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DSK : le crime était presque parfait


Si Dieu existe, je lui remets l’Oscar du meilleur scénariste du monde. Quel talent ! Le plus audacieux des faiseurs de succès hollywoodiens n’aurait jamais osé inventer les derniers rebondissements de l’affaire DSK. D’ailleurs, dans un film, on aurait trouvé à la fois incroyable et de mauvais goût qu’une telle tragédie s’achevât par un happy end.

En attendant, je me plais à imaginer le héros injustement diffamé savourant l’honneur et la liberté retrouvés comme il a enduré l’opprobre et s’amusant, tel Edmond Dantès concoctant le plan parfait de la vengeance, des visages blêmes de ceux et surtout de celles qui l’avaient enterré vivant – plus confortablement qu’au château d’If mais dans une solitude tout aussi effroyable. Peut-être est-il en train de visionner les prestations de ses camarades socialistes dans les heures qui ont suivi son arrestation, scrutant les visages graves de Martine Aubry et de François Hollande pour détecter, derrière les paroles de solidarité, des miasmes de joie mauvaise.

À vrai dire, en supposant même qu’ils aient éprouvé quelques secondes de satisfaction en apprenant la chute de DSK – ce que rien ne permet d’affirmer – on ne saurait les en blâmer. Enfin pas trop. Si j’avais des rivales et qu’elles fussent embastillées sans que j’aie eu à lever le petit doigt, il n’est pas sûr que je me torturerais avec des questions morales.[access capability= »lire_inedits »]

Plus forte que la Merteuil des Liaisons, la soubrette offensée !

Quant à la victime présumée, elle a changé de tête : j’avoue que la nouvelle Nafissatou, celle qui se fait appeler « Ophelia », fréquente des trafiquants de drogue, paye cinq abonnements de téléphone, perçoit des sommes improbables sur son compte en banque et s’est peut-être montrée assez maligne et cynique pour tirer parti de l’opportunité qui s’offrait, voire pour la provoquer, me paraît plus amusante que la pieuse musulmane illettrée que nous décrivaient les journaux. Et si, par-dessus le marché, elle faisait commerce de ses charmes, il faut lui réserver une place de choix au Panthéon des salopes magnifiques. Plus forte que la Merteuil des Liaisons, la soubrette offensée ! Parce que camoufler un tel démon derrière le personnage de la « victime totale » − femme, noire, pauvre, exilée, exploitée, qui dit mieux ? – c’est fort.

Bien sûr, il est aussi hasardeux aujourd’hui d’affirmer que DSK est innocent qu’il était hier imprudent de le décréter coupable. Mais on peut déjà tirer quelques enseignements du coup de théâtre. Car même en supposant que la scène ait eu lieu telle qu’elle a été rapportée, l’éclairage nouveau jeté sur l’un des personnages lui donne un tout autre sens.

Tout d’abord, reconnaissons-le, nous y avons tous cru. Amis, ennemis, adversaires politiques, citoyens médusés et journalistes, nous étions tous convaincus que l’ex-patron du FMI était coupable. Tous sauf l’épouse, dont l’inébranlable confiance ressemblait fort à de l’aveuglement. Du coup, des informations, rumeurs et supputations qui déferlaient à jet continu, nous n’avons retenu que celles qui confirmaient nos certitudes. Tout accusait DSK : son passé et les fantômes qui en surgissaient, mais aussi la police et la justice américaines – ce n’est pas rien. Nous ferions mieux de nous rappeler qu’il y a parfois de la fumée sans feu.

Deuxième leçon, tout est possible, même l’incroyable. De même que les paranoïaques ont des ennemis, les théories du complot cachent parfois de véritables complots. On n’en est pas là. Reste que l’imagination peut désormais échafauder les hypothèses les plus délirantes : la vengeance d’un mari trompé ou d’une femme, non pas molestée mais délaissée, un coup fomenté par des gauchistes grecs, des services secrets chinois, voire par des banquiers en colère, une peau de banane glissée par une quelconque officine française. Dans la version que je préfère, on apprend que François Hollande était à la manœuvre. Certes, c’est la plus invraisemblable, c’est pour ça qu’elle me plaît.

Les archétypes n’ont ni zones d’ombre, ni faiblesses, ni passions.

Au passage, on a le droit de rigoler de la débâcle du journalisme. Il faut croire que, contrairement à la terre, le terrain peut mentir et même sacrément : dans la horde de reporters qui, du Bronx à la Guinée en passant par le Sénégal, s’est lancée à la recherche des secrets de la femme de ménage, pas un n’a été fichu de trouver le moindre détail susceptible d’entacher l’image pieuse forgée pour les besoins d’un récit irénique et allégorique. Il ne s’agissait plus de deux êtres humains, mais de deux archétypes. Or, par définition, les archétypes n’ont ni zones d’ombre, ni faiblesses, ni passions.

Plus que tout, cette affaire devrait donc nous conduire à en finir avec la religion de la victime. Elle rappelle qu’on n’est pas victime par essence ni même par naissance mais en fonction de circonstances. Les péronnelles qui ont cru bon de tirer le fil DSK pour prouver que le machisme le plus abject sévissait dans nos contrées ont beau proclamer partout et sans la moindre vergogne qu’elles ont eu raison d’avoir tort, on doit bien admettre que le faible n’est pas toujours la victime du fort, que le pauvre n’a pas toujours raison contre le riche et que l’exclu n’est pas toujours moralement supérieur au maître du monde. La réalité n’est pas un film en noir et blanc destiné à l’éducation des jeunes filles. Heureusement.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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