Jean-Michel Blanquer mesure clairement l’ampleur du désastre éducatif, et c’est déjà une excellente raison d’espérer. Reste à savoir s’il pourra tenir tête aux lobbies syndicalistes et pédagogistes. Et au Monde.
Jean-Michel Blanquer a déjà réussi un exploit. En près de cinquante numéros (celui-ci est le quarante-neuvième), c’est la première fois que nous publions une « une » optimiste, ou disons positive. Très raisonnablement, certes, et non sans une pointe d’angoisse. Il y a une bonne dose de volonté dans notre optimisme. Mais une dernière chance, c’est mieux que pas de chance du tout. Et il y a quelques raisons d’y croire. C’est ce que disent les professeurs qui ont participé à ce numéro et beaucoup d’autres qui, il est vrai, partagent une certitude : en quarante ans, l’école de la République a connu un véritable naufrage. Elle se révèle bien incapable d’accomplir sa mission telle que l’a définie Natacha Polony au cours de son dialogue avec le nouveau ministre de l’Éducation nationale, le 25 août : former des hommes libres. Et aussi d’apprendre à tous les enfants de France à lire, écrire et compter, ce qui serait un bon début.
Jean-Michel Blanquer est soucieux de ne pas jeter de l’huile sur le feu de nos querelles scolaires. On le comprend. Il doit faire ministre de tous les Français, y compris de cette fraction du monde enseignant et de la société qui était favorable aux réformes de Najat Vallaud-Belkacem parce qu’elle croit, sincèrement, que le mal de notre école se nomme élitisme. Le ministre affirme que les pays qui réussissent en matière d’éducation sont ceux qui parviennent à une forme d’union nationale. Sauf que pour se réconcilier, il faut être d’accord sur le récit. Or, sur l’école, la controverse entre « pédagos » et « républicains » – ou entre héritiers de Bourdieu et héritiers de Péguy – est d’abord une bataille sur les faits.
Un homme qui voit
La force du déni ne suffit plus aujourd’hui à cacher le désastre – que presque tout le monde reconnaît à mots plus ou moins voilés, y compris la déplorable Najat Vallaud-Belkacem, qui a justifié sa réforme pour l’égalité par le fait que toutes les précédentes réformes pour l’égalité avaient accru les inégalités. Sans doute notre souriante liquidatrice se serait-elle accommodée de l’effondrement de la transmission des savoirs et du niveau global s’il avait concerné absolument tous les élèves, mais que certains pussent encore tirer leur épingle du jeu, voilà qui n’allait pas du tout.
Quoi qu’il en soit, on peut affirmer aujourd’hui que la bataille de l’école a opposé ceux qui voyaient et ceux qui camouflaient. Jean-Michel Blanquer appartient clairement au premier camp et c’est déjà une excellente raison d’espérer. Par tempérament, sans doute, autant que par fonction, le ministre de l’Éducation décrit la situation en termes forts galants : « la France est dans la moyenne basse », « il faut orienter le système vers plus de réussite ». Mais il sait. Il sait que nombre d’enfants quittent l’école primaire sans maîtriser les bases du français et du calcul – ce front-là est même son obsession, à raison, si on en croit notre chère Natacha. Il sait que la religion du non-redoublement et de la bienveillance permet à des élèves qui n’ont pas du tout le niveau de franchir toutes les étapes du secondaire et d’obtenir le bac qui, par conséquent, ne vaut plus rien ; que les lubies pédagogistes enseignées dans les IUFM et tous leurs avatars au détriment de la véritable pédagogie – et des savoirs disciplinaires – ont abouti à lancer devant leurs classes des profs mal formés dans leur domaine et mal formés pour transmettre – et tout autant pour « tenir » leurs élèves. On aimerait être aussi certain qu’il sait que la laïcité doit être défendue fermement à l’école, mais nobody’s perfect.
Vaste programme
Jean-Michel Blanquer sait donc que tout est à refaire. Mais nonobstant notre impatience et notre soudaine envie de table rase, il sait aussi qu’il lui faut commencer quelque part, et peut-être avancer sans tout casser. C’est peut-être pour ça qu’il est ministre et pas votre servante (outre, la concernant, une certaine phobie administrative).
Reste à savoir ce qu’il voudra et pourra faire. Là encore, ses débuts sont encourageants, même s’il y a un petit côté magie du verbe dans l’annonce du rétablissement des langues anciennes et des classes bilangues sans affectation des budgets correspondants, à charge pour les chefs d’établissement de détricoter ce qui a été fait depuis deux ans. On peut discuter l’expérience des CP dédoublés dans les quartiers difficiles, ne serait-ce que parce qu’on n’aura pas les moyens de généraliser ces luxueuses conditions d’enseignement, mais elle contribue à rétablir l’égalité des chances. Cependant, le signe le plus tangible du nouveau cours est certainement l’annonce du retour à la méthode syllabique – que certains professeurs continuaient à pratiquer dans les catacombes de l’école.
Désarmer les pédagos
Natacha Polony s’interroge sur les conséquences concrètes de l’autonomie des établissements que le nouveau ministre souhaite élargir, craignant que cela entraîne une stérile concurrence pour les ressources et la priorité donnée aux projets à la mode. Elle redoute aussi qu’il cède au fétichisme numérique fort répandu dans son administration et que, ce faisant, il laisse les mastodontes du secteur faire de l’école un marchepied pour la conquête de nouveaux consommateurs. Ces doutes, ces inquiétudes et ces réserves sont légitimes et devront nourrir de beaux et grands débats, mais il n’est pas nécessaire de s’accorder sur la couleur des murs pour commencer à rebâtir les fondations.
La réussite du ministre dépendra au premier chef de sa capacité à désarmer les pédagos qui occupent des postes idéologiquement stratégiques et à affronter les syndicats d’enseignants, dont une partie est acquise à l’égalitarisme qui n’a cessé de tirer tous les élèves vers le bas. Il faut espérer qu’il bénéficiera du plein soutien de l’Élysée le jour où l’une de ses réformes (celle du bac par exemple) jettera une partie de la jeunesse dans la rue. La révolte des familles des classes moyennes contre une réforme du collège destinée à couper toutes les têtes qui dépassaient montre que la majorité silencieuse a compris qu’on l’arnaquait avec une école au rabais.
Ministre sans peur et sans reproches ?
Le risque, c’est que ce bon sens largement partagé pèse moins, in fine, qu’une doxa médiatique, que rien n’ébranle et surtout pas les faits. Le 27 août au matin, France Inter (que j’écoute pour connaître les dernières inventions orwelliennes que je finance) diffuse un reportage sur l’école du futur.
Le sujet est traité à la manière francintérienne, en alignant les poncifs du moment sans imaginer une seconde que l’on pourrait contester la vision idyllique du journaliste ravi de la crèche moderniste. Cela commence par une petite fiction. « Suzanne passe en CM1. Dans son sac, plus de cahiers, juste un téléphone portable et une tablette numérique. Arrivée à l’école, la petite fille a son planning pour la journée. Elle a le choix de travailler à son rythme sur sa tablette. Des tableaux numériques sont intégrés aux murs. Le professeur est là pour la guider, l’accompagner. » Bien sûr la journaliste ne se demande pas si tous ces écrans n’ont pas définitivement tué toute capacité de concentration et d’effort chez Suzanne. On apprend que cette classe de demain existe déjà à Druye, en Indre-et-Loire. Et le festival de lieux communs de se poursuivre. Tout émerveille la journaliste, à commencer par le fait que les élèves ne sont plus assis en rang d’oignons, et même plus assis du tout puisque chacun peut travailler couché par terre si cela sied à son biorythme. La classe devient une sorte d’open space divisé en îlots, l’un d’eux étant, explique un prof, « un espace de validation des compétences, avec un tableau d’acquis que les élèves remplissent eux-mêmes ». « Le numérique est omniprésent et les élèves ne se rendent pas compte qu’ils travaillent », conclut-elle, enchantée du monde qui vient.
La nomination de Bruno Roger-Petit comme porte-parole de l’Elysée montre qu’Emmanuel Macron, après avoir fait mine de tenir tête au parti des médias, va lui céder sur toute la ligne. Dommage, c’était rafraîchissant. Espérons que Jean-Michel Blanquer tiendra bon malgré les admonestations que les journalistes ne manqueront pas de lui prodiguer. S’il veut restaurer la verticalité sans laquelle il n’est pas de transmission, le ministre devra commencer par montrer, face à eux, une indifférence toute jupitérienne.
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