Peut-on condamner les bébés délinquants?


Peut-on condamner les bébés délinquants?

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Nos enfants font l’actualité,  pour de mauvaises raisons. Trois fois de suite, en l’espace de quatre jours, de jeunes et très jeunes français ont commis des délits graves. Samedi 1er août, des mineurs de 5 à 15 ans ont été les auteurs de saccages dans une école maternelle, à Melun, causant des dégâts évalués à plusieurs milliers d’euros. Le même jour, trois adolescents de quinze ans ont vandalisé une maternelle de Seine-et-Marne. Puis, lundi 3 août, un cimetière de Meurthe et Moselle a été endommagé par deux garçons de 14 et 15 ans. Pour comprendre les enjeux de cette délinquance spécifique, nous avons demandé des précisions à « Judge Marie »[1. « Judge Marie » est le pseudonyme que ce juge pour enfants, qui souhaite rester anonyme, utilise dans son blog.], juge pour enfant.

Madame le juge, faut-il avoir peur de nos enfants ?

Non mais il faut les éduquer. Il y a des gens pour qui c’est  facile d’éduquer un enfant, et d’autres pour qui c’est très compliqué. Et les problèmes ne viennent pas toujours d’où l’on croit. Je suis régulièrement confrontée à des parents séparés, de milieux aisés, qui ne cherchent plus qu’à marquer des points l’un contre l’autre et oublient de chercher le bien de l’enfant. Il y a aussi les parents très jeunes qui ont déjà un enfant. Comment peut-on éduquer  un enfant quand on en est un soi-même ?

Il faudrait donc plutôt craindre les parents. Mais s’ils ne sont pas responsables pénalement des faits commis par leurs enfants (art 121-1 CP), personne ne l’est ?

D’abord, les mineurs peuvent être pénalement responsables si l’on juge qu’ils ont agi avec discernement. Ensuite, les parents peuvent être responsables civilement des dommages causés par leurs enfants. Il y a certes l’assurance responsabilité civile qui joue. Dans ce cas-là, les parents condamnés n’ont pas à régler directement les sommes dues, ce qui confère une impression d’impunité. Mais l’assurance tente aussi souvent que possible de se délier de ses obligations. Après, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de condamnation pénale que le parquet ne donne pas de suite. Moi, pour ces enfants-là, j’ouvrirais une procédure d’assistance éducative. Le but de la justice pour mineurs, ce n’est pas la condamnation, c’est avant tout de régler le problème éducatif.

A propos d’éducation, que se passe-t-il dans la tête d’enfants qui saccagent leur propre école ? Est-ce un rejet de l’autorité officielle ?

C’est rarement aussi réfléchi que ça. J’ai eu une fois affaire à de jeunes vandales qui avaient dégradé une école. Ils sont revenus dans l’école parce que c’est un lieu qu’ils fréquentaient et connaissaient. Ils savaient qu’ils pouvaient se faufiler par le trou de la grille pour entrer dans l’enceinte du bâtiment et monter sur le toit.

Parmi les délinquants de Melun se trouvaient des enfants très jeunes, dont un petit garçon de 5 ans. Comment peut-on juger un enfant de cet âge ?

Je n’ai, personnellement, jamais été confrontée à cette situation-là. Mais ma formatrice à l’ENM racontait qu’elle avait interrogé un petit de 5 ans qui avait été entraîné par un groupe d’adolescents, comme dans l’affaire de Melun. Elle avait été horrifiée de voir ce petit garçon, qui, assis devant elle, ne touchait même pas le sol avec ses chaussures. Il répondait « oui madame » à toutes les questions qu’elle posait : « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? – Oui madame – Tu vas recommencer ? Oui  madame ».  À 5 ans, on ne peut pas parler de délinquance car il n’y a pas assez de discernement. Il faut, au minimum, que l’enfant comprenne ce qu’est la loi pénale.

Henri Guaino, à la suite de ces événements, a dénoncé  cette « génération zombie » qui ne respecte plus le sacré, partagez-vous son sentiment ?

Les enfants dont on parle ne sont pas des zombies. Les zombies sont des enfants recroquevillés sur eux-mêmes, qui n’expriment pas leurs idées. Ils sont très difficiles à gérer. Lorsque la volonté du jeune est palpable, même dans l’irrespect, on peut corriger le tir. Mais c’est vrai qu’il y a plus de délits commis par des mineurs aujourd’hui qu’il y a quarante ans. La société d’aujourd’hui est plus dure. La prise en charge familiale est moins évidente. Les villes sont plus grandes…

Aux Etats-Unis, un enfant de 11 ans a tué par balle un petit de 3 ans. Et aujourd’hui, un adolescent britannique de 14 ans a été condamné à onze ans de détention pour avoir poignardé l’un de ses professeurs. Qui jugez-vous dans ce cas-là, le mineur ou le criminel ?

Heureusement, c’est très rare. Mais ce serait très difficile à appréhender car à 11 ans, l’enfant a déjà un discernement. Il peut donc être reconnu comme responsable de son crime mais n’encourt « qu’une » sanction éducative. J’entends déjà les politiques lever la voix pour faire changer la loi et permettre l’accessibilité à une peine dès cet âge-là. Notre devoir, c’est de nous rappeler qu’il y a eu crime, certes, mais commis pas un enfant. Ça n’a rien à voir avec un crime commis par un homme de 30 ans. Il ne faut jamais l’oublier.

*Photo : GILE MICHEL/SIPA/1404221255/00682073_000001



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est journaliste à Causeur

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