C’est l’histoire d’une croisade. Une croisade menée par des idéologues contre l’idée que la mission de l’école serait d’abord d’instruire, d’apprendre à lire, écrire et penser. Affligée par les méthodes de lecture infligées à ses propres enfants, Carole Barjon, journaliste politique à L’Obs, a cherché à connaître les responsables de ce désastre scolaire. Une enquête sur « les assassins de l’école » et un pamphlet sans concession contre les « pédagogistes ». L’attaque est d’autant plus inattendue qu’elle vient du camp progressiste : les journalistes sont aussi des parents d’élèves, pour lesquels la confrontation avec la réalité dépasse parfois l’idéologie.
Les pédagos ont fait main basse sur le ministère
En se concentrant sur les errements de l’enseignement du français et de la lecture, Carole Barjon remonte le fil des fossoyeurs de l’Education nationale qui sévissent au sein du ministère. L’histoire de la « guerre des méthodes » (syllabique ou globale) est connue, mais à travers le portrait des différents acteurs, le livre décrit de façon précise comment le courant pédagogiste a mis la main sur la rue de Grenelle et s’est peu à peu imposé comme l’inspirateur de toutes les réformes.
A partir des années 70, sous l’influence de Pierre Bourdieu, l’école connaît une véritable révolution culturelle. Le but de l’éducation sera désormais de résoudre les problèmes de société par les moyens pédagogiques. Dans son livre « Les héritiers », sorti en 1964, le sociologue s’est, en effet, évertué à montrer que l’école n’était qu’une machine à produire des inégalités scolaires et par là à reproduire les inégalités sociales. Un renversement des conceptions classiques de l’école qui rencontrera un très grand succès dans les milieux universitaires et déterminera tous les débats à venir sur les finalités de l’éducation.
Parmi les cibles de Carole Barjon, beaucoup reconnaissent l’influence de la pensée Bourdieu. Christian Forestier, surnommé « l’insubmersible » en est un exemple. Ce militant de gauche, véritable mandarin de l’éducation a survécu à toutes les alternances pendant 20 ans. Son obsession, mettre à bas l’école du mérite pour construire une école de l’égalité et de l’ascension sociale. Roland Goigoux est un autre obsédé de la « compensation sociale », grand défenseur de la méthode globale. L’école a aussi ses idéologues, le sociologue François Dubet « vrai penseur organique du Ministère » selon Marcel Gauchet. Philippe Meirieu, un gourou du pédagogisme, incontournable rue de Grenelle dans les 1990-2000. Aujourd’hui, Michel Lussault, président du conseil des programmes, ou Florence Robine, le « cerveau de Najat » en sont les funestes continuateurs et les véritables « patrons » du ministère.
L’Inspection générale, un Etat dans l’école
Beaucoup sont passés par l’Inspection générale, un « Etat dans l’école », qui fonctionne en véritable autonomie. Tous les anciens ministres interrogés avoueront leur incapacité à contourner, réformer ou supprimer les inspecteurs généraux. On regrettera d’ailleurs que l’enquête épargne, en partie, Najat Vallaud-Belkacem, toute aussi progressiste par principe, réformiste par intérêt, et complaisante par lâcheté à l’égard des hauts fonctionnaires qui verrouillent son ministère, que l’ont été ses prédécesseurs. En prime, l’actuelle locataire de la rue de grenelle s’est donnée pour mission première de « faire reculer les déterminismes sociaux dans l’école ». Autant dire que le saccage continue. La lecture et l’écriture peuvent encore attendre…
Seul Lionel Jospin aura eu les pleins pouvoirs sur l’éducation nationale à la fin des années 80. Pour le pire : c’est Jospin qui ouvrira la porte du ministère aux sociologues et aux pédagogistes. La plupart des destructeurs de l’école ont, en effet, été nommés par Jospin et son directeur de cabinet d’alors : Claude Allègre. C’est Jospin, sous l’influence de Philippe Meirieu qui a mis « l’élève au centre du système éducatif »., inventé les IUFM, entériné le « constructivisme » pédagogique qui veut que « l’élève doit construire son propre savoir ».
Malheureusement, l’auteur n’a pu rencontrer l’ancien premier ministre, confortablement planqué au conseil constitutionnel. La plupart des autres tenants de ces réformes ont accepté de répondre à ses questions. Certains amorcent presque un mea culpa. Meirieu « plaide coupable pour le français » et regrette d’avoir été « trop idéologue ». François Dubet confie être « assez pessimiste », admettant que la reproduction des inégalités sociales par l’école « reste une énigme ». Roland Goigoux admet qu’il faut enterrer la querelle des méthodes de lecture en regrettant les « générations sacrifiées ». Merci pour elles !
Moins de cours de Français qu’en 1960
Mais le mal est fait et sans doute durable : « les ministres passent, les pédagos restent » écrit Carole Barjon. Un enfant scolarisé aujourd’hui bénéficie de 630 heures de français de moins qu’un écolier né dans les années 60. Soit l’équivalent d’une année et demi de scolarité en moins ! Si les élèves des classes supérieures trouvent toujours des moyens de compenser les failles du système, ceux des classes défavorisées sont les premières victimes de ces évolutions. Un constat déjà fait par Anne Claudine Oller et Sandrine Garcia, largement citées par Carole Barjon. Dans Réapprendre à lire, paru en 2015, ces deux sociologues « bourdieusiennes » montraient la nocivité des méthodes progressistes qui mettaient en échec les élèves les plus défavorisés.
Un sentiment d’échec du système éducatif qui explique le succès du livre de Céline Alvarez « les lois naturelles de l’enfant», simple réécriture de la pédagogie Montessori dont la réussite est en, fait largement liée à la motivation des acteurs (parents, professeurs, enfants).
Face à cette école en panne de transmission, dépourvue de projet collectif, s’impose ainsi une vision privée de l’éducation au service d’un individu autonome où chacun « bricole » ses propres méthodes pour compenser les failles du système. La consécration d’un principe absolu d’inégalités au cœur de cette école qui se voulait celle de l’égalité, bien loin des vœux pieux des thuriféraires de la « compensation sociale ».
Mais qui sont les assassins de l’école ?, Carole Barjon- Editions Robert Laffont, 2016.
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