Je ne peux pas dire que je n’aime pas le sport. Les années olympiques, vaut mieux pas essayer de me joindre pendant les directs, idem pour les championnats du monde d’athlétisme.
Pourtant, quand Luc Chatel annonce que nos rythmes scolaires devraient ressembler à ceux de nos voisins d’outre-Rhin, je tique. En vrai, je tique à chaque fois que j’entends parler Luc Chatel ; à chaque fois que je le vois débiter ses lieux communs entrepreneuriaux issus tout droit d’une cafétéria d’école de commerce – sans oublier la myriade de barbarismes et d’agressions contre la syntaxe qui va avec. Je ne sais quelle combinaison intra-UMPesque l’a amené au 110 rue de Grenelle, mais, excepté le hors-concours Estrosi à l’Industrie, j’ai du mal à imaginer contre-emploi plus avéré.
Voilà donc que le ministre de l’Education, sans doute écœuré de nous servir en vain son brouet corporate comme remède magique aux mille maux de l’Ecole, vient de trouver un nouvel élixir miraculeux : le sport. Un nouveau rythme scolaire, avec cours le matin et sport l’après-midi, sera donc testé, a-t-il annoncé, à partir de la rentrée, dans une centaine de collèges et lycées.
Le pire, c’est que, pour une fois, tout le monde a l’air d’accord avec ce pauvre Chatel. Je m’explique. Certes, la gauche, les syndicats, les parentsdélèves et pas mal de médias lui sont immédiatement rentrés dans le lard. Mais pour arguer en chœur que c’était une énième annonce démago et que, faute de crédits, on ne verrait jamais le bout du petit doigt de la journée teutonne. En clair, tous les concernés lui reprochent seulement de ne pas avoir les moyens de sa politique mais sont d’accord sur le principe de l’école mi-cours/mi-sport, donc avec la philosophie ministérielle.
Pas une voix dissidente pour dire que l’urgence n’est pas de réduire les horaires de cours old school quand l’Ecole est incapable d’honorer à 100 % ses engagements minimaux : apprendre à lire, écrire, compter, mais aussi à savoir situer la Finlande sur une mappemonde, à ne pas confondre Michel et Jean-Pierre Foucault, à pouvoir réciter quelques vers de Nerval et même, éventuellement, à les aimer…
Personne pour rappeler que, structurellement, le sport est en contradiction totale avec les valeurs égalitaires dont on nous gave. Bon dernier de ma classe en gym, sans jamais déroger, entre le CP et le bac (et aussi, tant qu’à faire, en dessin, en musique et en travaux manuels), je sais de quoi je parle. À 7 ans, j’avais déjà compris que je pouvais me défoncer, je finirais toujours dix plombes après l’avant-dernier coureur au 100 mètres. Certes, on peut affiner sa technique, mais, en dernier ressort, le sport, c’est toujours la loi du plus fort : l’éducation physique est un oxymore.
Faut-il préférer le quadriceps au cortex ?
Fort heureusement pour moi, en ce temps-là, on n’en faisait pas tout un fromage. Mais j’ai du mal à imaginer que, le jour où il y aura autant de temps dévolu aux quadriceps qu’au cortex, les critères de notation ne suivront pas en fonction et qu’une nullité crasse en maths ou en histoire ne sera pas aisément compensée par un vrai talent de dribbleur ou une jolie pointe de vitesse. Sur ce coup-là, les râleurs ont tout faux : cette réforme se fera. Parce qu’elle est radicalement dans l’air du temps.
La place sidérante désormais prise par le sport, et plus largement par le corps, montre ce qui nous attend. Comme l’Ecole doit, n’est-ce pas, s’adapter au monde où nous vivons, le sport à haute dose ouvrira la porte au reste de la novculture : ce sera même la voie royale pour atteindre un jour l’objectif mythique des 80 % de bacheliers. Cours de breakdance pour les garçons, cours de diététique pour les filles, surtout à l’approche des vacances.
– Hey, les mecs, y paraît que Kévina flippe grave pour son bac : à l’exam’, elle arrivait pas à rentrer dans un slim taille 34 !
– Rhô, la teuhon ! Mais elle a intérêt à rester zen si elle veut pas en plus foirer l’épreuve de yoga !
– Heureusement pour elle qu’elle a assuré un max à l’oral d’éducation sexuelle !
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