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Qui a eu cette idée folle, un jour de fermer l’école?

“Ecole ouverte”: Blanquer face au Covid


Qui a eu cette idée folle, un jour de fermer l’école?
Le ministre à Yvré-L Evesque (72), 15 septembre 2021 © SICCOLI PATRICK/SIPA Numéro de reportage : 01038511_000021

Dans son nouveau livre, le ministre de l’Éducation nationale, qui ferraille dur face à des syndicats frileux, espère que l’épidémie permettra aux Français de retrouver le sens de l’École.


Point n’est besoin d’être prof de Lettres pour savoir que dans un texte, ce qui n’est pas dit est au moins aussi important que ce qui s’énonce. 

Le non-dit pèse son poids, et dans les essais quasi politiques — et le dernier livre de Jean-Michel Blanquer appartient à cette catégorie —, il marque les thèmes dominants. 

Sous le visage souriant du ministre, on devine assez bien, à lire École ouverte (Gallimard), son exaspération rétrospective, après 18 mois de lutte pour maintenir les écoles en état de recevoir les élèves, ou pour aménager au mieux ces vacances forcées que furent les confinements, stricts ou perlés, face aux jusqu’au-boutistes du cadenas sanitaire ou à un corps enseignant qui, pour aussi admirable que le décrive le ministre, se mit parfois « aux abonnés absents » au moment où l’on avait le plus besoin de lui.

Ces enseignants qui avaient peur de mourir du Covid

Je n’en veux pour preuve l’absence quasi-totale du mot « syndicats » : il apparaît furtivement p. 71, à propos d’une « grève massive » dont Blanquer souligne aussitôt qu’elle fut « peu suivie » — et parfois en creux, au détour d’une expression, lorsque le ministre évoque « les professionnels du tohu-bohu ». Ces mêmes syndicats qui aujourd’hui encore font dans la surenchère sécuritaire — alors qu’un seul enseignant est décédé du Covid, au tout début de l’épidémie, et encore l’avait-il attrapé en Chine. Mais j’ai trop en mémoire cette responsable syndicale arrivant au collège Daumier de Martigues avec son mètre-ruban, en mai 2020, pour mesurer l’espacement exact entre les tables et vérifier qu’elle ne prenait pas de risques exagérés en revenant au travail — et qui, du haut de sa suffisance syndicale, fit supprimer tout ce qui était susceptible de porter un instant un virus, ordinateurs et rétro-projecteurs compris. 

Peut-être aurait-elle dû supprimer les élèves…

C’est justement d’élèves que parle Blanquer. Certes, il salue l’engagement de ceux qui consacrèrent à l’enseignement en distanciel bien plus de temps et d’énergie que ne leur coûtaient leurs cours ordinaires — évoquant celle qui montait les étages des immeubles sans ascenseur pour distribuer le travail aux enfants les plus démunis, ou ceux qui improvisèrent sur France 4 des séances filmées suivies par plus de 800 000 élèves. Mais il se soucie surtout des enfants et des adolescents que gère la rue de Grenelle. Il s’en soucie bien plus que nombre de syndicalistes qui se disputèrent les nouveaux adhérents dans les rangs des trouillards, quitte à renier ce qui avait été le cœur de leur engagement, des décennies durant. C’est ainsi que le SNALC s’aligna sur les positions du SNES — et vit ses effectifs fondre au profit d’Action et démocratie, un petit syndicat qui ne hurlait pas avec les hystériques de la pandémie.

Enseigner est un apostolat

Parce que quitte à me répéter… Ce métier est un apostolat, et rien d’autre. Vos propres enfants passent loin derrière ceux que l’on vous confie — c’est du moins ainsi que j’ai fonctionné pendant 45 ans. Et ce n’est pas quand l’urgence impose d’avoir un peu d’audace que l’on doit reculer. Sinon, le 15 novembre 1797, Bonaparte n’aurait pas traversé le pont d’Arcole au péril de sa vie : il aurait constitué une Commission pour savoir quelle solution présentait le moins de risques.

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Je n’ai jamais ménagé mes critiques envers Blanquer. Je n’ai jamais compris pourquoi il n’a pas, dans les dix premières minutes de son ministériat, pris un décret annulant tous ceux de Vallaud-Belkacem. Ni pourquoi il n’a pas imposé immédiatement une méthode de lecture à des instituteurs qui persistent à employer du semi-global : la méthode Lego, testée avec succès dans quelques centaines d’écoles au grand dam des institutionnels de la Bêtise, n’a été mise au point que fin 2020 — alors que des méthodes alpha-syllabiques efficaces existaient depuis longtemps. Ni pourquoi il n’a pas viré séance tenante les pontes du pédagogisme qui tenaient, et tiennent encore, les Instituts de formation des maîtres : le sacro-saint statut de la Fonction publique ne tient pas lorsque la nation est en danger — et depuis trente ans, le pédagogisme l’a mise en danger. Après tout, en arrachant les mutations aux syndicats qui en faisaient leurs choux gras, il n’a pas hésité à contourner le « barème » : la multiplication des « postes à profil », qui échappent aux règles de fer qui ont fait de la viviparité la preuve de la compétence pédagogique, de sorte que dans les postes les plus exposés ne sont nommés que les néo-profs les plus inexpérimentés, sont une bonne chose ; mais pourquoi ne pas avoir décrété qu’ils seraient désormais la règle, partout, toujours, et que les chefs d’établissement pourraient constituer les équipes de leur choix ? Combien je connais de proviseurs qui rêvent d’orienter vers une retraite précoce des enseignants qui ânonnent le même cours depuis des lustres — quand ils ne se contentent pas de lire le journal devant leurs élèves éberlués…

Tout cela pour dire que j’ai abordé ce livre avec méfiance. Je suis trop républicain pour ne pas me méfier d’un démocrate.

Dès les premières lignes Blanquer pose le problème : « Que cette épidémie ait au moins ce mérite : nous obliger à retrouver le sens de l’École ». Parce qu’il s’était dilué depuis une trentaine d’années, et que cela paraît arranger tout le monde. « L’enseignement de l’ignorance », comme dit Michéa, pouvait s’adapter aux confinements les plus étroits, au port du masque qui gêne la transmission et la communication, aux cours à distance qui n’en sont pas vraiment. « Dans cette situation incertaine s’est joué le choix entre une École vue comme notre institution fondamentale ou comme la variable d’ajustement de nos peurs. » 

Le thème de la future campagne d’Emmanuel Macron ?

Disons tout de suite que le ministre a l’air de penser — et je le rejoins entièrement sur ce point — que l’Éducation et la Culture seront les enjeux majeurs des prochains mois. Et le thème central, sans doute, de la campagne de Macron II. Ses concurrents n’ont pas pris la mesure de ce qui vient de se passer, et qui n’est pas entièrement derrière nous. Les Français ne veulent pas entendre parler d’économie, de dette, ni même d’emploi. Ils veulent qu’on les rassure sur leur être profond, sur la résistance aux menées islamistes (Blanquer nomme ainsi l’agresseur de Samuel Paty, p endant que d’autres préfèrent parler de « loup solitaire », tout comme il a identifié clairement les islamo-gauchistes qui « font le lit de ce qui est l’un des fascismes de notre temps »), ils veulent éviter le « suicide français » dont un célèbre polémiste leur rebat les oreilles… Zemmour pour le moment a seul compris, avec Valérie Pécresse, que le renouveau français serait le thème principal de la campagne.

Le ministre n’est pas de ceux qui prônent, comme Ivan Illich, la « société sans école », ni qui croient que la parole des hilotes vaut celle des savants. La « déconstruction » à la française a manqué d’anéantir l’École, il veut, dit-il, la rebâtir.

Propos étrange dans la bouche d’un homme qui en théorie vit ses derniers mois rue de Grenelle — où il a battu tous les records de longévité, au milieu de l’hostilité syndicale. Pense-t-il y rester au-delà de la réélection de Macron — que je me suis permis d’annoncer il y a plusieurs mois ? Je crois que Blanquer a compris que le souverainisme, dont tout le monde parle et qu’on ne voit nulle part, sera l’enjeu central de la campagne qui s’est ouverte. Et que l’École est le pilier central d’une nation souveraine. « La mère de toutes les batailles », dit-il. 

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Il ne suffit pas, pour s’autocongratuler, de constater que « la France a été un des pays qui ont le plus maintenu les écoles ouvertes… » En Lombardie, note incidemment Blanquer, les élèves ne sont ainsi quasiment pas revenus en classe entre mars 2020 et juin 2021 — un rêve de fainéant. Et d’insister sur la nécessité de l’École comme « lieu physique ». 

Encore faut-il mesurer exactement ce qui s’est effectivement perdu — et ce qui aurait pu se perdre.

L’attitude frileuse des syndicats, les diktats des médicastres, « ceinture et bretelles à tous les étages », dit joliment Blanquer, soûlés de succès médiatiques — Knock enfin au pouvoir ! — et qui « tiennent pour bien peu de poids la fermeture des écoles », les craintes des parents influencés par des médias qui racolaient en brodant sur une apocalypse qui n’a jamais eu lieu, celles des enfants que l’on persuadait — une faute impardonnable — qu’ils allaient tuer leurs grands-parents, tel était le terrain sur lequel a combattu le ministre. Par loyauté il affirme que Macron partageait ses convictions sur la nécessité de conserver le plus longtemps possible les élèves en face de leurs enseignants. Mais bien souvent les souhaits en ce sens du ministre ont été contredits par l’Élysée, soumis à la férule d’experts bardés d’avis péremptoires et ravis d’anéantir les libertés publiques : le Covid, note Blanquer, qui a des Lettres, a marqué la revanche de Rousseau sur Locke, du dirigisme absolu contre la liberté de vivre. Blanquer, soutenu en ce sens par un directeur de Cabinet que le Covid a touché sans le couler, a œuvré au mieux, avec des moyens parfois dérisoires, pour maintenir à flot la relation pédagogique. 

Plutôt Phèdre que Netflix

Il sait bien qu’il a perdu un certain nombre d’élèves — surtout dans ce qu’il appelle « les territoires les plus pauvres ». Et pourtant c’est un député communiste, Sébastien Jumel, qui au début mai 2020 s’est insurgé contre la reprise. Elle est loin, l’époque où le Parti donnait des cours du soir aux ouvriers.

Et à trois jours de la rentrée de septembre, « un groupe de scientifiques et de médecins croit bon de publier une pétition. Pour expliquer que l’Éducation Nationale n’était pas prête. » La crainte sans doute de ne plus être invité sur BFM pour s’y faire maquiller.

La récente décision de fermer les classes dès qu’un cas de Covid est révélé touche principalement les écoles des ghettos sociaux où la résistance aux vaccins est la plus forte. Double peine… Le ministre doit savoir aussi que ces mois de vacances forcées, qui voyaient déambuler des bandes d’adolescents désœuvrés dans les rues de Marseille, ont mis à mal l’habitude scolaire elle-même, laissé des séquelles d’une ampleur considérable, et que les élèves sont revenus en classe bardés d’habitudes bien peu scolaires. Sans compter que leurs compétences en lecture, par exemple, ont diminué en moyenne de 20% — on est passé de pas grand-chose à presque rien. Il n’ignore pas qu’ils ont bronzé à la lumière de leur télé — et qu’il fallait les faire revenir en classe au plus tôt, parce que, dit-il joliment, « plutôt Phèdre que Netflix ». Surtout ceux des lycées professionnels, privés d’ateliers et de savoir-faire. Il sait enfin que nombre d’enseignants voudraient passer tout de suite, alors même que le variant Delta régresse, de la phase 2 à la phase 3 — rentrer chez soi et se réfugier sous leur couette. Cette épidémie (le terme ferait sourire ceux qui ont vécu la peste de 1348 ou la grippe de 1918 — mais nous avons perdu l’habitude d’être en danger de mort) a rendu fous trop de gens. Oui, il y a certes de quoi se demander, comme le fait le ministre, « comment réagirait notre pays en cas de guerre ». Surtout depuis que l’on ne donne plus le petit Bara comme exemple à l’école. Ni Bayard, ni Duguesclin. Quant à Napoléon, il se fait déboulonner à Rouen et ailleurs. Et le Conseil de défense sanitaire s’aligne sur Edmond Le Bœuf qui à la veille de la déroute de 1870, affirmait : « Il ne manque pas un bouton de guêtre. » On connaît la suite.

Ce livre a une seconde partie, plus programmatique, une partie qui explique le titre de l’ouvrage. Blanquer y explique que la fermeture des écoles, dans le monde, a suivi très exactement la part des investissements auxquels consentent les pays en matière d’éducation. Singapour ou la Corée du Sud, qui n’ont que les cerveaux comme matière première, brillent dans les palmarès — parce que, comme le formule très bien Blanquer, « ”l’éducation est le meilleur des calculs économiques.” Qui parie avec moi que ce sera l’un des thèmes principaux de la campagne à venir de Macron ? Ou de quiconque aura compris que « les seuls « raisonnables » sur cette planète sont ceux qui voient que nous ne nous n’en sortirons pas si nous ne donnons pas réellement la priorité à l’avenir, c’est-à-dire aux enfants, c’est-à-dire à l’éducation. » Qui parie avec moi que cette phrase ressortira toute crue d’un prochain discours de Macron ?

Le monde à venir se dessine en Orient. Blanquer ne détesterait pas qu’il se dessine aussi ici. Mais il faudrait d’autres méthodes, plus musclées que les siennes. Non pas un équilibre, qu’il appelle de ses vœux, entre un ministère jacobin et des transferts de responsabilités à tonalité girondine, mais une mutation complète du système. On ne reviendra pas à l’École de la IIIe République, qui nourrit tant de fantasmes. Celle du XXIe siècle sera délocalisée ou ne sera pas. 

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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