Christine, le chef d’œuvre d’horreur de John Carpenter, ressort en coffret collector.
Après le tueur en série d’Halloween, les spectres belliqueux de Fog et la créature innommable décimant une équipe de scientifiques dans The Thing, Christine marque un nouveau surgissement du Mal au cœur d’une petite communauté. John Carpenter adapte cette fois un roman de Stephen King tournant autour d’une voiture maléfique et tueuse. Après celui des animaux effrayants dans Cujo, l’écrivain abordait le thème des objets possédés et désireux d’en découdre avec l’espèce humaine. Même si c’est dans des proportions moindres que celui des bêtes avides de sang, ce thème a aussi inspiré le cinéma qui a montré des voitures malfaisantes (pléonasme !) dans Enfer mécanique ou Les Voitures qui ont mangé Paris de Peter Weir, des camions inquiétants (de Duel de Spielberg, même si le film est un peu à part, au bousin de Stephen King Maximum Overdrive) en passant par les produits électroménagers (Le Démon dans l’île de Francis Leroi), les ascenseurs fous (L’Ascenseur de Dick Maas) voire même les… machines à laver le linge ! (le nullissime The Mangler de Tobe Hooper).
Du pur Stephen King
Christine est une Plymouth Fury de 1957 qu’achète un beau jour Arnie, un adolescent timide et complexé. En dépit de son état délabré et d’un passé inquiétant (de nombreuses personnes sont mortes asphyxiées dans son habitacle), la voiture fascine le jeune homme qui la retape et lui redonne son cachet d’antan. A mesure que la voiture retrouve une seconde jeunesse, Arnie change de comportement et devient plus sûr de lui…
Si le film de John Carpenter est si réussi, c’est qu’il parvient à trouver le bon équilibre entre les thèmes et obsessions de l’écrivain tout en leur imprimant un style personnel. Christine s’inscrit parfaitement dans la lignée des romans de Stephen King en ce sens qu’il s’agit (et peut-être avant tout) d’un roman d’apprentissage comme le seront plus tard son chef-d’œuvre Ça ou encore la nouvelle Le Corps de Différentes saisons, adaptée au cinéma par Rob Reiner sous le titre Stand by me. Comme Carrie, Arnie souffre de la présence d’une mère un peu trop protectrice et étouffante.
La bagnole, quintessence de la virilité et de l’indépendance
A l’école, il est le souffre-douleur des petits caïds et il ne peut compter que sur son meilleur ami Dennis. L’arrivée d’un élément surnaturel symbolise ici le passage de l’enfance à l’âge adulte. Si cette voiture obsède tellement Arnie, c’est qu’elle représente pour lui une forme d’émancipation : rupture avec la famille, perte de la virginité puisque l’adolescent se transforme en tombeur et parvient à séduire la plus belle fille de la classe (Leigh)… Dans le roman, Stephen King insistait d’ailleurs plus sur cette dimension puisque son héros était acnéique et prenait peu à peu de l’assurance tout en embellissant à mesure qu’il fusionnait avec son automobile. Cette dimension, traitée par Carpenter, se double d’une certaine ambiguïté : son obsession finit par éloigner Arnie de son meilleur ami et de Leigh, surtout lorsque la jeune fille manque de mourir dans la voiture. Christine peut alors être vu comme un film sur la passion irraisonnée et sur la manière dont un amour exclusif peut couper quelqu’un du monde. Il est d’ailleurs amusant de noter, dans une perspective très américaine, que la bagnole constitue la quintessence de la virilité et de l’indépendance. Que ce mythe soit un peu égratigné pour montrer le revers dangereux de l’addiction aux tas de tôles est plutôt réjouissant.
Mais ce qui intéresse le plus Carpenter, c’est sans doute la manière dont cet esprit du Mal qui hantait ses films précédents surgit à nouveau au cœur d’une petite communauté en apparence paisible. On retrouve ici le goût du cinéaste pour la « topographie » et cette manière de balayer un espace familier (entre la maison, le lycée et le garage) par des longs travellings et le « piéger ». Comme toujours, il y a chez lui une dimension western et une question de territoire. Le garage où Arnie peut ranger sa voiture devient un endroit similaire à la petite prison de Rio Bravo ou au commissariat d’Assaut : un lieu menacé par les petites frappes qui en veulent à sa peau mais également celui où surgissent les puissances du Mal qu’incarne Christine.
Angoisse et claustrophobie
Carpenter ne joue pas cette fois sur les effets gore (comme dans The Thing) mais renoue avec son goût pour les espaces confinés et un certain sentiment de claustrophobie. La construction de son film est assez diabolique et permet d’instaurer une tension permanente, notamment par un usage malin des contrastes : lorsque Christine se met en route, elle lance systématiquement une vieille chanson de rock’n’roll par l’intermédiaire de l’autoradio. Le côté désuet de la musique, renvoyant à cette Amérique des années 50 toute à l’euphorie de la consommation, des drive-in et du progrès, contraste avec l’horreur à venir (les meurtres).
Carpenter parvient à maintenir une certaine angoisse grâce à cet art du contrepoint et l’ambigüité qu’il suscite entre le vivant et le non-vivant, le désir d’émancipation d’Arnie et son enfermement dans une spirale meurtrière (même si c’est par « procuration »), la passion comme rite de passage obligatoire mais vecteur également d’exclusion…
Au bout du compte, le cinéaste signe l’une des meilleures adaptations cinématographiques de l’œuvre de Stephen King tout en restant parfaitement fidèle à lui-même et à son obsession pour le Mal…
Christine (1983) de John Carpenter avec Keith Gordon, Harry Dean Stanton (Éditions Carlotta films) Sortie en BR, DVD et coffret collector le 18 septembre 2019.
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