : « C’était plus la promo Bertrand Delanoë que la promo Edwy Plenel, pas des ayatollahs, mais des élèves désidéologisés, consuméristes, hédonistes et liberaux-libertaires ».
Sans doute est-ce le symptôme, d’un journalisme, qui, de métier intellectuel, est passé, à mesure que s’étend le domaine de la lutte, sous la domination du marché, c’est-à-dire de l’immédiateté et de l’empire communicationnel. Une mission d’intellectuels, chargés de comprendre et décrypter le monde, quitte parfois à penser contre soi-même, qui a d’abord été dévoyée par une génération militante qui s’est donné pour mission d’accompagner le changement, puis est devenu le métier fastidieux et technicien de « bots-journalistes » (Obertone), dépossédés de leurs esprits critiques, chargés de relayer les signaux de la société de communication.
« L’évènement sera notre maitre intérieur » : la célèbre phrase d’Emmanuel Mounier pourrait être la devise d’un journalisme éloigné à la fois des ardeurs militantes et de la fausse objectivité technicienne. Ce n’est pas au journaliste de forcer l’évènement à rentrer dans le moule de ses idées préconçues. Il n’est pas là non plus pour s’en faire le simple relais imbécile. Mais pour aider par sa subjectivité et son regard critique à la compréhension des faits. [/access]
Illustration : Soleil
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