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L’école de papa, c’est fini !


L’école de papa, c’est fini !

école FCPE parents d'élèves Brighelli

Pierre Abraxas, p.c.c. Jean-Paul Brighelli

Nous avons reçu ce courrier adressé à Jean-Paul Brighelli, dont le blog, Bonnet d’âne, est désormais hébergé par nos soins. Nous le publions sans commentaires, il se suffit à lui-même. Le signataire nous est inconnu : tout ce qu’il dit de lui, c’est qu’il est parent d’élève, convaincu des bienfaits du pédagogisme, la doctrine qui régit l’École depuis plus de trois décennies et dont il résume en quelques paragraphes les objectifs et les méthodes, et qu’il n’apprécie ni le destinataire de sa missive, ni ce qu’il appelle « l’école à papa ».

De Pierre Abraxas, parent d’élève, à Jean-Paul Brighelli, aux bons soins d’Élisabeth Lévy.

Monsieur,

J’ai hésité avant de prendre la plume, sachant parfaitement que mon courrier finirait dans votre poubelle, tant l’esprit partisan qui vous anime dès que vous parlez d’École vous interdit de laisser place à une pensée moins réactionnaire que la vôtre − une pensée réellement progressiste, qui tienne compte du vécu des enfants (ou plutôt des apprenants), loin de l’élitisme stérilisant que vous revendiquez et de cette école à papa que la nostalgie d’hier vous fait croire bonne pour aujourd’hui ou demain.
Vous n’avez raison que sur un point : l’École actuelle n’est pas à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour nos enfants, ni des défis que pose une société si diversement colorée − contre le manichéisme noir et blanc que vous défendez. Par trop d’aspects, elle est encore exagérément sélective, autoritaire, et socialement discriminante. Le collège unique, seule création durable de l’ère Giscard d’Estaing, n’est pas encore assez unique, et son principe devrait inspirer les lycées de demain. La mesure des savoirs académiques n’a pas encore laissé toute sa place à l’évaluation des savoir-être et des compétences transversales. Et les enseignants renâclent encore trop souvent à laisser la parole aux enfants, de quelque manière qu’elle s’exprime, alors que leur ambition devrait être d’encourager la perturbation, expression libre de la créativité enfantine.
Heureusement, le gouvernement, habilement guidé par les vraies organisations d’avant-garde, la FCPE, le SE-UNSA le SGEN[1. Ces deux syndicats viennent de publier un communiqué commun appelant de leurs vœux une « École de demain », que l’on peut consulter ici.] et la Ligue de l’enseignement, qui tiennent la main de Vincent Peillon et ont pré-orienté sa « grande consultation » sur l’avenir de l’École, commence à remettre l’École sur la bonne voie.

L’horreur pédagogique commence parfois dès la Maternelle et le CP − mon fils a subi dans ces classes une professeure des écoles selon votre cœur, qui s’était permis de remplacer le manuel utilisé par son prédécesseur, Ribambelle, par un opuscule signé GRIP Éditions préconisant le retour au vieux b-a-ba. Pierre Frackowiak, qui fut si longtemps inspecteur du Primaire dans le Nord, stigmatise avec raison les méthodes syllabiques, source du désarroi présent des enseignants[2. « La refondation et la souffrance des enseignants », Pierre Frackowiak, 28 septembre 2012.] face à des élèves dressés comme des petits chiens, auxquels toute expression autonome est refusée − le tout au nom des principes réactionnaires qui régissent l’apprentissage de l’orthographe, ce concept bourgeois, et de la grammaire, ce carcan fasciste imposé à la langue. Il évoque avec raison la « souffrance » de ces enseignants, et celle des élèves, surtout les plus démunis (le fait que j’habite le Marais, et non les quartiers Nord de Marseille, ne m’empêche pas d’avoir une vraie conscience sociale…), appartenant souvent à des communautés étrangères, et sommés par des « instituteurs » réactionnaires d’apprendre la langue et la culture bourgeoises, alors qu’il y a bien plus de créativité dans la désarticulation du langage opérée par les rappeurs des cités, comme le soulignait jadis Jack Lang, que dans toute l’œuvre de Racine. Plutôt que d’enseigner de façon frontale et verticale des règles artificielles et surannées (n’était-ce pas Saussure qui parlait de « l’arbitraire de la langue » ?), il convient, comme le font en vérité les professeurs des écoles formés dans les IUFM inventés jadis par l’admirable Philippe Meirieu, aujourd’hui phare de la pensée écologique lyonnaise, il convient, disais-je, que l’enseignant consente à être enseigné par ses élèves, qu’il se mette à l’écoute de leurs désirs, de leur poésie innée. De leur violence aussi : être frappé sur la joue droite doit inciter à tendre l’oreille gauche.

Au lieu de rentrer à la maison pour se plonger dans des devoirs (interdits par la loi depuis 1956 !) et des leçons ineptes (comme le remarquait Rousseau, quel besoin ont-ils d’apprendre l’hypocrisie dans Le Corbeau et le Renard, ou l’injustice dans Le Loup et l’Agneau ?), ils devraient être libres de leurs désirs : à leur âge, passer des heures entières assis à écouter le ronronnement d’un enseignant autoritaire ne peut être une finalité. Après tout, il y a des correcteurs orthographiques et des calculettes dans n’importe quel portable, et les enfants devraient tout jeunes être autorisés à en garder un sur eux en permanence, ne serait-ce que pour garder le lien avec leur famille. Jean-Claude Hazan, qui dirige la FCPE, la seule fédération de parents réellement progressiste, demande d’ailleurs la suppression des devoirs, des notes et des redoublements − ces trois piliers du fascisme enseignant[3. « La FCPE veut arrêter les notes avant le lycée, les devoirs et le redoublement », 27 septembre 2012.]. J’ajouterai, avec Bernard Desclaux, l’un de nos courageux Copsy (Conseillers d’orientation psychologues), qu’il faut également en finir avec les angoissantes procédures d’orientation[4. « Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation ? », Bernard Desclaux.]. Les enfants doivent être libres d’apprendre à leur gré et à leur rythme, ou de ne pas apprendre si tel est leur bon plaisir ; nous devons cesser de les stigmatiser par de mauvaises notes (à la rigueur, conservons les bonnes) et de faire peser sur leur tête la lame de la guillotine du « passage » en classe supérieure. Nous devons abolir les redoublements, et toutes les formes de stress à l’École.

Espérons que les ÉSPÉ − Écoles supérieures du professorat et de l’éducation − que met aujourd’hui en place Vincent Peillon remédieront aux débauches de cette pensée réactionnaire dont vous vous faites, Monsieur, l’écho complaisant[5. « Les ÉSPÉ, un nouveau départ pour la formation des enseignants », entretien avec Patrick Demougin, 25 septembre 2012.]. Les petits écoliers français sont parmi les plus stressés d’Europe, comme le soulignait jadis Peter Gumbel[6. Peter Gumbel, On achève bien les écoliers, Grasset, 2010.], l’homme qui a su flairer en vous le sergent Hartmann − l’adjudant-formateur de Full Metal Jacket − sommeillant sous les oripeaux du prof, et comme le rappelle encore aujourd’hui une pédagogue italienne, Antonella Verdiani, qui prône les « pédagogies du bonheur », si constructives, contre l’invraisemblable violence de l’accord nom-adjectif et du carré de l’hypoténuse[7. Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, Antonella Verdiani, Éditions Actes Sud − Domaine du possible.].

Qui sont, au fond, ces enseignants réactionnaires ? Souvent formés dans les classes préparatoires, temples de l’élitisme, du conservatisme et de la culture unique, alors qu’il est tant de cultures plurielles, dans le respect des communautés qui font de la France d’aujourd’hui une mosaïque d’opinions contrastées − et je milite pour la reconnaissance de la pensée hirsute, seule douée de créativité, contre la monotonie de la pensée unique de l’institution scolaire −, ces classes prépas qu’il faudra bien se résoudre à dissoudre dans la diversité si réjouissante des universités vraiment libres (celles qui ne sont pas aux mains des sorbonnards et autres piliers d’un establishment culturel que je méprise), ces enseignants, dis-je, perpétuent le système qui les a formés, au lieu de se mettre à l’écoute des jeunes, qui ont bien le droit de s’exprimer, conformément à la loi Jospin de 1989 (ma phrase est un peu longue, mais je suis journaliste au Nouvel Observateur, je ne suis pas tenu au « beau » style !). Il y a plus d’idées en puissance dans le joyeux bordel d’une classe animée que dans le ronron stérilisant que vous affectionnez. Ce que vous appelez « violence » n’est le plus souvent que réaction à une violence antérieure exercée par des enseignants rigoristes qui s’obstinent à vouloir imposer un silence stérilisant à des jeunes à la gestuelle exubérante et créatrice, généralement issus des classes populaires, tant les « héritiers », comme disait Bourdieu, sont constipés dans leurs comportements stéréotypés d’enfants sages. Oui, c’est du chaos naît la pensée nouvelle, et tout ordre n’est jamais que préface à l’Ordre nouveau.

Je ne vous salue pas.

Octobre 2012 . N°52

Article extrait du Magazine Causeur



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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