Ecole, attention parents!


Ecole, attention parents!

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Depuis près de trente ans, il est d’usage qu’à l’automne des essais consacrés à l’école, chaque année plus alarmants, s’empilent sur les tables des libraires. Les témoignages d’enseignants, depuis le Voulez-vous vraiment des enfants idiots ? de Maurice Maschino, qui fit grand bruit en son temps[1. Hachette, 1984.], jusqu’à la Fabrique du crétin de Jean Paul Brighelli[2. J.-C. Gawsewitch éditeur, 2006.], en passant par Collèges de France de Mara Goyet[3. Fayard, 2003.], suivi de Nos enfants gâchés de Natacha Polony, qui fit date[4. J.-C. Lattès, 2006.] sont devenus monnaie courante et ne font désormais plus débat : il est bien entendu que notre système scolaire se porte mal (et les batailles de chiffonniers continuent de plus belle au sujet des remèdes à lui apporter). Cette rentrée ne fait pas exception, mais deux livres originaux méritent notre attention. L’un sur le mode tragique, l’autre comique, dessinent la réalité de la vie enseignante aujourd’hui : un chemin de plus en plus périlleux, où l’absurde le dispute au danger.

Anna Topaloff a enquêté dans les coulisses de l’école publique sur l’un des acteurs souvent oubliés de l’école – et de sa crise : le parent d’élève. Le résultat de son travail glace le lecteur de bout en bout. Au cœur de la crise de notre système, il ne s’agit pas cette fois des programmes, ni des élèves, mais des parents de ces derniers, de plus en plus frontalement opposés aux enseignants. De la récrimination contre une mauvaise note ou un redoublement à la menace physique, l’école est devenue un lieu d’affrontement constant. Parfois même mortel, comme cet été à Albi, où une enseignante a péri des suites d’une agression au couteau par une mère d’élève. Sans aller jusque-là, les risques de coups, blessures et harcèlement de la part des parents sont devenus si réels que 55 % des enseignants ont choisi de s’assurer contre eux ! Depuis 2012, une assurance est désormais proposée à cet effet par la MAIF. La même année, 364 affaires de ce type (de la bousculade au coup de poing sur la figure) ont d’ailleurs été traitées par une association de soutien au corps enseignant.[access capability= »lire_inedits »]

Mais la violence n’est que la partie saillante d’une énorme lame de fond dont on n’a pas fini de subir les effets : la mise en doute de la parole du professeur contre celle de l’élève. « Mon fils affirme qu’il ne s’est pas battu dans la cour. Vous avez dû le confondre avec quelqu’un d’autre. Votre heure de retenue ne sera donc pas appliquée » : ce mot d’un parent dans un cahier de correspondance n’est qu’un exemple parmi des milliers. Qu’il s’agisse de nouveaux bourgeois des beaux quartiers sur-couvant leurs enfants-rois ou de « monoparents » déboussolés de ZEP, le principe qui les anime est similaire. L’alliance historique, tacite, entre l’école et les familles, n’existe plus. Aujourd’hui, les parents demandent avant tout des comptes à l’école vis-à-vis de laquelle ils ont adopté des réflexes de consommateurs, que ce soit dans le service public, comme le constate Topaloff, ou dans le privé, comme l’auteur de ces lignes a pu l’observer (alors même que les frais de scolarité dans ce dernier sont en France dérisoires en comparaison de leurs montants à l’étranger, et que la notion même de « client » est d’autant plus injustifiée, si elle devait jamais être justifiée en ce domaine !) Ce réflexe de consommateur, qui n’est que l’un des avatars du credo démocratique « moi-mes droits-ma souffrance », se traduit à l’école par l’individualisation constante des demandes. L’exemple des habitudes alimentaires est à cet égard l’un des plus parlants. Sans même évoquer les questions du halal ou du casher, dont on sait quels casse-tête ils provoquent, les interdits alimentaires, les intolérances réelles ou supposées (avez-vous remarqué le nombre de personnes autour de vous qui font état avec une dose de fierté de leur intolérance au gluten ou au lactose ?) pullulent désormais. Une jeune enseignante dans un village du Jura en a fait les frais. Prévoyant une journée d’excursion à Besançon avec visite de la citadelle et du Mémorial de la Résistance, elle a dû renoncer à son projet à cause de la question de la nourriture… Chaque enfant suivant un régime particulier, il s’est révélé impossible de prévoir un pique-nique collectif. L’éducation, jadis, enseignait les règles, avant que l’expérience de la vie n’enseigne les exceptions. Principe devenu incompatible avec la tyrannie des particularismes.

Mais si les parents sont désormais devenus un problème pour les enseignants, les programmes qu’ils doivent suivre et les missions qui leur sont assignées par leur hiérarchie sont de plus en plus grotesques. Emmanuelle Delacomptée nous le raconte dans son Molière à la campagne, vif et charmant récit d’une année d’enseignement du français dans un village de Haute-Normandie. En matière de Molière, nous voilà en effet bien servis côté Trissotins des IUFM et inspecteurs à la soviétique passés au formatage inepte « nouvelle critique » : les parents d’élèves dont on parlait plus haut sont des « géniteurs d’apprenants », il ne faut plus parler de grammaire, mais de « discours raisonné de la langue », l’explication de texte est devenue « inscription du descriptif dans le narratif » et « compréhension de la fonction informative du dialogue », etc. L’autre mérite de ce livre est de nous exposer crûment une réalité mise au jour par sociologues et géographes (Christophe Guilluy avec Fractures francaises[5. François Bourin, 2010.] et Jean-Pierre Le Goff avec La Fin du village[6. Gallimard, 2012.] ): la fin de la campagne. De même que les rues centrales de Lisbonne, Dubai ou Montélimar abritent les mêmes Zara, McDo, Subway, et qu’on y achète les mêmes Smartphones, les élèves du collège des 7 Grains d’Or, « au milieu des champs de maïs », sont exactement les mêmes que partout ailleurs à conditions équivalentes. Notre jolie Candide en jupons[7. Plus vraisemblablement en jeans !] ne s’attend certes pas à une classe de village façon La Fortune de Gaspard – dans le roman de la comtesse de Ségur[8. J’ai bien conscience de citer ici un auteur aussi réactionnaire qu’Hergé, et dont les romans ne tarderont pas comme les Tintin à subir des coupes salutaires …], le jeune Gaspard est arraché à la ferme de ses parents, les fermiers Thomas, par son instituteur, qui a décelé son don pour les mathématiques. Mais elle n’avait probablement pas soupçonné que ses élèves Jordan, Kévin, Douglas, Jeffrey, Brandon, Kelly (une Charlotte et un Nicolas se sont égarés dans le lot) seraient aussi parfaitement semblables à leurs congénères des centres-villes : aussi connectés à Internet qu’éloignés de leur base géographique, aussi experts en réseaux sociaux qu’ignorants de leur environnement immédiat. Dématérialisés, en somme. Si ce récit est plein de tendresse et même parfois parcouru d’un espoir qui rappelle celui du film L’Esquive[9. Film d’Abdellatif Kechiche, 2003.] – « Comment il se fait trop arnaquer Monsieur Jourdain ! » –, le lecteur a le cœur serré quand certains d’entre eux ne voient leur avenir qu’en « clochards ».

Entre l’enclume d’un système scolaire absurde et le marteau de parents opposés par principe à la parole enseignante, les professeurs ont décidément du souci à se faire. Si, comme le disait Orwell, l’histoire de l’humanité est devenue « une course entre l’éducation et la catastrophe », nous voilà bel et bien au bord du précipice.[/access]

Anna Topaloff, La Tyrannie des parents d’élèves, Fayard

Emmanuelle Delacomptée, Molière à la campagne, Lattès

*Photo: Soleil

Octobre 2014 #17

Article extrait du Magazine Causeur



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Charlotte Liébert-Hellman est éditeur.

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