Notre système éducatif est incapable de corriger les inégalités dans l’héritage génétique qui conditionne une bonne part de notre intelligence. Ce qui condamne les enfants des classes populaires à la relégation culturelle – donc sociale
Ne jouons pas les vieux cons : il n’est pas certain que le niveau baisse
Bien sûr, les tests montrent une baisse du niveau des enfants, mais le périmètre culturel et cognitif a profondément changé. Comparer les jeunes de 1930, qui connaissaient les départements et les préfectures par cœur ainsi que la date de Marignan, aux jeunes d’aujourd’hui n’est pas simple méthodologiquement. Le niveau en orthographe et en calcul a baissé de façon certaine, mais les nouveaux savoir-faire ne sont pas facilement évaluables. Et n’oublions pas que les philosophes grecs et les contemporains de Louis XIV s’indignaient déjà de la baisse du niveau intellectuel, culturel et moral de la jeunesse.
Avant 1975, le collège unique n’existait pas : les élèves étaient triés à la fin de la 7e , les plus doués entraient au lycée, qui débutait alors dès la 6e , tandis que les autres allaient au collège. On ne voyait pas les enfants moins favorisés sur le plan cognitif. Avec le collège unique, les mauvais élèves sont très visibles !
Vers 1950, moins de 5% d’une classe d’âge avait le baccalauréat. En 2019, on tutoie 85%. Or, le niveau intellectuel des jeunes Français n’a absolument pas suivi cette inflation. Cela crée une illusion d’optique : un bachelier de 1950 ne faisait pas de fautes d’orthographe et savait raisonner. Mais il fallait plus de 125 de quotient intellectuel (QI) pour avoir le bac à cette époque. Aujourd’hui, on obtient le bac avec 80 de QI, ce qui ne permet pas la maîtrise du raisonnement hypothético-déductif… En moyenne, le niveau des bacheliers s’est effondré du fait de la démocratisation et de la démonétisation du diplôme.
« Digital natives » : histoire d’une escroquerie politique
Une chose est certaine : le numérique n’est pas une solution miracle et aggrave le manque de concentration des jeunes. En 2000, le psychologue américain Marc Prensky inventa l’expression « digital natives » et affirma que les jeunes générations seraient bien plus à l’aise dans le monde grâce aux nouvelles technologies. La plupart des hommes politiques sont tombés dans le panneau : les jeunes allaient casser la baraque grâce au numérique, et ils deviendraient tous codeurs informatiques. Ce fétichisme technologique a fait prendre énormément de retard aux sciences de l’éducation. Ânonner « Tous codeurs » et « Des iPad pour tous » est à la portée du premier politicien venu. À l’inverse, comprendre les sciences de l’éducation, étudier les méthodes pédagogiques exige un travail de fond. Les études réalisées depuis le milieu des années 2010 montrent à quel point l’opinion publique a été abusée par le discours enfantin sur le numérique, la jeunesse et l’école. Paul Kirschner et Pedro De Bruyckere, chercheurs en sciences de l’éducation, ont montré que les « digital natives », spontanément experts numériques et capables de traiter simultanément de multiples sources d’information, sont un mythe. Tous les gamins savent publier des « stories » sur Snapchat, mais un tiers des jeunes Français ne sait pas remplir un formulaire électronique simple.
Pendant que l’on fantasme sur l’effet magique des outils numériques sur le niveau de nos enfants, on ne regarde pas les mauvais résultats de l’école dans le monde réel. Comme l’explique le chercheur Franck Ramus : « Donner des tablettes aux élèves sans réfléchir aux contenus et aux usages a aussi peu de sens que de leur donner du papier en pensant les rendre “book natives” comme par magie. » Le jeunisme technologique a fait des ravages chez les politiciens. Il faut maintenant abandonner la pensée magique et réfléchir à la difficile mutation de l’école.
Faire mentir Harari sera difficile : l’école va énormément décevoir
La vision du monde futur de Yuval Harari dans Homo Deus : une brève histoire de l’avenir est un cauchemar politique qu’il intitule de façon atroce « Gods and useless » : un monde divisé entre des dieux tout-puissants, maîtres des intelligences artificielles (IA), et des inutiles ne comprenant pas la nouvelle économie du savoir, bénéficiaires du revenu universel jusqu’à leur mort.
Les élites font semblant de croire que l’école va supprimer les inégalités neurogénétiques d’un claquement de doigts. Pierre Bourdieu affirmait que les inégalités sont dues essentiellement à des facteurs culturels : l’environnement familial serait la source des différences de performances liées à la capacité de manipuler les codes de la bourgeoisie.
En réalité, on sait aujourd’hui que l’ADN détermine plus de 50 % de notre intelligence. L’école et la culture familiale ne pèsent pas beaucoup face au poids décisif de la génétique, selon les travaux conduits par plusieurs équipes, dont celle de Robert Plomin au King’s College de Londres. La maîtrise de la lecture est également fortement dépendante de nos chromosomes : l’école et l’environnement culturel et scolaire n’ont qu’un rôle marginal. Les travaux de Robert Plomin montrent que la causalité est l’inverse de ce que Bourdieu imaginait. Ce n’est pas parce qu’il y a des livres dans les bibliothèques des bourgeois que leurs enfants sont de bons lecteurs, c’est parce qu’ils ont reçu un bon patrimoine génétique. 64 % de nos différences en matière de capacité de lecture sont d’origine génétique : la famille, l’école, nos efforts individuels n’en expliquent qu’un tiers.
La réalité est tragique : en 2019, il n’existe toujours aucune technologie éducative pour réduire significativement les inégalités intellectuelles. En France, Jean-Michel Blanquer a testé une baisse importante des effectifs des classes pour permettre un enseignement personnalisé. Le dédoublement des classes de CP a permis de baisser la proportion d’élèves de REP+ en très grande difficulté de 40 à 37 % pour le français et de 40 à 34 % en mathématiques. L’impact du dédoublement n’est donc pas nul, mais il est bien faible : il faudrait un gain dix fois supérieur pour réduire significativement les inégalités cognitives. Cette mesure – dont le coût est énorme – a rendu la situation un tout petit peu moins dramatique, mais ses bénéficiaires ne sont toujours pas armés pour s’intégrer dans l’économie de demain. N’oublions pas que ces enfants seront encore sur le marché du travail en 2070 ! Même pour les 10 % d’enfants qui ont progressé, est-ce que passer de « en très grande difficulté » à « en grande difficulté » est la promesse d’une compétitivité face aux intelligences artificielles de 2070 ? Non ! Il va falloir d’immenses efforts pour aller plus loin.
Nos enfants doivent être complémentaires de l’IA
Les élites ont lancé la société de la connaissance, du big data et l’industrialisation de l’intelligence artificielle sans se préoccuper de la démocratisation de l’intelligence biologique. Le décalage temporel entre l’industrialisation de l’IA, foudroyante, et la démocratisation de l’intelligence biologique, qui n’a pas commencé, menace la démocratie, une part croissante de la population n’ayant pas acquis les nouvelles qualifications requises pour s’intégrer dans la nouvelle économie. Le QI moyen à Singapour et à Hong-kong (108) est dix points au-dessus de la France (98). Dans une économie de la connaissance, cela constitue un handicap majeur pour la population. Les performances du système scolaire telles que mesurées par l’échelle PISA sont inquiétantes. Le niveau des jeunes Français est désormais loin derrière celui de la plupart des pays asiatiques. Les sciences de l’éducation, parent pauvre du système de recherche, sont le premier antidote contre le déclassement des classes moyennes et la montée du populisme. Le système éducatif doit viser à rendre les citoyens complémentaires de l’IA et non substituables par elle.
L’école doit aider nos enfants à affronter la contre-révolution numérique
Les créateurs d’internet étaient persuadés que ce réseau deviendrait le principal outil de promotion de la démocratie, en garantissant la libre expression à chaque habitant de la Terre. Cette utopie technologique était d’une naïveté confondante.
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L’intelligence artificielle permet toutes les manipulations et « fake news » déstabilisatrices sur internet. Dans tous les pays occidentaux, un courant obscurantiste favorise une défiance généralisée de l’opinion. Le savoir est devenu trop vaste pour être connu : le volume de la connaissance humaine double tous les dix-huit mois. L’IA brouille la frontière entre réel et irréel. Faux documents, vidéos parfaitement réalistes, « environnements ultra immersifs » peuvent fausser le débat politique. L’IA permet aux géants du numérique de comprendre, d’influencer et de manipuler nos cerveaux, ce qui remet en cause les notions de libre arbitre, de liberté, d’autonomie et d’identité, et ouvre la porte au totalitarisme neurotechnologique. Sergey Brin, le cofondateur de Google, résume notre dépendance : « La plupart des gens ne souhaitent pas que Google réponde à leurs questions ; ils veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire. » Le développement de la réalité virtuelle va accentuer cette immersion dans un monde irréel et magique qui deviendra une drogue ultra addictive. L’école doit apprendre aux futurs citoyens à éviter les cyberaddictions et à se repérer dans le brouillard du cyberespace pour sauver le libre arbitre. Par ailleurs, l’obésité informationnelle est une grande menace : trier l’information est très difficile pour les enfants moins doués. Contrairement aux espoirs de 1995, le web augmente les inégalités, car seuls les enfants les plus doués arrivent à trier l’information.
L’école de 2050
La rapidité d’apprentissage de l’intelligence artificielle explose alors que l’école n’a guère changé depuis la Grèce antique : elle est aussi archaïque que la médecine de 1750 ! Son organisation et ses méthodes sont figées et, plus grave, elle forme aux métiers d’hier. L’école de 2050 ne va plus gérer les savoirs, mais les cerveaux, grâce aux technologies dites « NBIC » (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Nous devrons personnaliser les enseignements en fonction des caractéristiques neurobiologiques et cognitives de chacun. Et il faudra faire entrer à l’école des spécialistes des neurosciences, puisque l’enseignant de 2050 sera fondamentalement un « neuroculteur ».
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L’augmentation cérébrale ne peut se faire que de deux façons : par sélection et manipulation génétique des embryons, ou par action électronique sur notre cerveau. Le 28 mars 2017, Elon Musk a annoncé le lancement de Neuralink, une société destinée à augmenter nos capacités cérébrales grâce à de minuscules composants électroniques entrelacés à nos 86 milliards de neurones. Il ne fait aucun doute que l’on pourra, à terme, augmenter le QI des bébés par manipulations biotechnologiques. L’augmentation cérébrale pose d’immenses questions géopolitiques et éthiques. Une large partie des Chinois, d’après les sondages internationaux réalisés par l’agence BETC, souhaitent augmenter le QI de leurs bébés grâce aux biotechnologies. Que deviendraient les bébés européens du futur si on n’augmente pas leurs QI, pendant que les Chinois fabriqueraient des surdoués à la chaîne ? Les élites intellectuelles françaises ont-elles moralement le droit d’interdire aux familles modestes d’augmenter le QI de leurs bébés afin de ne pas partager l’intelligence conceptuelle ? En réalité, dans le monde ultra complexe que l’IA va induire, la démocratisation de l’intelligence biologique s’imposera comme une évidence.
En 2019, l’enjeu n’est pas de cultiver la nostalgie des hussards noirs de la République, mais d’adapter l’école au nouveau monde. Accessoirement, l’école doit cesser d’être le porte-voix des ayatollahs apocalyptiques et de Greta Thunberg. Nos enfants ne pourront pas être compétitifs face à l’IA si l’école les persuade que la fin du monde arrive…
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