« Une pédagogue déterminée à révolutionner le système éducatif » titrait mercredi Libération, dans la veine de ce qu’avait écrit Le Monde quelque jours auparavant, qualifiant l’enseignante de « révolutionnaire » Rien que ça. Que peut bien proposer Céline Alvarez de si nouveau pour qu’elle soit invitée partout en cette rentrée ? En quoi consiste cette révolution ?
« Laissons les enfants suivre leurs élans. Faisons leur confiance pour apprendre. Aidons-les à révéler leur plein potentiel. « L’être humain n’apprend pas ce qui ne le motive pas (…) » explique la jeune femme. Toute ressemblance avec des discours de pédagogues et d’inspecteurs sévissant depuis trente ans dans l’Education Nationale ne serait évidemment que pure illusion.. Ressemblance, d’ailleurs, qu’aucun journaliste ne semble avoir perçue, trop occupés qu’ils sont à s’ébahir devant ce discours nouveau et révolutionnaire.
Le débat n’aura pas lieu
On ne sera donc pas surpris qu’aucun d’entre eux ne s’essaye à une analyse critique des arguments avancés par Céline Alvarez. Et qu’y aurait-il à redire, de toute façon ? La pédagogue n’a-t-elle pas obtenu des résultats spectaculaires pendant trois ans dans sa classe de maternelle de Gennevilliers. Cela ne devrait-il pas suffire à bâtir une nouvelle pédagogie valable tout le temps, pour tous les niveaux et à tous les âges ?
La preuve que Céline Alvarez a raison, sous-entendent d’ailleurs les journalistes, c’est qu’elle dérange. Rendez-vous compte, elle a dû démissionner de l’éducation nationale au bout de seulement trois ans car on n’a pas renouvelé sa carte blanche. Et cela n’a rien à voir avec le fait que Madame Alvarez, trop occupée à suivre le rythme naturel de l’enfant, travaillait toujours en décalé avec ses collègues, et ne pouvait donc pas s’occuper de surveiller les récréations. Rien à voir non plus avec le fait qu’elle avait à disposition une ATSEM à temps complet et du matériel pédagogique à foison et que ses autres collègues devaient se débrouiller avec les miettes. Le ministère est tellement dérangé par son discours anti-système qu’il l’a appelée la semaine dernière pour l’assurer de son soutien.
Si le discours de Céline Alvarez ressemble trait pour trait au discours officiel qu’on entendait autrefois dans les IUFM, la différence est que cette fois-ci, il est incontestable car il est « scientifique » comme l’explique la jeune femme, regrettant que l’idéologie ait envahi l’école et déplorant la guégerre entre les conservateurs et les pédagogues-dont elle ne fait pas partie puisqu’elle s’appuie uniquement sur les neurosciences-
Selon la science, l’élève n’apprend vraiment que lorsqu’il est motivé et curieux. Il suffira donc d’attendre patiemment qu’il le soit pour que les résultats arrivent. Et si la motivation ne vient toujours pas, il ne faut surtout pas le brusquer car selon la science, seule « la pédagogie de la bienveillance » fonctionne.
L’élève au centre du naufrage
Quant aux grincheux qui prétendraient que la lente dégringolade de l’école a débuté précisément le jour où l’on a commencé à appliquer ces méthodes et qu’on a placé l’élève au centre du système éducatif, en le laissant apprendre par lui-même et en bannissant toute notion d’effort ; eh bien ils auraient tort car la science ne peut se tromper.
Et il est tout a fait légitime et cohérent que des savants en sciences de l’éducation, après avoir enseigné pendant trois ans dans des conditions pédagogiques exceptionnelles, viennent déclarer sans vergogne aucune que « l’école entrave l’apprentissage des enfants ». Certes, cela entretient le soupçon sur le professionnalisme des profs. Certes, il y a des tas d’élèves qui n’ont à la base aucune motivation, aucune curiosité pour quelle que matière que ce soit. Et pas seulement parce que l’école les aurait sapées dès le début. Certes, il n’est pas toujours facile de savoir d’où vient la motivation et on peut même se demander si c’est la motivation qui permet d’accéder au savoir ou le savoir qui permet d’accéder à la motivation. Certes, on peut se demander si le seul « plaisir d’apprendre » sera suffisant pour toutes les matières et pour tous les types d’apprentissage. Mais quel risque y a-t-il à suivre une pédagogie qui permettra à chaque enfant de révéler son propre génie?
Bref on se demande vraiment pourquoi il y a encore tant de réticences chez les professeurs à embrasser cette idéologie, pardon cette science de la pédagogie de la bienveillance et de l’élève au centre du système qui a fait de l’école française la plus inégalitaire de toute l’OCDE. Le conservatisme, sans doute, et la peur du changement.
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