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Méthode Montessori: la fabrique du crétin libéral


Méthode Montessori: la fabrique du crétin libéral
Ecole Montessori; Céline Alvarez. Sipa. Numéros de reportage : 00770251_000139 et Numéro de reportage : AP21982952_000002.
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Ecole Montessori; Céline Alvarez. Sipa. Numéros de reportage : 00770251_000139 et Numéro de reportage : AP21982952_000002.

« Ces profs du public qui cassent les codes. » L’Express publiait le mois dernier un nouvel article élogieux sur la méthode Montessori introduite dans l’Éducation nationale. Sur ce sujet, toujours pas de réflexion critique. Pourquoi ? Cette méthode pédagogique n’aurait semble-t-il que des avantages et contre elle que des enseignants qui « refusent de remettre en question des habitudes bien ancrées » – autrement dit des paresseux réactionnaires. En ferais-je donc partie, moi qui, enseignante en maternelle n’ai délibérément pas cédé aux sirènes montessoriennes ?

La vague montessorienne dans l’Éducation Nationale, renforcée par la publicité offerte par nombre de médias, date essentiellement de l’expérience de Céline Alvarez à Gennevilliers que l’article de L’Express retrace en quelques mots. En 2011, Céline Alvarez devient professeur des écoles avec comme objectif de prouver que la pédagogie Montessori peut être appliquée dans l’Éducation Nationale. Elle obtient, avec la bienveillance du ministère, un poste en maternelle à Gennevilliers et mène son expérience pendant trois ans avant de claquer la porte et de se reconvertir en modèle à suivre/conférencière. Notons qu’elle n’a nullement été suivie par une quelconque commission d’évaluation officielle et impartiale et qu’aucun bilan de son expérience (sur tous les plans : acquis cognitifs, construction de la personnalité de l’enfant, faisabilité budgétaire, concordance avec les programmes, impact sur l’équipe enseignante, satisfaction des attentes de tous les parents, etc.) n’a été établi par le ministère qui, aujourd’hui, la soutient officieusement.

Une méthode très exclusive

Les résultats qu’elle affiche dans ses vidéos sont presque incroyables au niveau des acquis cognitifs (90% des Moyens et 100% des Grands auraient assimilé la lecture, certains atteignant même un niveau CE2 en maths). Résultats, il faut en convenir même si on peut regretter qu’ils n’aient pas subits de contre-expertise, très attractifs pour les parents inquiets de l’avenir de leur progéniture dans un monde où l’accession à un emploi devient de plus en plus problématique.

Seulement voilà, comme le montre parfaitement Céline Alvarez elle-même mais aussi les « maisons d’enfants » (et non « écoles ») appliquant la méthode Montessori, la démarche de la pédagogie jusqu’à présent dominante en école maternelle et la démarche de la méthode Montessori sont totalement exclusives l’une de l’autre. Dans la méthode Montessori, il s’agit fondamentalement de contraindre de facto l’enfant, par l’organisation de la classe et un appauvrissement de son environnement (couleurs qui n’accrochent pas le regard, absence d’affichage, les mêmes ateliers mis à la disposition des élèves de l’entrée à la sortie de la maternelle, etc.), à se tourner spontanément vers les seules activités qui lui sont laissées à disposition en ateliers autonomes. On ne peut donc pas faire du moitié-moitié, moitié méthode « traditionnelle » – pour faire plus simple – moitié méthode Montessori.

>> A lire aussi: L’école de l’amusement, symptôme du moins d’Etat

Si l’on mélange les deux – ce que font apparemment mes collègues que L’Express a visitées dans le XIVe arrondissement de Paris – on perd sur les deux tableaux : l’encadrement magistral indispensable au déroulement des activités collectives perdra de sa consistance aux yeux des enfants d’un côté, et de l’autre les élèves risqueront de s’ennuyer dans les moments où on ne leur laissera que l’accès aux ateliers Montessori qui pâtiront alors de la comparaison avec les activités collectives plus entraînantes.

Cette incompatibilité radicale entre les deux démarches pédagogiques fait que l’enseignant qui, aujourd’hui, décide de faire le choix, encore très minoritaire, de bouleverser sa classe en y appliquant les principes d’aménagement de classe liés à la méthode Montessori prend la grave décision de la vider de ses meubles et du matériel accumulé pendant des années et des années, au risque de la laisser considérablement appauvrie au collègue qui lui succéderait en cas de retraite ou de mutation et qui ne désirera pas forcément y appliquer la méthode Montessori.

D’ailleurs, avant d’aborder le fond des critiques que l’on peut adresser à la pédagogie Montessori, parlons donc du côté bassement matériel – puisqu’il en est question dans l’article de L’Express mais de façon trop superficielle – de la mise en place de la pédagogie Montessori dans une classe de l’Éducation nationale.

Des conditions matérielles exceptionnelles

Céline Alvarez a faussé son expérience au départ. Elle l’a entamée dans des conditions matérielles exceptionnelles :

– la classe qu’on lui a attribuée faisait environ 75m2 : rares sont les classes de cette superficie dans les locaux scolaires.

– elle a reçu un don de l’association Agir pour l’école, association loi 1901 financée par des fonds publics et des partenaires privés tels que Dassault, la fondation Bettencourt, AXA et la fondation Total, d’un montant de 2.000€ pour aménager sa classe : l’indigence dans laquelle se trouvent des classes voulant entamer l’expérience fait que le matériel proposé aux élèves sera incomplet, à moins que les enseignants ou les parents ne mettent la main au porte-monnaie.

– une éducatrice formée à la pédagogie Montessori lui a été attachée en permanence : je me demande comment mes collègues ont fait pour suppléer au fait qu’à Paris il n’y a même pas une ATSEM (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles, non-formée à la méthode Montessori au demeurant) par classe, sans compter qu’elles ne sont pas en permanence dans les classes et sont chargées de tâches ménagères.

Parlons maintenant du fond des critiques que l’on peut formuler sur la pédagogie Montessori (eh oui, rien n’est parfait) qui feront peut-être comprendre que rejeter cette pédagogie n’est pas forcément signe d’un esprit sclérosé.

Je ne parle ici que d’une classe purement Montessori, c’est-à-dire appliquant ladite méthode sans concession ni mixage pédagogique. Dans une classe réellement Montessori, il n’y a plus – en application de deux principes directeurs que sont la suppression des activités collectives et la suppression de toute distraction risquant de rendre moins attractifs les ateliers autonomes – :

– d’activités sportives collectives

– d’activités artistiques dirigées

– de coin de jeux d’imitation (maison, cuisine, théâtre de marionnettes…)

L’activité sportive est réduite à tenir une balle de ping-pong sur une cuiller en marchant sur une ellipse tracée au sol dans la classe. Plus aucune autre activité sportive collective. Ce qui plonge complètement dans l’incohérence pédagogique les membres de la hiérarchie de l’Éducation nationale qui soutiennent la mise en place de classes Montessori tout en exigeant contradictoirement l’application des programmes officiels de l’École maternelle. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la hiérarchie de l’Éducation nationale n’a pas cherché de noises à Céline Alvarez alors qu’elle n’appliquait pas les programmes et qu’elle favorise aujourd’hui sa propagande en faveur de la diffusion de la méthode Montessori en son sein alors que celle-ci s’oppose ouvertement aux programmes que l’Éducation nationale veut que l’on suive scrupuleusement.

Le retour à la normale est-il possible?

Dans la classe de Céline Alvarez, l’activité artistique est réduite à deux postes de travail : dessin avec des feutres et gouache avec des pinceaux. Exit le développement de l’esprit créatif de l’enfant, l’expérimentation de la matière, des supports et des outils. Plus question non plus de proposer collectivement à la classe un thème directeur sur lequel s’appuyer pour faire utiliser supports, outils et techniques.

Les jeux d’imitation, considérés comme beaucoup trop attractifs pour les enfants dans une classe Montessori (lâchez des enfants dans une classe équipée d’un beau coin maison et vous verrez s’ils se dirigent vers les ateliers autonomes) y sont purement et simplement éliminés. Mais pourquoi ont-ils toujours eu leur place en maternelle ? Voyons, que je me rappelle… N’y avait-il pas de très bonnes raisons pédagogiques visant à la socialisation et à la construction de la personnalité de l’enfant ? Mais ceci s’explique quand on constate qu’avec Céline Alvarez, il n’est plus question de psychologie de l’enfant mais de… neurosciences ! Eh oui, Céline Alvarez et ceux qui l’appuient sont des « scientifiques », pas des rigolos comme nous.

Dans le domaine des jeux d’imitation aussi, on peut noter l’ambiguïté de l’Éducation nationale encensant implicitement un abandon qu’elle sanctionne dans une classe « traditionnelle ».

Parlons enfin de deux points secondaires mais non négligeables questionnant l’intérêt de la submersion de l’Éducation nationale par la vague Montessori.

Il y a d’abord l’inquiétude, à mon sens fondée, exprimée par une mère d’élève dans l’article de L’Express : « Arrivera-t-elle à s’intégrer ensuite dans une classe de CP « normale » ? » La question doit être posée puisque l’article précise que les enseignants d’élémentaire ne suivent pas le mouvement et que la quasi-totalité des classes de CP restent donc aujourd’hui non-Montessori. Sans compter qu’un enfant qui aura vécu toute sa scolarité de maternelle sans apprendre les règles du travail collectif et les règles de discipline qui y sont liées aura probablement des difficultés à se fondre dans l’attente disciplinaire de l’enseignant. Comment un enfant qui aura atteint les résultats affichés par Céline Alvarez, à savoir la lecture acquise en fin de maternelle et un niveau de CE2 en mathématiques, pourra-t-il s’intéresser à ce qui se passera en CP ? Voire en CE1? Non seulement ces élèves n’auront pas intégré les règles du travail collectif, mais ils s’ennuieront, perturberont la classe et auxquels on ne pourra pas faire sauter de classe car leurs acquis seront déséquilibrés et inégaux. On me rétorquera qu’il suffit alors d’appliquer le principe de la loi d’orientation de Jospin de 1991 selon lequel on doit prendre chaque élève au niveau où il en est. Mais les praticiens savent bien que ce sont des vues de l’esprit pédagogistes car il est impossible d’établir un cursus différent pour 30 élèves au sein d’une classe.

L’autre inquiétude concerne le risque de stagnation totale des enfants. Selon la méthode Montessori, l’atelier doit être saisi par l’enfant de son propre chef. Certains enfants peuvent donc se satisfaire toute l’année, voire tout au long de leur scolarité en maternelle, de faire la même activité en boucle… Pourquoi le ministère de l’Éducation nationale, qui avait négligé de suivre avec attention l’expérience de Céline Alvarez, s’en est ensuite emparé et a favorisé les interventions de cette femme dans des conférences organisées par ses soins ?

L’engouement étatique pour Montessori

Peut-être faut-il chercher un début de réponse aux origines de la méthode Montessori et dans ses visées politiques. Elles ont été clairement exposées par Céline Alvarez : il s’agit d’éviter de produire des révoltés en empêchant l’enfant de ressentir de la distance entre lui et son environnement et en faisant du lieu (classe/école/maison d’enfants) un lieu à la disposition de l’enfant. Il s’agit de faire en sorte que l’enfant ne rencontre aucun obstacle, aucune frustration, ne subisse aucun échec qui pourrait être nocif à son épanouissement et le forger dans la confrontation aux autres et aux institutions. La méthode de Madame Montessori, fervente catholique (la seule entorse à ses principes dans ses maisons d’enfants était l’existence de cours de catéchisme très traditionnels), convenait tellement au système en place qu’elle fut soutenue et financée par Benito Mussolini.

Cette méthode donne l’illusion à l’enfant que la société est harmonieuse et à son service afin qu’il ne développe aucun esprit critique à l’encontre de ses défauts et dysfonctionnements. La société serait si bonne et si peu critiquable que se retourner contre elle ne pourrait être produit que par un défaut dans l’éducation de l’enfant. C’est probablement dans cette vérité sur le fondement de la méthode Montessori qu’il faut chercher l’une des raisons de l’engouement étatique à son égard.

L’objectif de l’école de la République, construire le citoyen et son esprit critique, disparaît. Chaque enfant est seul face à l’activité qui doit lui permettre d’acquérir des connaissances et des savoir-faire. On est dans un registre purement cognitif et individuel. Les relations avec les autres n’existent que dans la démonstration silencieuse de la maîtresse dont la place cesse d’être centrale dans le groupe-classe, personnage dont le rôle se confond avec celui de l’autre adulte intervenant, voire avec celui de l’enfant plus grand qui assumera à son tour la démonstration silencieuse. Il n’y a plus d’autre règle sociale que le respect des conditions de travail individuelles des autres enfants. Le groupe classe cesse d’être une société régie par des règles.

La diffusion de la méthode Montessori convient donc parfaitement à l’État libéral. Elle signifie l’abandon de la suprématie des programmes unificateurs et contribue à l’éclatement de l’Éducation nationale. D’abord par la municipalisation (vers laquelle la réforme des rythmes scolaires a été un pas important), puis, in fine, par la privatisation. Cette dernière tendance annonce tout autant des économies budgétaires que l’ouverture d’un marché prometteur.

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enseigne en école maternelle.

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