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École: François Civil ne sait pas lutter contre l’incivilité!

Civil, incivil ou maladroit ?


École: François Civil ne sait pas lutter contre l’incivilité!
"Pas de vagues", un film de Teddy Lussi-Modeste. © France 3 Cinéma

Pas de vagues, film de Teddy Lussi-Modeste pourra avantageusement être montré dans les instituts de formation des maîtres, non comme document sur la dureté de la condition professorale, mais comme un parfait catalogue de ce qu’un jeune professeur débutant ne doit surtout pas faire. Ce personnage, joué par Fançois Civil, accumule les maladresses.


Julien copine volontiers avec ses élèves, c’est excusable, mais dans la scène où il offre des chich-kebab, il semble adopter un clan de la classe et ignorer l’autre, c’est impardonnable. Pour garder le respect de tous, il faut planer au-dessus des passions et des affects de ses subordonnés, comme dans tous les métiers d’autorité. Le copinage est possible, à condition de respecter une période initiale de froideur et de distance. Le vieux professeur de pédagogie de l’Université de Strasbourg qui m’a dispensé, à moi et aux autres agrégatifs il y a bien longtemps, les quelques heures de conseils qui étaient un viatique restreint mais suffisant disait : deux mois au début de l’année sans un seul sourire, trois mois sans un seul rire, ensuite vous pourrez danser sur les tables, les élèves garderont pour vous le plus profond respect. Je n’ai pas dansé sur les tables mais j’ai ajouté à ces préceptes le vouvoiement, même avec des sixièmes. Moyennant quoi j’ai été un prof heureux avec des élèves heureux. Enfin, ils avaient l’air.

Julien et Julien Sorel

Deuxième erreur de Julien, celle-là est une erreur technique de latiniste insuffisant. Patatras, je vais rallumer la guerre entre lettres classiques et lettres modernes ! Il explique séduire par se-ducere ramener à soi, conduire à soi. Faux, la véritable origine de se est un préfixe du vieux latin qui indique la séparation, l’éloignement. On le trouve dans justement séparer et son doublet sevrer, dans sécession et quelques autres mots. Ce préfixe a disparu, remplacé en latin classique par ex. Séduire a donc une étymologie beaucoup plus amusante et imagée, c’est emmener à l’écart, là, juste derrière ce buisson bien touffu et ce ne sera pas pour enfiler des perles.

Je dis cela par plaisir d’étaler ma cuistrerie mais surtout parce que la séduction joue un grand rôle dans la littérature en général et particulièrement dans la littérature française. Et aussi parce qu’il y a deux manières d’entraîner une femme ou tout objet de son désir derrière le buisson : de force, en la tirant par le bras, ou par le discours amoureux, plus trivialement appelé baratin. Force ou baratin, c’est toute la différence entre barbarie et civilisation.

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Julien fait étudier à ses élèves un grand poème de séduction, Mignonne, allons voir si la rose de Ronsard. Très bien. Les imbéciles seuls penseront que c’est vieillot, car le frémissement de désir qui parcourt le poème est sensible à tout adolescent même de nos jours. La rose est symbole de jeunesse, mais le professeur a le droit de suggérer le plus chastement possible qu’elle représente aussi le sexe féminin, comme dans beaucoup de chansons populaires de la vieille France. J’ai souvent fait étudier la merveilleuse scène de séduction de Madame de Rênal par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Une belle nuit d’été, le cœur d’un petit jeune homme qui bat très fort, il a décidé de prendre la main de la femme qu’il aime, mariée et supérieure à lui socialement, quand sonnera minuit. Prendre la main et non la traîner de force derrière un buisson. Deux actes qui ne sont équivalents que pour les délirantes de la culture du viol. L’heure de cours allait finir et pour une fois je m’adressais spécialement aux garçons de la classe, je leur disais que le séducteur a droit au mensonge, aux promesses mirifiques, mais jamais à la violence. Tout bénef, ils prenaient leur prof de français pour un tombeur de dames, ce qui était bon pour son prestige, et cet interdit de la violence pénétrait dans leur cortex. La littérature est essentiellement l’antiviolence, elle peut convertir en mots tous les conflits.

Le piège classique

Troisième erreur de ce jeune, gentil et séduisant professeur : voulant expliquer l‘astéisme, ce procédé stylistique qui fait semblant de blâmer pour faire en réalité un éloge paradoxal, il prend un exemple où il se met lui-même en scène faisant une déclaration d’amour par astéisme à l’une de ses élèves, la timide Leslie. On sent venir l’accident gravissime, le bus scolaire tombant dans un précipice avec cinquante élèves à bord, mais Julien fonce quand même dans le décor. Sa seule excuse est son besoin désespéré de proximité avec ses élèves. Comme tous les professeurs débutants, il pense qu’il va révolutionner la pédagogie par l’affection, et aucun vieux prof de Strasbourg ne l’a mis en garde contre ce panneau. La catastrophe est totale, Leslie, secrètement amoureuse du beau prof l’accuse de harcèlement sexuel, le grand frère s’en mêle et menace de mort le pauvre Julien, sa hiérarchie ne le soutient pas, ses collègues l’abandonnent, sa vie privée tourne en eau de boudin.

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C’est ici qu’intervient la quatrième erreur du film, celle-là n’est pas dans l’attitude du professeur mais dans le scénario et ses pudeurs. Pour ne pas fâcher l’une des “communautés” qui se partagent désormais la France, le grand frère, personnage fatal des tragédies de banlieue, est joué par un jeune homme parfaitement caucasien, d’allure skinhead. Il ne correspond pas du tout au physique de grand frère que statistiquement on s’attend à voir. On ne peut s’empêcher de penser au fameux clip de Julie Gayet contre le mariage forcé qui a été tourné dans une église avec des acteurs d’allure parfaitement souchienne. Ce triomphe du politiquement correct enlève beaucoup de crédibilité au film.

Dommage. Le professeur de français, à travers les œuvres qu’il fait découvrir, peut faire infiniment plus pour la laïcité et le vivre-ensemble que toutes les proclamations ministérielles ou les baroques “cours d’empathie”. Faisons notre Finkielkraut au petit pied, puisqu’aussi bien je me prénomme Alain : la littérature est salvatrice. J’ai souvent fait apprendre par cœur des tartines de Roméo et Juliette dans la traduction du fils de Victor Hugo, avec bien sûr la scène du balcon. Aucun adolescent n’y résiste, ils se glissent tous dans la peau des héros, ce n’est pas des tartines qu’ils apprenaient, c’était d’immenses sandwiches comme les sous-marins du Québec. La liberté de l’amour à l’occidentale ne peut que triompher à la longue des pressions communautaristes archaïques et de l’abaissement des femmes qu’elles véhiculent. Faire lire et apprendre Molière, et particulièrement L’école des Femmes, est un remède souverain contre le mépris qui les frappe dans des cultures nouvellement importées en Europe :  “Ah ! C’est que vous l’aimez, traîtresse ! – Oui je l’aime. – Et vous avez le front de le dire à moi-même ? – Et pourquoi, s’il est vrai, ne le dirais-je pas ?” Agnès et Arnolphe font rire, mais en douce ils occidentalisent la petite Tchètchène et le petit Afghan qui récitent assez bien leurs rôles, ma foi, malgré leur accent. Le garçon renonce au crime d’honneur qu’il devait accomplir ce soir sur le petit ami de sa sœur et il se promet de faire abandonner par ses frères ce projet barbare.



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