D’un côté, je suis mort de rire. Des réveils comme ça, j’achète tous les jours. C’est vache, c’est malsain, c’est peu charitable, c’est tout ce que vous voudrez, mais c’est comme ça et vous êtes comme moi.
Une star mondiale, du sexe, des policiers, une chambre d’hôtel à 3000 dollars au cœur de Times Square, une jeune soubrette en larmes, un criminel présumé en fuite, une arrestation en plein ciel ou presque, il ne manquait plus que les menottes, dont hélas pour les caméras, DSK a été dispensé.
Et vous voudriez que je boude mon plaisir ? Pas question, j’en veux, j’en redemande, j’y puise même assez d’énergie pour trouver l’envie d’en dire trois mots au détriment de mon oisiveté du dimanche matin : pas de trêve dominicale pour Dominique !
D’un autre côté, je suis effondré. La messe est dite. Dès 6h30, il était entendu pour l’ensemble des commentateurs que DSK ne pouvait plus être candidat à la présidentielle. Editions spéciales partout, exit la victoire de Lille en Coupe de France et celle de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision.
C’est le bal des faux-culs à tous les étages, et nolens volens, j’y contribue moi aussi : chacun insiste sur la présomption d’innocence du patron du FMI, mais chaque mot consacré à l’affaire, chaque seconde d’antenne, chaque image broadcastée (Ah la la, cette photo devant le Sofitel avec le fourgon de police « Crime Scene Unit ») est un clou de plus planté dans le cercueil de DSK.
Or, les seuls faits avérés sont l’arrestation et la triple inculpation (agression sexuelle, tentative de viol et séquestration) du présumé coupable. Tout le reste n’est que conjectures, et donc viol, incontestable celui-là, de la présomption d’innocence.
Et pour prouver que la présomption d’innocence n’est pas un supplément d’âme ou un luxe dispensable, récapitulons l’histoire : DSK sort nu comme un ver de sa douche, et tombe, si j’ose dire, nez à nez avec la femme de chambre qui, comme d’hab’ a à peine frappé trois petits coups à la porte, avant de s’octroyer sans délai le droit d’entrer dans la suite pour déposer des chocolats sur l’oreiller[1. Note à l’attention de tous mes confères, les femmes de chambre des grands hôtels tiennent mordicus à cette appellation, et détestent être qualifiées de « femmes de ménage »]. Jusque là, les récits convergent[2. Vous ne lisez pas en ce moment le Canard Enchaîné, « convergent » n’est donc pas un jeu de mot pour nonagénaires]. Ensuite, ça se gâte pour cause de prétendue gâterie : l’employée accuse DSK d’avoir voulu la contraindre manu militari à des pratiques sexuelles non consenties. C’est peut-être vrai. Ou peut-être pas. On peut déjà savoir qu’on ne saura jamais.
Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’aux USA, des universitaires de renom ont perdu leurs chaires après des accusations d’étudiantes leur reprochant de les avoir regardées trop fixement durant un cours magistral. Même scénario pour ces PDG virés du jour au lendemain pour avoir complimenté dans l’ascenseur une secrétaire sur sa nouvelle robe. Avec, à la clef pour les plaignantes, la célébrité d’un jour et quelques millions de dollars de dommages et intérêts.
On ne saura donc jamais si DSK a agressé ou pas cette femme de chambre, on sait déjà qu’il y avait pour elle des motifs sonnants et trébuchants de l’alléguer. Et que DSK, même innocent comme l’agneau pascal, même ayant commis pour seul crime de ne pas prendre sa douche tout habillé, avait le cas échéant de bonnes raisons, compte tenu de sa mauvaise réputation, de vouloir changer dare-dare de crèmerie face à cette inconnue qui l’accusait de viol. Un mot sur cette mauvaise réputation : ce n’est pas parce qu’un type qui habite dans ma rue a déjà été pincé douze fois à voler des scooters qu’il a forcément volé le mien. Mais c’est normal que les flics ne le croient pas sur parole quand il clame son innocence. Et c’est normal aussi que le multirécidiviste préfère s’enfuir par la porte au fond du jardin quand la police sonne chez lui, qu’il soit ou non l’auteur de ce larcin-là. Avec le recul, on se dit que la fuite rocambolesque de DSK lui donne l’air, comme disait l’autre, forcément coupable, mais bon, j’aurais probablement fait pareil : que celui qui n’a jamais déraillé sous l’effet de la panique reçoive la première pierre, car c’est un vilain menteur. Enfin, et je suis désolé de vous le dire, mais une condamnation, ou non, en justice ne changera rien à ma certitude qu’on ne connaîtra jamais le fin mot de l’affaire : j’ai encore quelque part dans mes armoires mon T-shirt « Free Mike Tyson Now !»[3. En 1992, Mike Tyson avait été condamné sans trop de preuves à trois ans de prison ferme pour le viol d’une jeune fille de 18 ans, Desiree Washington. Je n’ai déjà pas une confiance aveugle dans la justice de mon pays, alors celle des autres…]
Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il n’y avait absolument aucune obligation de faire tout ce cinéma (je pense notamment à l’arrestation dans l’avion et l’inculpation immédiate). On voit mal DSK se soustraire, façon Oussama Ben Laden, à la justice américaine, mais alors quel manque à gagner pour les attorneys locaux en campagne électorale permanente.
Une fois encore, je ne sais rien des faits, pas plus que vous. Deux personnes sur Terre seulement les connaissent. S’ils ont été commis, cela discrédite moralement DSK pour toute fonction exécutive d’importance. S’ils sont imaginaires, et bien on s’en fout, puisque les jeux sont déjà faits…
C’est la mort dans l’âme que j’aurais voté DSK au second tour de 2012. Une femme de chambre, un proc et mon propre voyeurisme viennent de me priver de ce crève-cœur. Je ne les en remercie pas.
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