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Du neuf avec des vœux


Du neuf avec des vœux

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À l’occasion de ses vœux de mardi dernier, toute la presse aura noté qu’on nous l’avait changée, la Martine, et pas seulement quant à ses rutilantes boucles d’oreilles. Le punch, la précision du tir et, en plus, le sourire : il y a du neuf dans l’air, et pas uniquement en comparaison avec ses vœux sous Lexomil de 2009. On commence même à parler ça et là « d’effet Merkel » et à faire de celle qu’on n’attendait pas une présidentiable crédible. Tout cela est vrai, mais appelle quelques observations supplémentaires, sur le pourquoi et le comment de cette métamorphose. Comme d’habitude, on vous les livrera en vrac.

Primo, comme le remarque très justement Le Figaro, Martine Aubry « a concentré ses vœux sur la critique du sarkozysme ». Du sarkozysme. Et donc, pas de Sarkozy himself. Ce qui est, à l’échelle du PS, une véritable révolution culturelle. Maintes fois, nous avons dit ici que le ciblage exclusif de la personne du chef de l’Etat envoyait la gauche droit dans le mur, à Rome comme à Paris. Et qu’il ne dissimulait que fort mal l’absence d’une offre politique alternative.

Secundo logique, Martine a commencé à dessiner ce que pourrait être cette alternative politique, et pas seulement en rêve la nuit. Elle ne l’a certes pas fait en déroulant un maximum de propositions, mais en tapant très fort sur tous les sujets qui fâchent, depuis la privatisation de la Poste jusqu’aux délocalisations, en passant par le pouvoir d’achat et l’Afghanistan, sans oublier la sécurité, et pas seulement celle de l’emploi, mais celle que beaucoup de socialistes n’utilisaient jamais que dans l’expression « sentiment d’insécurité » avec la bouche en cul de poule qui va avec.

Tertio, le choix de ces sujets qui fâchent n’est pas innocent, mais alors pas du tout. Certes Martine est revenue sur le « recul des libertés judiciaires, médiatiques et parlementaires », mais la plupart des attaques ont été portées sur les problématiques, souvent bassement matérielles, qui tarabustent les Français d’en bas. Le PS de 2010 ne parle plus seulement à l’intention de ses chouchous d’hier, ceux du piteux Zénith des libertés d’il y a à peine un an, les bac +6, les pétitionnaires ou les journalistes.

Quarto, ce revirement n’a rien d’anecdotique. C’est bien d’une stratégie pensée de reconquête qu’il s’agit. La plupart des commentateurs ont les yeux braqués sur la guerre froide qui oppose Verts et PS dans la perspective des régionales – et plus si mésentente. C’est une erreur. Non pas que ce bras de fer soit fictif. Mais disons le carrément : nous pensons que Martine Aubry, réaliste au dernier degré, a fait son deuil de la frange la plus sociétaliste de son électorat qui a migré vers Europe-Ecologie aux européennes de 2009, et qui n’a aucune raison valable, comme dirait Dave, de refaire le chemin à l’envers dans deux mois, maintenant que les écolos semblent plus bankable que jamais. Non, le choix de Martine, c’est d’entamer une longue marche, celle qui ramènera le PS vers son électorat naturel et vice-versa. Objectif prioritaire, donc, l’énorme vivier des abstentionnistes populaires, ceux qu’on appelait autrefois « les déçus du socialisme ». Mais nous soupçonnons cette dame de voir un peu plus loin, et d’avoir perçu qu’il y avait une autre volaille à plumer : celle des déçus du sarkozysme. Notamment les working poors et les classes moyennes qui ont cru au « candidat de la feuille de paye » et à la croissance qu’on irait chercher avec les dents. Ceux-là, Martine entend bien les ramener dans son caddie. Pour mars prochain, ça risque d’être un peu juste, mais pour 2012, allez savoir…

Quinto, une des rares propositions concrètes faites lors de ces vœux aura été l’annonce du droit de vote des étrangers aux élections locales. Elle peut sembler contradictoire avec la thèse que nous venons de développer au paragraphe précédent. Quoiqu’on en pense sur le fond, on pourra juger qu’il y avait plus urgent à mettre à avant ici et maintenant. Mais cette proposition présente deux avantages tactiques. Tout d’abord, de donner un peu de grain à moudre à l’aile boboïde de la direction du parti. Ensuite de semer un sympathique bordel dans le camp d’en face, où le président (qui s’y dit favorable sur le fond, mais pour les calendes grecques), Eric Besson (qui s’y dit moins hostile à moyen terme, genre 10-15 ans) et les grognons type Jacques Myard (vent debout contre) se sont lancés dans un concours de dissonances qui ne fait pas vraiment les affaires d’une UMP au creux de la vague. Machiavélique, la Martine ? Et pourquoi pas ! À dose raisonnable, ça n’a jamais tué personne, au contraire… D’ailleurs, le projet de loi en question, qui devait être déposé par le PS dès mercredi, ne l’a pas été. Et d’après nos informations, il ne risque pas de l’être dans les heures qui viennent, vu qu’il n’a pas encore été rédigé…

Cela dit, puisqu’on en est à parler de ce genre de choses, on aurait aimé une parole plus claire, plus forte, et plus conforme aux traditions laïques et républicaines de la gauche française sur la burqa. Il n’y a pas de place pour cette abjection dans ce que le PS appelle « la France qu’on aime ». Là, le rendez-vous a bel et bien été loupé. On ne peut pas tout avoir…

Toujours est-il qu’il s’est passé quelque chose d’assez souterrain, et donc d’assez profond ces derniers mois, dont ces vœux pugnaces ne sont que la première manifestation visible par tous. Le PS s’est trouvé non pas une patronne incontestée, mais une incarnation viable. Entre nous, ça faisait longtemps. Et du coup, contre toute attente, Nicolas Sarkozy a trouvé à qui parler. Et pas un adversaire qu’il s’est choisi lui-même comme DSK, nommé par icelui au FMI, ou Delanoë, qu’il a, de fait, reconduit à la Mairie de Paris en ne lui opposant que Françoise de Panafieu. Ni un battu d’avance, comme Hollande ou Ségo version 2.0.

Certes, il reste dans le discours de Martine Aubry bien des scories, de celles qui ont amené au désastre de 2002 ou à la déroute de 2007, mais on sent qu’on est en train, au moins, de remettre le problème sur ses pieds. Pas totalement, mais on avance. Disons que c’est du trois pas en avant, un pas arrière. Et pour ceux qui souhaitent une gauche de gauche, c’est quand même mieux que le contraire…



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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