« Neige en janvier, DVD au grenier » est un dicton remanié qui pourrait s’appliquer à nos week-ends de plus en plus frisquets. Entre l’épuisante primaire de la gauche, mauvais scénario et pâles figurants au générique, les vœux qui n’en finissent pas, lancinant remake, et les galettes des rois vendues à prix d’or, Hollywood à la boulangerie, nous sommes déjà cuits. A peine un mois d’écoulé que déjà une profonde lassitude nous emporte et ne nous laisse rien présager de bon.
On n’ose pas imaginer la déferlante présidentielle qui emportera notre moral au fond de la mer dans les prochaines semaines. Alors, pour garder la tête hors de l’eau, (re)voir des films est encore le meilleur moyen pour fuir cette triste réalité. Au programme : deux succès de l’année dernière, un polar à la française et une virée en Italie, sans oublier une rareté exhumée des profondeurs de la Mitterrandie.
L’emploi, le nerf de la guerre
Qui a dit que le crime ne payait pas ! Tout travail est respectable lorsqu’il est exécuté avec professionnalisme. Après une journée épuisante à l’usine, dans le bruit et l’odeur, l’ouvrier éprouve une certaine fierté à avoir accompli sa tâche même la plus ingrate. Il rentre chez lui avec le sentiment d’exister. Mais quand la crise est passée par là, que l’emploi s’est fait la malle avec les machines, que les actionnaires ont retiré leurs marrons du feu, les pauvres types de quarante ans se retrouvent sur le carreau. Ils boivent des bières, jouent au loto et savent leur déchéance proche surtout depuis que leurs femmes ont plié bagage.
Sur cette misère sociale, toile cirée des régions jadis industrieuses, Pascal Chaumeil, disparu en 2015 a tissé un polar très réussi, mi-réaliste, mi-barré avec Romain Duris et Michel Blanc (en charge également du scénario, de l’adaptation et des dialogues). Le réalisateur qui avait connu un immense succès avec L’Arnacoeur en 2010 s’amuse des codes et brouille les genres. Bien ficelé comme le postérieur d’une Kardashian, « Un petit boulot » en DVD depuis quelques jours, ne tombe ni dans le documentaire social à vocation lacrymale, ni dans la grosse guignolade. Un joli tour de force qui met en scène une galerie de personnages pathétiques et drôles. A noter la performance d’Alex Lutz en infâme inspecteur commercial et d’Alice Belaïdi dont la palette de composition ne cesse de s’élargir. Malgré le ciel bas et lourd du Nord de la France, les héros du film lorgnent plus du côté de la comédie italienne que du cinéma vérité anglo-saxon.
Dans l’impasse financière, Jacques incarné par Romain Duris se voit proposer de tuer la femme du bookmaker local (impeccable Michel Blanc). S’en suit une avalanche de situations improbables. On rit beaucoup dans cette farce noire sans oublier la détresse des personnages.
Un petit boulot – Film de Pascal Chaumeil – DVD Gaumont –
A la folie !
La vigueur du cinéma italien nous rendrait presque jaloux. Ils ont un don du ciel depuis quelques années. Plus le pays s’enlise, plus leurs réalisateurs défrichent des sujets étranges et sensibles exprimant l’amertume d’un peuple miné par tant de gabegie et cependant toujours traversé par une « forza » insensée. C’est lumineux, tendre et féroce, original et cabossé, il y a indéniablement une identité féconde, un foyer de contestations qui produit du Grand Art. Alors que de notre côté des Alpes, ça respire la graisse de cheval et le moulin des ressentiments.
En tête de gondole, les deux Paolo assurent le spectacle. De Sica, Risi, Fellini peuvent dormir en paix. La succession est bien gardée. Sorrentino a redéfini magistralement la papauté pour la télé et Virzi a certainement tourné le plus beau film de l’année 2016. « Folles de joie » arrache des larmes en réveillant un public trop souvent habitué au mélodrame formaté. Une sorte de « Thelma et Louise » lancée à vive allure sur les routes de la péninsule, une virée déjantée entre deux destins fracassés. Il fallait tout de même oser prendre deux femmes en convalescence psychiatrique et en faire des héroïnes tragiques. Comme le dit le réalisateur, l’Italie est un asile de fous à ciel ouvert. Elles s’échappent d’une institution pour retrouver leur passé, reprendre possession de leur vie.
Quel portrait, âpre et sensuel, généreux et saccadé ! Micaela Ramazzotti incarne une mère courage tatouée et diablement belle malgré ses nombreux tatouages. Son désarroi touche en plein cœur. Quant à Valeria Bruni Tedeschi, elle est, sans nul doute, la plus grande actrice du moment. Sa voix transperce l’imaginaire. Sa puissance d’évocation trouble durablement le spectateur. Une merveille !
Folles de joie – Film de Paolo Virzi – DVD BAC Films
Famille, je vous aime !
D’Elie Chouraqui, on se souvient surtout de « Paroles et musique » et des « Marmottes ». Le réalisateur aperçu fugitivement sur Arte dans « L’aventure, c’est l’aventure », cycle Claude Lelouch en ce début d’année, en qualité de barbudos, a tourné une très belle comédie dramatique en 1982. Une œuvre saluée par la critique en son temps qui avait obtenu le César du meilleur montage en 1983 et quelques nominations. Dans la collection « Gaumont à la demande », « Qu’est-ce qui fait courir David ? » est ressorti pour les cinéphiles et tous les autres curieux. Un travail sur l’organdi, dans les méandres des souvenirs où la vie d’une famille juive est racontée sans les gros sabots de la discorde.
Une œuvre fragile qui se laisse regarder avec beaucoup de plaisir. Francis Huster incarne David, un jeune scénariste partagé entre l’amour d’Anna (sublime Nicole Garcia, rieuse et sincère), de son ex devenue star de cinéma (impérial Anouk Aimée) et d’une tribu foutraque et joyeuse. Ses parents (Charles Aznavour et la regrettée Magali Noël dans le rôle exceptionnel d’une mère possessive) tentent de protéger leurs enfants contre les méchants coups du destin. Avec Chouraqui, il est forcément question de racines, de l’enfance, de la permanence des sentiments et aussi des prémices d’un humour potache qui fera son succès dans ses œuvres suivantes. Le casting est splendide, la rare Nathalie Nell et Michel Jonasz font un couple attachant. La beauté du décor, cette longue plage de Normandie balayée par les vents, est admirablement filmée. Et puis, de voir Katia Tchenko et Charles Gérard à l’écran, c’est tout simplement irrésistible !
Qu’est-ce qui fait courir David ? – Film d’Elie Chouraqui – DVD Gaumont à la demande
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